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Avant que le soleil ne se couche | FT. Opale :: Archives :: Bibliothèque des anciens RP :: Présent
Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Sur le chemin du retour, Gerhard réfléchit. Cela lui arrivait, dans ses bons jours. La rencontre avec la directrice de l'école avait été fructueuse, lui ayant prononcé les avertissements qu'on lui avait demandé de partager, elle... ayant sans nul doute pris beaucoup de plaisir à le voir se tortiller, bafouiller, articuler telle ou telle chose qui, au bout du compte, ne la concernait pas mais l'intéressait beaucoup.

Rencontrer d'autres Nébuleux l'avait aidé à dépasser un certain apriori qu'il avait gagné le jour où ce cher Vynce avait décidé de l'envoyer valdinguer. Après ça, et la dispute qui s'en était suivie, Gerhard était resté de son côté, que ce soit dans sa chambre ou bien en allant faire des tours sur la crique en contrebas, bien heureux d'échapper à l'atmosphère étouffante du manoir. Les paroles d'Opale résonnaient toujours dans son esprit, et ç'aurait été mentir que de dire qu'il n'y pensait pas au moins une fois par jour.

Voire même deux ou trois. Il avait pris pour habitude de les retourner dans un sens et dans l'autre, cherchant à éplucher le moindre petit mot, même ceux qui avaient été prononcés en français et dont le sens lui avait échappé ; quoiqu'au ton, il en devinait la teneur. Ce travail de décorticage était aussi un moyen pour lui de se souvenir, exactement, de ce qui avait été dit : au vu de l'ampleur de la... quoi, dispute ? engueulade ? rabrouement ? il ignorait quel mot correspondait le mieux, et cela importait peu : au vu de l'ampleur de la chose, oublier ne serait-ce qu'une syllabe aurait certainement été synonyme d'injure mortelle. Nul besoin de rajouter de l'huile sur le feu.

Rencontrer la directrice, donc, avait été une bouffée d'air frais que Gerhard ignorait avoir eu besoin, jusqu'à ce qu'il se trouve dans ce bureau, coincé sur sa chaise, et dire tel truc et tel machin sous l'oeil fantasque de cette femme tout aussi farfelue. Discuter avec les gens avait du bon, surtout quand vous n'étiez pas à deux doigts de vous écharper. Sa voix était sortie rocailleuse de sa gorge, victime du manque d'usage qu'il en avait fait ces derniers jours, et la voilà maintenant puissante, prête à affronter tout et n'importe. Ou plutôt, presque tout et presque n'importe quoi. Discuter avec un autre Nébuleux, surtout, l'avait rassuré quand à la nature des habitants de cette île.

Grand Dieu, mais cela sonnait terrible quand il le formulait ainsi, mais rien d'autre ne lui venait à l'esprit. Gerhard réfléchissait, cela ne voulait pas dire qu'il réfléchissait bien, mais mieux valait que ces mots maladroits restent dans les confins de son esprit plutôt que de les lancer à l'air libre et risquer de se prendre un coup de savate.

Disons qu'il y avait du bon à savoir que tous les Nébuleux de l'île n'étaient pas prompts à le ligoter à une table ; mais si tel avait été le cas, Gerhard se serait posé quelques questions quant à la nature de Nitescence. Les activités qui s'y déroulaient, également. Non, voici bien une image mentale qu'il ne souhaitait pas avoir en remontant la pente qui joignait Lucent au manoir d'Opale.


Si, après sa rencontre avec Ezekiel ou leur revenue du village, la vue de la bâtisse l'avait détendu, cette sensation était partie et il devait forcer son corps à poser un pied après l'autre, et dans la bonne direction en plus de ça.

Son premier instinct, après une dispute, était l'évitement. Certes, ce n'était pas comme s'il se disputait régulièrement. D'abord parce qu'il n'avait personne - enfin, il avait bien quelqu'un, et c'était chose faite maintenant - avec qui le faire, ensuite... Non, nul besoin d’un ensuite. Le fait que ses amis— même pas, ses connaissances, se résument à une directrice d'école, un type étrange qui pouvait tuer ses élèves - ou pas, la métaphore filée lui échappait encore - et une gamine perdue sur la plage, en disait long sur ses capacités de sociabilisation.

(il ne mettait pas Vynce dans le lot parce qu'il refusait de le compter comme une connaissance. Par respect pour Opale il ne le rangerait pas dans la catégorie des ennemis, mais dieu seul savait que sa conscience en mourait d'envie)

Donc. L'évitement. C'était une stratégie qui marchait, jusqu’à ce qu'elle ne marche plus. La dernière personne avec qui il l'avait appliqué était morte, et c'était son décès qu'il l'avait conduit là, et à se morfondre sur un chemin en terre, à serrer la bandoulière de son sac en révisant moults de ses choix de vie. S'il voulait être de mauvaise foi, il pouvait rejeter toute la responsabilité de la chose sur sa mère. Elle n'était plus là pour s'en plaindre, après tout.


Opale méritait un peu d'honnêteté, cependant, et Gerhard lui avait assez lancé de belles paroles pour vouloir s'y tenir. Malgré la situation tendue, malgré ce qu'il avait dit et pensé quelques jours plus tôt, il faisait confiance au médecin. Vraiment. Les bénéfices que sa présence lui avait apporté contrebalançaient l'erreur - devait-il parler d'erreur ? Le mot n'était pas approprié. Il était trop fort, surtout, mais rien ne collait, et alors qu'il se rapprochait de la maison Gerhard ne voulait pas y réfléchir davantage. Ceci resterait entre lui et lui-même - commise.

Être en colère, il comprenait. Il maintenant ce qu'il avait dit à Opale dans le salon : il ne fallait pas penser que, parce que quelqu'un était désolé et regrettait, que tout serait oublié et qu'ils sauteraient dans les champs main dans la main. C'était utopique. Vynce était plein de bonne volonté, de cela il n'en doutait pas, et c'était tout à son honneur ; c'était tout au sien, donc, de vouloir rester éloigné du bonhomme autant qu'il était possible. Le corps oubliait, mais pas l'esprit. Pas immédiatement, et pas tout à fait, et l'humiliation qu'il avait ressenti, impuissant face au regard indifférent de ce blondinet, qui aurait pu l'achever avant même qu'Opale ne puisse lui asséner un coup de tisonnier, l'avait glacé d'effroi. C'était quelque chose qu'il n'oublierait pas de sitôt : la manifestation si évidente de sa fragilité.

Il comprenait la colère, donc, mais ne s’expliquait pas la virulence qui l’avait prise. Pendant un moment, il avait vraiment voulu se jeter sur Vynce pour lui arracher la gorge, Opale ou pas Opale, et faisant fi des bonnes manières – et plus que ça, de la raison. Sûrement un trop plein qui avait explosé au pire moment. Il fallait bien que ça déborde, mais à choisir Gerhard n’aurait pas sélectionné cet instant.


Il avait établi qu’il faisait confiance à Opale ; mais alors qu'il parvenait au parvis du manoir et grimpait les marches, Gerhard se demandait si l'inverse était vrai. C'était un problème. Un problème, corrigea-t-il intérieurement, qu'il avait créé, et admettre la faute n'était pas aisée mais il lui faudrait bien le faire. C’était le premier pas vers un semblant de réconciliation, quelque chose qu’il souhaitait ardemment. Il était humain, et comme tout humain il n’aimait pas admettre la défaire aussi rapidement. C’était une question d’ego ; et, en dessous de tout ça, il… ne voulait pas quitter Opale, aller dans un village qu’il connaissait à peine, parler à des gens à qui il ne parlait pas davantage.

Il le ferait, s’il le fallait – et il le fallait, après tout il avait un homme à trouver – mais Opale était un point fixe sur lequel toute son attention s’était focalisée, qui lui avait tendu la main, aidé, là où d’autres l’auraient laissé croupir dans son coin. Gerhard voulait se montrer digne de la confiance qu’il espérait que le Nébuleux lui accordait ; et s’il fallait pour cela ramper au sol et lui implorer son pardon, eh bien soit, il s’exécuterait, et cela resterait entre eux. Et peut-être Vynce, si Opale le mettait dans la confidence.

La pensée n’était pas strictement heureuse ; Gerhard la bannit de son esprit et poussa la porte de la maison, comme toujours ouverte pour de potentielles urgences ou des visiteurs inopportuns. Avec le jour tombant – mine de rien il avait passé sa journée à Lucent puis au cloître, et on avait beau être au printemps la nuit arrivait bien vite, surtout quand on ne s’y attendait pas – le hall d’entrée était plongé dans le noir.


Opale l’avait entendu rentrer, de cela il en était certain. Gerhard n’avait pas cherché à être discret, après tout. Faire peur au médecin en se faufilant entre les ombres aurait été déplacé, et il était déjà assez dans la mouise pour ne pas en boire la tasse. Ne manquait plus qu’il se fasse attaquer par un tisonnier sauvage ! D’après ce qu’Opale lui avait dit – hurlé, plutôt, était le mot – la possibilité n’était pas à exclure.

Enlevant doucement son sac à bandoulière pour le pendre au porte-manteau sur lequel trônait celui d’Opale, ainsi qu’un autre chapeau sur un crochet, Gerhard hésita mais choisit de garder ses chaussures aux pieds. Il avait fait un peu de ménage après le départ précipité d’Opale après leur dispute, juste un peu, de quoi passer ses nerfs sur le sol, et il y avait une certaine fierté dans le fait que ses grands gestes rageux avec le balai aient eu raison de la poussière qui s’était accumulée dans les coins. Désolé aux moultes araignées qu’il avait chassées ; Gerhard n’avait pas été en état de s’en inquiéter, et était certain qu’elles avaient établi leur campement dans un autre recoin sombre de la demeure.

Tant mieux pour elles, tant pis pour lui. Et dans les prochains jours, il s’attaquerait à l’étage. Ce n’était que partie remise.

Gerhard tendit l’oreille, tentant de déceler un moindre son qui aurait trahi la position d’Opale. Le silence s’étira, et puis— . Un bruit de pas, un meuble que l’on cogne doucement. Des tréfonds de la maison : le bureau. Il en prit la direction à grandes enjambées, satisfait de constater que le chemin lui était désormais connu à force d’habitude ; et se retrouva devant une porte entrouverte, juste à peine, juste assez pour laisser deviner la présence d’un autre. Il posa doucement une main contre le panneau en bois, prêt à le pousser— Et hésita. Survenir ainsi était malvenu. Il se prendrait peut-être un livre en pleine face, une nouvelle cicatrice à ajouter à celle qui courait l’arête de son nez. Autant il voulait s’excuser, autant il n’était pas la partie lésée ; le pardon ne devait pas se faire selon ses termes, et cela le frustrait quelque peu mais c’était ainsi, c’était ce qu’il avait appris. Il était bon élève. Il appliquait ses enseignements, et il prétendait le faire bien.

- Opale ? appela-t-il depuis le couloir, une main courant toujours sur la porte mais le corps autrement immobile. Je… J’aimerais que l’on discute. Si vous le souhaitez.

Il déglutit. Il était temps de mettre son grandiose vocabulaire en pratique et qu’il se comporte en adulte. Quelque part, dans une espèce, avoir vingt-sept ans équivalait à avoir l’apparence d’un bébé à peine nouveau-né ; mais il était humain, les années filaient, il n’était plus un enfant. Plus depuis longtemps.

- Pas de pression, ajouta-t-il, mais le rire qu’il voulait joindre à la phrase ne sortit pas, se rendant sûrement compte qu’il n’était pas approprié à la situation. Sa voix tomba plate comme un soufflé. Juste… Voilà. Je… vous attends au salon ?

Le bureau d’Opale était son espace personnel et Gerhard ne voulait pas y amener des cris. Pourtant, tandis ce qu’il tournait les talons pour rejoindre la pièce, il n’était pas certain qu’elle soit la plus appropriée. C’était là qu’ils s’étaient quittés en mauvais terme quelques jours plus tôt.

Mais, lui soufflait son esprit, mieux valait le salon que la cuisine. Grand dieu ! Il était incapable de regarder la table sans s’imaginer y être allongé, le ventre à moitié à découvert et quasiment – non, pas de quasiment, totalement – sans défense. Leur discussion n’avait pas à avoir de potentiels spectateurs qui échoueraient de ce côté-là de l’île, elle devait donc se cantonner à l’intérieur, et l’étage était hors limite également ; le salon, donc, devrait convenir.


Attendant Opale qui ne viendrait peut-être pas, Gerhard entreprit de remettre les rideaux en place, de passer un doigt sur un meuble pour y déplacer la poussière. Il contempla la fine couche qu’il avait amassé sur son index et ajouta mentalement l’endroit dans sa liste des choses à nettoyer. Il ignorait où se trouvaient les serpillères mais s’il avait réussi à dénicher le balai, il s’en sortirait pour le reste.

Le stress le guettait, il le reconnaissait. Que ferait-il si Opale ne venait pas ? Il ne pouvait pas aller le tirer de son bureau. Il était pieds et poings liés, et c’était le médecin qui détenait la clé des menottes ; une situation peu agréable et entièrement de son dû. Lui et sa grande bouche ! Cette fois-ci, il jura de réfléchir à deux fois avant de l’ouvrir, et de prêter une oreille et des yeux plus attentifs à son colocataire. Qui ne le serait peut-être bientôt plus. Bon sang, quand viendrait-il ? Si ça continuait, Opale allait le découvrir évanoui de stress. L’image n’arracha pas même un sourire de ses lèvres plissées. Certaines choses devaient être prises au sérieux : ce moment en faisait partie.
Dim 7 Avr 2024 - 19:42
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Opale Caladrius
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Before the sun sets

we shall reunite

Feat Gerhard



La dispute avait été un évènement signifiant pour Opale. Surement parce qu’il ne se disputait pas, ou peu. Il subissait, bien souvent. La colère était enterrée, bien profond, entre les roches et les os sombres de son être centenaire qui savait être sage.

Alors, ce qui le dérangeait le plus dans tout ça n’était pas vraiment ce que Gerhard et lui avaient pu se dire, non. C’était la manière dont il avait perdu le contrôle. L’idée le rendait fou. 40 années a tenter de gagner en posture, à se faire plus grand qu’il ne l’était sur cette petite île. 40 années qu’il n’avait pas, qu’il ne s’était pas autorisé, à faillir de la sorte. La craquelure était bien là, il la sentait sous sa barrière imaginaire qui ce jour-là, par le plus grand des mystères, n’avait pas pu s’ériger. Il n’avait senti lorsque Gerhard avait de nouveau posé les pieds dans la cuisine, avec son œil critique et méprisant. Tout s’était effondré, de nouveau.

Mais pourquoi ? Pourquoi un humain et une telle discussion l’ont-ils mis dans une telle position ? Il s’était même enfui. Il s’était senti comme un enfant acculé, toutes ses limites implosées sans une once de contrôle. Il avait dû paraitre ridicule, méprisable, faible. Faible. Le mot amer collait à la langue, au palais, insidieux il se logeait dans sa gorge et lui foutait les larmes aux yeux.

Opale avait toujours été l’être faible. Dans la myriade de nébuleux qui existent sur cette terre, on ne lui avait rien laissé. Rien pour se défendre, aucune arme, aucune force, il y avait lui, son corps, ses instincts. Et ce don qui n’avait jamais été utile que pour les autres, pas pour lui-même. Alors mettre les pieds sur Nitescence avait été le souffle nouveau, celui qui lui avait permis d’enfin pouvoir marcher la tête haute dans les rues d’une ville. Arrêter de courber l’échine, se teindre les cheveux, se poudrer la peau pour paraître plus humain.

Et peut-être qu’il ne l’avait pas admis, mais peut-être que Gerhard était arrivé trop vite. Un matin, il toquait à sa porte. Le lendemain, il logeait chez lui. Le jour suivant, il lui montrait ses recoins secrets qu’il gardait pourtant jalousement il y a quelques années de cela. Qu’avait-il voulu prouver ? Cela le rendait malade, il se répugnait lui-même. Qu’il était bon ? Doux ? Accueillant ? Il n’avait jamais rien été de tout cela, ce n’était pas lui. Il n’aimait pas qu’on bouscule ses habitudes, son confort fragile qu’il s’évertuait à construire. Des jouets de bois que l’on s’amuserait à bousculer pour en rire. La pensée, insidieuse, que la matriarche peut-être s’était jouée de lui… Le testait… Commençait à grimper en lui, lui donnait envie de fuir de nouveau. Mais pour aller où ? Il n’y avait plus nulle part.

Il n’y avait plus… Nulle part.

Opale releva la tête. Il avait son front posé contre ses bras, recroquevillé contre son bureau. Il avait d’abord cru que rester ici, dans ce lieu confiné et épuré parviendrait à calmer son esprit. Mais ses pensées ne cessaient de tourner à la manière d’un carrousel, tous les mots se déversaient comme un flot incessant. Il était épuisé, c’était un fait. Ces derniers temps avaient été éprouvants, entre les patients qui défilaient et les nouveaux arrivants qui semblaient déterminés à le surprendre. Tout était bousculé, c’était éreintant. Il n’avait pas fait de prise de sang depuis longtemps, il soupçonnait une trop grande concentration du poison dans ses veines.

Sa joue roula doucement contre son bras, quelques mèches glissant contre sa tempe alors qu’il levait les yeux vers les rideaux tirés. La lumière achevait sa course sur le mur, rasante et chaleureuse. Il allait bientôt faire nuit et il n’était pas sorti.
Un soupir et le médecin se redressa, se pinçant l’arête du nez en s’immobilisant quelques instants, il s’était relevé trop vite. D’une main il tenta de remettre de l’ordre dans ses cheveux en bataille qui avaient une tendance désastreuse à s’emmêler trop facilement. Il s’avança vers la sortie en s’étirant.

A l’instant même ou Opale posa sa main sur la poignée, le grincement de la porte d’entrée retentit et il se figea. Immobile, le cœur battant, il la lâcha doucement, laissant son bras retomber le long de son corps. Il ne voulait pas paraître intrusif, mais le moindre pas discret de Gerhard lui indiquait sa position. Porte-manteau… Hall… Le caladre recula, un peu vite car il rentra brutalement dans l’angle de son bureau, s’y cognant la hanche. Le petit grognement étouffé qui s’échappa de ses lèvres fut noyé par le bruissement des feuilles filant à terre.

Arrh !

Il tâtonna pour les retrouver toutes, s’excusant par avance à son nouveau patient dans la chambre d’ami qui payerait les frais de ce bazar. A quatre pattes sur le parquet, il s’immobilisa de nouveau, nerveux, en entendant les pas de Gerhard se rapprocher du bureau. Opale pouvait entendre son cœur qui battait lourdement dans son cou.

-Opale ?

Le nébuleux se redressa à genoux et déglutit, les yeux posés sur ses mains floues et serrées contre ses cuisses. Il lui demandait de venir. Au salon. Opale ne s’autorisa à respirer que lorsqu’il s’éloigna, ses doigts se serrant contre sa poitrine douloureuse.

Il n’avait pas peur. Non.

Alors d’où venait toute cette nervosité ? Si le temps soigne les blessures, il semblait effectivement que Gerhard et lui avaient besoin de parler, de toute manière. Mais de quoi ? De quelle manière ? Tout avait été dit, non… ? Gerhard pouvait bien croire ce qu’il voulait, dans le fond ce n’était pas le problème d’Opale. Les doigts glacés du médecin rejoignirent son visage, il appuya doucement sur ses paupières en inspirant. Il devait se préparer, ne pas se laisser distancier ou approcher de trop prêt. Quoiqu’il puisse lui dire, l’important était les sentiments dont il ferait preuve.

Et alors, il se releva, s’arrangeant légèrement avant de quitter le bureau à pas lents. Les bras serrés l’un contre l’autre, il s’avança dans le salon sans vraiment le regarder. Ses cheveux balançaient contre ses épaules au rythme de son avancée, sa chemise fine et un peu froissée faisaient ressortir sa posture délicate. Opale s’appuya contre le canapé, inclinant doucement la tête en levant la tête vers Gerhard, car même s’il le voyait mal, il savait où il était.

-Bonsoir Gerhard. vous vouliez me parler ?

Malgré sa voix douce, une certaine distance impassible flottait dans son ton. Seuls ceux qui le connaissaient bien pouvaient distinguer la nervosité qui l’habitait, au même titre que son colocataire.

notes
Dim 14 Avr 2024 - 1:37
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Gerhard Speckmann
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Il n'avait pas à tergiverser longtemps : les pas d'Opale claquaient dans le couloir. Malgré tout, le médecin daignait donc l'écouter. Le soulagement l'étreignit si fort qu'il manqua de s'étouffer dessus.
Tout n'était pas fini. Tout était récupérable. Peut-être. S'il jouait bien ses mots, s'il abattait les bonnes cartes.

Non, traiter l'issue de cette discussion comme une victoire potentielle n'accordait pas à Opale le mérite qu'il méritait. Ce n'était pas une bataille, ou du moins pas entre eux ; mais c'était celle que Gerhard avait choisi de livrer, pour le médecin, parce qu'il valait la peine qu'on se batte pour lui. Ou peut-être romançait-il trop la chose. Dans les faits, il était seul coupable. Qui voudrait qu'un pareil homme joute en son nom ? Pour tout ce qu'il en savait, Opale serait bien heureux de le voir partir. C'est ce qu'il allait découvrir ; l'incertitude, en attendant, pesait.


Opale poussa la porte du salon. Les gonds chuintèrent ; il ne referma pas derrière lui, et Gerhard ne put s'empêcher de penser qu'il se laissait un échappatoire, au cas où la situation tournait mal. Il se serait indigné d'être tenu en si mauvaise estime ; mais les mots que le médecin avait prononcé, non, crié, lui revenaient en mémoire, et aussitôt qu'elle commençait à s'élever Gerhard prit cette irritation, lui tordit le cou, la jeta par-dessus bord. Il n'était plus en position de faire des demandes, de se vexer pour un oui ou pour un non. Il offrirait un pardon, mais la décision finale revenait à Opale.
Ce dernier s'était avancé sans trop le regarder ; sans trop regarder, à dire vrai, quoique ce soit, ses yeux quasiment laiteux perdus dans un vide que lui seul pouvait percevoir. Gerhard ne put s'empêcher de le détailler du regard, tenta de cataloguer tous ces petits détails que leurs croisements de ces derniers jours ne lui avait pas permis d'apercevoir.

Il avait l'air... fatigué, c'était le mot, ou bien las, cela marchait aussi. Gerhard avait conscience du patient qui devait dormir dans une des chambres de l'étage, et qu'Opale s'était efforcé de remettre d'aplomb ces derniers jours. L'évitement avait alors été facile, chacun des deux hommes occupés à leurs métiers respectifs. Gabriel était son nom, Gerhard l'avait croisé un soir, la conversation avait été plaisante. Pour le bien du rescapé, il espérait qu'ils n'élèveraient pas trop la voix durant les prochaines minutes. Ce n'était pas son intention, mais des fois l'intention ne servait à rien contre les émotions, et Gerhard était conscient que les siennes débordaient de manière parfois... inopportune.

Las, cependant, cela l'inquiétait davantage. Comme si résigné d'avance par cette conversation. Cela l'embêtait davantage, pour tout un tas de raison. Le médecin avait-il déjà tiré un trait sur leur amitié naissante ? Il supposait qu'une dispute aussi grosse, alors que la relation était fraîche, signait généralement l'arrêt de mort de cette dernière. Il ne lui en aurait pas tenu rigueur. Mais si Opale était là, c'était bien qu'il était prêt à l'écouter... Non ?


- Bonsoir Gerhard. Vous vouliez me parler ?


Ils étaient en tout cas retournés au vouvoiement de base. Cela le consolait quelque peu. Quand bien même le ton du médecin était plat ; jamais Gerhard ne l'avait entendu ainsi, aussi réservé, et savoir que c'était en partie de sa faute lui donna envie d'immédiatement se jeter à ses pieds.

Non. Sans doute pas. Mais Dieu seul savait qu'Opale découpait actuellement une silhouette particulièrement culpabilisante. Et c'était de son dû. Il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Le médecin se tenait appuyé contre le canapé, comme si hissé contre un bouclier... Non. Il fallait qu'il cesse de tout analyser, qu'il considère ce qui se trouvait en face de sa face au lieu de tout interpréter. C'était parce qu'il avait glissé dans ce masque du psychologue, qu'il avait cherché à disséquer ce qui battait encore, avec l'ignorance de celui qui se croyait tout-puissant, qu'ils se retrouvaient dans cette situation, à craindre et à regretter. Il fallait... Il fallait qu'il apprenne à écouter. A voir, plutôt qu'à percevoir. Tout ce qui allait à l'encontre de ses instincts, mais quel autre choix avait-il ?


- Opale, salua-t-il gauchement en esquissant un pas dans la direction du Nébuleux. Oui. Merci de bien vouloir— Non, trop obséquieux. Abrège, écoute, considère. Enfin, merci.


Opale n'aurait que faire de belles paroles, pour tout ce qu'il en savait ce ne seraient que des mensonges que Gerhard lui jetterait à la figure en espérant qu'un accroche sa cible.

Il se rendit compte, dans la même pensée éclair qui lui traversa l'esprit, qu'il n'avait aucune idée de comment s'y prendre pour s'excuser. Il n'avait jamais eu d'ami ; avec ça, pas de dispute. Pas de colère sourde, de mots prononcés et regrettés. Rien d'autre que le vide, et une imagination débordante qui tâchait de le combler par des scénarios rocambolesques qui n'étaient ni adaptés à la situation, ni à la réalité, ni à ses souhaits. Gerhard était le pion d'un aléatoire qui dessinait devant lui un chemin incertain. En cet instant-là, il doutait qu'Opale soit le plus aveugle des deux : lui avait dû prendre l'habitude de naviguer sur des eaux aussi troubles.

A moins que Gerhard n'ait été le premier à le traîner dans la mouise. Ce n'était pas impossible. Il avait cette exquise particularité de se fourrer, ainsi que ses proches - sa mère, Opale ? comptait-il comme un proche ? comptait-il même, avait-il compté, comme un ami ? il rebattait sans arrêt le jeu, il n'était plus sûr de rien - dans des situations desquelles personne ne sortait gagnant.


Considérant les pas qu'il avait pris dans la direction du médecin, Gerhard s'arrêta net. Opale n'avait pas besoin qu'il le colle en cet instant. Les yeux du Nébuleux étaient dardés sur lui, paraissaient l'évaluer dans le brouillard qui devait recouvrir sa vision. Calculateurs, mais pas comme Ezekiel. Dans l'indifférence froide avec laquelle il le considérait, Opale conservait quelque chose de plus chaud que l'autre Nébuleux qui avait manqué de le précipiter dans les flots.


- Pardon, je sais que je ne devrais pas trop... m'approcher, dit Gerhard d'une voix haltée. Il ramena ses mains dans son dos, tout son corps aligné dans la même ligne droite. C'est... enfin, vous devriez avoir le choix.


Le choix. Il en revenait toujours à ça. Mais c'était le plus juste. Gerhard avait considéré le problème, quand le sommeil lui avait échappé. L'avait tourné et retourné, sous certains angles et puis sous d'autres. Il était allé à des kilomètres à l'heure, à tel point qu'il avait cru que son cerveau chauffait. C'était possible : quand on exerçait une trop grande pression, qu'on poussait au-delà de ses limites, on pouvait effectivement faire cuire sa propre cervelle. Un détail un peu ragoûtant. Y penser le laissait toujours un peu vert.


Bref, il avait réfléchi. Comme dit précédemment, cela lui arrivait. Pas toujours dans les bons moments. Souvent un peu trop tard. C'était la nature humaine, il supposait, ou bien la nature de tout être dénuée d'intelligence : on réfléchissait toujours trop tard, à ce qu'on aurait pu faire, pu dire.

S'il avait dit ça et pas autre chose. S'il n'avait pas disséqué, mais écouté ; s'il s'était tu au lieu de parler ; et ainsi de suite, ad vitam eternam, jusqu'à ce qu'il en vienne à plusieurs conclusions :

Opale devait avoir le choix.

Assez... anticlimatique. Qu'il ait eu à cogiter aussl longtemps pour y parvenir l'embarrassait quelque peu. Il était censé être meilleur que ça.

Dans les faits, il ne pouvait offrir à Opale que lui-même. Cela devrait suffire.


Il inspira profondément. Ces mots, il les avait ressassé, et quand bien même les prononcer ne lui faisait pas plaisir, ce n'était plus de son ressort. L'illusion du choix avait sauté à la fenêtre au même moment où il avait manqué de respect à son colocataire sous son toit.


- Je peux partir, si vous le souhaitez. Il ignora le goût amer qui lui prit la bouche et poursuivit, évitant le regard vague d'Opale. Je peux prendre mes valises et m'en aller. Depuis le temps que je suis ici, on a dû déterminer que j'étais bien intégré. Sans doute. On me donnera un logement. Il rit gauchement. Ou alors je réaménagerai mon cabinet. C'est possible. C'est...


Gerhard souffla, et se força à déglutir. De quoi aurait-il l'air, s'il s'étouffait sur ses propres mots ?


- Je suis désolé, lança-t-il fugacement. Pour... Beaucoup de choses, j'imagine. C'est chez vous avant tout. J'ai abusé de votre hospitalité. Pardon. Laissez-moi quelques jours, le temps de régler quelques détails, et vous ne m'aurez plus dans les pattes.


Emilia le considèrerait certainement de cet œil un peu torve, définitivement jugeur, mais ce serait le prix à payer pour autoriser Opale à être de nouveau à l'aise dans sa maison. En le voyant ainsi, à se soutenir sur le canapé, Gerhard savait que c'était la bonne solution. Elle réglerait en tout cas nombre de leurs problèmes. Le désagrément de dealer avec la Nébuleuse était temporaire ; Opale méritait une paix durable, et quant à lui ?

Eh bien, il était humain. Ses regrets passeraient en un éclair, un battement de cil le temps qu'il vive. Ce n'était pas si terrible... Sans doute. Il avait beau se le répéter, la perspective n'était pas très réjouissante. Tant pis. La fuite s'imposait, le reste viendrait plus tard.
Mer 17 Avr 2024 - 0:52
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Opale Caladrius
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Un léger tressaillement souleva ses épaules lorsque Gerhard fit un pas vers lui. Ses doigts cramponnés à ses bras fins s’étaient crispés et il fixa son regard vague sur la silhouette échancrée dans la lumière. Il cilla en l’entendant bafouiller ces quelques mots qui le remerciaient de sa simple présence et le médecin contint un sourire amer. Ça va, il n’était pas un monstre dédaigneux non plus. Pas comme s’il pouvait ignorer éternellement celui qui vivait sous son toit, de toutes manière. Il se mordit discrètement l’intérieur de la joue, tentant de juguler sa propre nervosité qui montait en pic. Et… Voilà tout. Un grand silence suivit les quelques salutations bredouillantes. L’angoisse avait-elle dévorée sa langue ? Ils s’observaient en silence et Opale s’agita juste un peu, détachant une jambe de l’autre dans un geste lent.

Le médecin contint un soupir lorsque le psychologue se prononça, finalement. Savoir s’il pouvait… S’approcher ? Le caladre plissa les paupières, les sourcils froncés dans une expression interrogative. Posséder le choix sur quelque chose d’aussi simple que la proximité physique, ce serait étrange. Si chaque fois que Gerhard s’avançait vers lui il devrait dire « oui » ou « non », cela risquerait d’être rapidement gênant. Ce n’était pas comme s’il s’était accroché sans cesse à son bras ou l’avait étreint depuis son arrivée sur l’île. Ah. Autant porter un bracelet à grelots à ce compte-là.

Bon sang. Il devait cesser de se montrer de si mauvais poil. Ouverture, Opale. Ouverture. Cela ne lui ressemblait pas non plus, de tirer le fil pessimiste à chaque petite phrase de son interlocuteur. Était-ce la fatigue ? Ou ce malaise grandissant qui l’étreignait ? Il se sentait vulnérable, sans doute. Apparemment, c’était bien suffisant pour qu’il exprime ses états d’âmes avec la pire des intensités. Opale prit une inspiration entrecoupée. Il avait la sensation d’étrangement manquer d’air, sa main se glissa jusqu’à son col et il tira, détachant le premier bouton, attendant la suite. Les derniers mots qu’il avait prononcé à Gerhard lui revenaient en tête. La culpabilité lui serrait la poitrine et l’estomac, soutenir ce regard si brûlant l’aveuglait presque.

Le choix.

« Je peux partir, si vous le souhaitez. »
Opale contint un hoquet surpris, pinçant seulement les lèvres.
Si vous le souhaitez.

Qu’est-ce qu’il souhaitait, Opale ?  Brusquement, on lui avait mis la tête sous l’eau. Le liquide froid et étouffant était rentré dans sa bouche, ses yeux, ses oreilles. Tout le reste était flou. La voix de Gerhard lui parvenait voilée. Il se sentait acculé. Était-ce une nouvelle épreuve pour sa bonté ? Où alors était-ce une proposition sincère, honnête ? Il y faisait face, mais ne parvenait à voir la différence.
Le caladre avait souvent songé à toutes ces amitiés profiteuses qu’il avait entretenu durant des années. Amis comme amants, tous savaient pourquoi ils le fréquentaient. C’était simple, après tout. Opale était une figure tendre, rassurante, capable de faire le bien. Alors l’idée qu’on ne cherche pas à le manipuler sous couvert d’une prétendue culpabilité, cela était rare. Il n’avait jamais eu besoin de faire la différence, il savait ce qu’on attendait de lui.

Mais voilà, la question restait la même.
Que cherchait-il ? N’avait-il pas le droit d’être en colère, juste un peu ? N’était-ce pas excessif ? Gerhard s’était-il senti si terriblement mal qu’il voulait fuir à son tour ? Si c’était une demande cachée sous les planches, que pouvait-il dire ? Opale se noyait sous les questions. Elles le désorientaient, chauffaient ses joues, décomposaient son visage froid qui pourtant, s’était juré de conserver ce masque. Non, non, c’était un choix qui lui donnait soudainement trop d’importance. Il n’était pas… Il n’avait jamais eu… Oui, c’était ça. Le choix.

Qu’on lui jette ainsi, en pleine face. La violence était douce, trop honnête. Le cœur battant, il décroisa doucement les bras, secoua la tête et bafouilla

-Oh, Gerhard…


Il ne savait que dire. Il ne lui en voulait même plus vraiment… Peut-être était-ce une forme d’honneur qui le maintenant dans ses positions glaciales. Ou cherchait-il à se protéger, dans ces instants de vil vulnérabilité. Car Opale était affaibli. Il avait forcé, ces derniers temps. Et comme un animal blessé qui montrait les crocs pour se faire plus impressionnant, il avait agi de la même manière. Poussé dans ses infimes retranchements, il avait cédé. L’oiseau savait que c’était pour cela, qu’il s’était montré aussi agressif et vulnérable face aux sentiments de Gerhard. Alors, quand cet humain exprimait sa peur face à sa propre fragilité, oh dieu qu’il le comprenait sans oser lui dire. La coquille frêle et pâle de l’oisillon entre ses doigts. Sa cécité lui pesait, même s’il n’en parlait à personne. Jamais il ne s’était senti aussi perdu alors…

-Je n’ai jamais désiré votre départ.

Souffla-t-il, un peu faiblement. Il déglutit, incertain de la suite. Il n’aimait pas l’imprévu, mais c’était bien la philosophie de celui-ci. Apparaître dans les moments les plus inopportuns, où alors… Lorsqu’on a le plus besoin de lui.

-Je… Je n’ai pas été correct non plus. Ce que je vous ai dit, c’était injuste. Vous n’êtes pas… Vous n’êtes pas un problème. C’est moi qui…

Il se passa une main dans les cheveux, la détresse grandissante brouillait ses sens et il quitta le canapé pour avancer de quelques pas dans sa direction. Une longueur de bras les séparait et il leva les yeux vers sa silhouette si inconnue, tentant de poursuivre.

Comme il était difficile pour lui, de faire face à quelqu’un dont il ne connaissait même pas le visage.

-Ce n’était qu’une excuse pour vous crier dessus, il n’y avait rien de bon dans ce qui a pu être dit. Jamais je n’aurais dû… Ce n’était pas… La vérité c’est surement que je… J’ai besoin de vous.

C’était si dur. Ces quelques mots le brûlaient, non pas par la faute de Gerhard, mais pour sa fierté. Il s’évertuait à la conserver, à se peindre d’élégance. Une balade par jour, descendre la falaise, se baigner. Se promener dans Lucent, rencontrer les habitants, ses amis. Parcourir la forêt, courir dans le pré en contrebas de la maison. Rien… Il ne pourrait rien garder. Cela le rendait fou. Cela lui faisait si mal de tout abandonner. Lorsque l’obscurité l’aura ensevelie de son voile noir et opaque, que restera-t-il ? La poussière continuera de s’accumuler sur les meubles. Refusera-t-il les mains tendues ? Allait-il mourir dans le noir ? Seul ? Son souffle amoindri dans sa poitrine s’entrecoupa et ses yeux se posèrent sur sa propre main, légèrement levée. Ses doigts tremblaient si forts que s’en était ridicule. Mais le mouvement nerveux et flou s’agitant devant son regard l’obnubila un instant.

-Gerhard.


Murmura-t-il, tentant de ne pas laisser la sensation glaçante et familière grimper le long de sa peau comme un serpent.

-Je crois que… Je vais m’évanouir.

Articula-t-il très distinctement, avec toute la lucidité dont il était encore capable. Il la reconnaissait bien, cette sensation. Surement que son corps avait décidé de le lâcher, dans cet infime instant. Il n’avait rien mangé de la journée, après tout. Il y avait l’angoisse. Et puis, son sang… Enfin, surement divers facteurs concordants à cet instant précis. Il en était désolé pour Gerhard, qui finalement, se retrouvait au mauvais endroit, au mauvais moment. Ou qui sait… Au bon. Il sentit sa tête dodeliner vers l’avant et sa main rencontra la chemise du psychologue. Il ferma les yeux, tentant tant bien que mal de juguler le froid familier qui montait. Lui et ses picotements l'engourdissaient jusque derrière son crâne à la manière d’une araignée.


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Lun 22 Avr 2024 - 0:39
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Gerhard Speckmann
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Ses paroles avaient estomaqué Opale. Il n'y avait pas besoin de savoir lire les gens pour le comprendre : tendu comme la corde d'un arc, c'était comme si Gerhard avait coupé le fil. Il aurait ri de cet air presque ahuri qui affublait les traits habituellement si fins d'Opale si seulement la situation n'avait pas été aussi critique. Pour tout ce qu'il avait à dire, il n'avait jamais pensé que ce serait ses premières paroles qui auraient raison de la façade froide du médecin.

Ne lui avait-on jamais dit ça ? Qu'il avait le choix ? Il aurait voulu que la réponse soit plus difficile à avoir ; qu'il doive étudier, comme il l'avait si bien fait, de longues heures durant, voire même des jours ou des mois entiers, avant de pouvoir se prononcer, mais avec cette hésitation qui caractérisait une hypothèse dont les fondements étaient branlants. Il aurait voulu pouvoir regarder le visage d'Opale, son teint pâle, plus pâle encore qu'à l'accoutumée, et y lire toute son indifférence. C'aurait été mieux. C'aurait été préférable à cette glace cristalline qui avait figé ses traits au-delà du masque. Ils en portaient tous un, à Nitescence, Gerhard commençait à le découvrir, des couches et des couches qui se superposaient jusqu'à tordre l'original emprisonné en dessous.

Il se demandait juste à quel point celles d'Opale étaient fines, si ces simples mots avaient suffi à les souffler.


- Oh, Gerhard… bégaya presque Opale, qui avait toujours su dire son prénom correctement, l'emphase sur les bonnes syllabes, les lettres prononcées avec cette douceur qui apaisait le raclement du r. Sa langue était empreinte d'un langage qui n'était pas le sien mais qu'il avait épousé pour cet invité qui avait chamboulé sa vie, parce qu'Opale était ainsi. Il baissait les bras et offrait ses mains au monde, alors qu'il aurait mieux valu qu'il les garde à ses côtés, à l'abri, loin de ces stigmates qu'on tenait à lui infliger. Ces coups que Gerhard lui avait porté, sans le savoir, mais tout en le voulant.

Opale avait eu raison. Il était humain, avec ses défauts d'humain, et si l'Histoire leur avait appris quelque chose c'était qu'ils étaient plus prompts à le faire couler qu'à en arrêter l'écoulement. Humain et Nébuleux ; dans cette maison qui avait été la leur, ils avaient joué leurs rôles à la perfection.


- Je n’ai jamais désiré votre départ, reprit le Nébuleux de cette voix toujours soufflée, comme s'il peinait à croire qu'on lui offrait une opportunité qui ne lui serait pas arrachée. Je… Je n’ai pas été correct non plus. Ce que je vous ai dit, c’était injuste. Vous n’êtes pas… Vous n’êtes pas un problème. C’est moi qui…


Gerhard voulait bondir à ses côtés, lui prendre le visage dans les mains. Ses paumes étaient moites, chaudes comme une nuit d'été ; il se souvenait de la peau froide d'Opale et il voulait la toucher, lui basculer doucement la tête et planter ses yeux dans les siens. Qu'il y lise tout ce qu'il n'avait pas à se reprocher, tout ce que Gerhard portait comme ses fautes. C'aurait été juste, il les avait commises, et maintenant Opale se les réappropriait en les moulant à sa guise. Un manteau bien hideux qui n'aurait jamais dû reposer sur ses épaules. Elles supportaient déjà bien assez ; Gerhard ne voulait pas qu'il s'y ajoute, égoïstement.

Malheureusement il restait lâche, malgré toute la bravoure dont il avait cru faire preuve, et Opale était si proche et si loin que lever le bras était mission impossible. Il se trouvait des membres de plomb comme excuse à son inaction, regardait Opale s'enfoncer dans sa litanie parce que ce n'était pas quelque chose qu'il avait appris. Agir, stopper. Il frappait jusqu'à céder, ou bien il cédait jusqu'à frapper, il n'avait jamais eu besoin de faire autrement : les choses se passaient et il acquiesçait, c'était comme ça que ça marchait.

Jusqu'à maintenant, jusqu'à Opale dont le trouble agitait la respiration et les membres, avec ses mains tremblantes et ses pas plus incertains encore.


-Ce n’était qu’une excuse pour vous crier dessus, il n’y avait rien de bon dans ce qui a pu être dit. Jamais je n’aurais dû… Ce n’était pas… La vérité c’est surement que je… J’ai besoin de vous.


L'admission le souffla. Elles mirent un arrêt net à ses pensées folles, Gerhard cligna des yeux, et tout à coup le monde qui se présentait devant eux était neuf, une apparence nouvelle à laquelle il n'y avait aucun sens.

Opale, besoin de lui ? Il avait envie de lui dire qu'il se trompait. Opale n'avait pas besoin de lui. Il avait Vynce. Au-delà de ça, il avait lui-même. C'était sa meilleure arme, sa meilleure chance. Gerhard l'avait épié, du coin de l'oeil, tout ce temps ; avait vécu avec lui, s'était inséré dans son quotidien insidieusement, un bras offert par ici, un brin de ménage par là, et ne s'était jamais fait aucune illusion sur son utilité, sur le rôle qu'il jouait. L'intru qui se glissait dans les brèches, un soutien temporaire jusqu'à ce que l'on se rende compte du poison qu'il laissait dans son sillage. Sa mère avait vécu avec dix-sept ans, une éternité pour une humaine, et sitôt qu'il était parti elle avait dépéri.

Mais Opale ne mentait pas. Pas sur ça - les gens mentaient toujours, après tout, qu'ils le veuillent ou non - et Gerhard lui avait dit sur la plage qu'il lui faisait confiance ; avait placé sa main dans la sienne et s'était laissé guider dans une eau qui ne l'avait jamais accepté auparavant. Cela voulait dire quelque chose.

Quelque chose qui se prononçait en ces mots tremblants soufflés dans le calme avant la tempête. Opale la sentait-elle tonner au loin ? Il tremblait de tous ses membres. Il leva la main à hauteur de ses yeux, et pour toute sa cécité Gerhard sut, en cet instant, qu'Opale décelait sa paume dans la noirceur de sa vision, un phare dans la nuit, la dernière rempart contre l'orage qui tonnait au loin. Dernier avertissement. Opale souffla son prénom, Gerhard, et Gerhard leva la tête, prêt à courir dans sa direction, à tendre les mains pour l'attraper et réaliser que ce moment qui changeait tout était réel.


Opale dit : - Je crois que… Je vais m’évanouir, bascula en avant, brave malgré tout, c'était lui qui parcourait le dernier mètre qui les séparait, qui agrippait sa chemise, dans une poigne de fer qui secoua leurs deux corps fins.

Gerhard dit : - Grand dieu, Opale !, bascula en avant, lâche jusqu'au bout, c'était lui qui levait les mains, osait enfin toucher ce qu'il n'avait qu'osé effleurer, avec des mains frissonnantes qui peinaient à mesurer leur chance.


Ce simple contact électrisa sa peau, à moins que ce ne soit la réalisation qu'Opale, sous ses habits toujours aussi élégants, brûlait d'une température qui n'était pas normale. Un temps suspendu, le moment reprit son cours. Opale s'effondra contre lui, et Gerhard le rattrapa avec l'énergie du désespoir, le coeur au bord des lèvres. Il se souvenait de sa peau fraîche, encore plus que la mer ; il était chaud désormais, d'une chaleur insidieuse qui n'avait rien à voir avec celle qui se propageait dans son corps quand ils liaient bras et mains. Gerhard déglutit. Il sentait une sueur froide lui remonter le long de la colonne vertébrale, le paralyser entièrement.

Et puis Opale émit un son qui aurait pu être un grognement, une plainte, n'importe quoi, et Gerhard jura. Il n'avait pas l'habitude de manipuler les gens ainsi, et la panique rendait ses mouvements erratiques, trop brutaux. Il n'arrivait pas à instiller la moindre douceur dans les spasmes qui prenaient possession de ses membres, cherchant à tirer chacun dans une direction différente tout à la fois. En désespoir de cause il se rappela quelque conseil avisé - toujours tenir la tête, ne pas la laisser dodeliner, la colonne vertébrale est la partie la plus importante et délicate du corps humain - et s'empressa de les appliquer, jetant toutes ses forces dans la même direction.

Les cheveux d'Opale étaient doux sous ses doigts rugueux, davantage encore quand Gerhard toucha l'endroit où peau et cheveux se rencontraient, une petite zone tirée à l'excès que son pouce commença à masser inconsciemment.


- Opale, je... Il ne pouvait pas dire qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il faisait. Il ne savait pas s'il serait entendu à part par lui-même, et quelque part c'était une audience bien suffisante. Je vais vous bouger, Opale, pardon, pardonnez-moi.


Sa main attira la tête du médecin contre sa clavicule couverte - il crut un instant sentir le souffle chaud du Nébuleux traverser vêtement et bandage, mais non ce n'était qu'une illusion évidemment, une sale blague de son esprit - l'autre migra de son épaule au bas de ses reins, en épousa la forme en froissant les tissus qui s'entrecroisaient à cet endroit. Gerhard sonda la pièce du regard, mais il n'y avait bien que le canapé dans lequel il pouvait allonger Opale. Hors de question de le faire passer par-dessus bord ; exerçant une légère pression, Gerhard parvint à soulever Opale du sol, d'un effort qui le laissa pantois.
Il le portait, pas très grâcieusement, mais ils n'avaient pas le luxe de se soucier de ça en cet instant : cahin-caha, titubant et soufflant, tant de peur que de l'effort, Gerhard parvint à contourner le canapé, à y allonger Opale. Le long corps du médecin faillit lui échapper quand il le posa, et entraîner Gerhard avec lui ; ce dernier se rattrapa avec un juron plus prononcé, un genou s'enfonçant dans les coussins fermes de la méridienne.

Un coussin servit à élever la tête d'Opale, la touche finale à un spectacle bien triste. Sans sa respiration hachée, Gerhard l'aurait cru— Non, mieux valait ne pas y penser, pas maintenant. Quelqu'un d'autre se serait relevé, satisfait du travail accompli, pour s'éponger le front avec le dos de la main, l'autre sur une hanche pour contempler son oeuvre. Du type à dire une bonne chose de faite !, seulement Opale n'était pas une chose mais quelque chose de bien vivant, et Gerhard ne voulait pas le quitter. Séparés quelques jours et voilà qu'il revenait la queue entre les jambes, s'inclinait bien bas sans aucune vergogne, ne voyait pas quel autre choix il aurait pu faire : pour Opale, il aurait rampé sur des clous, ne serait-ce que pour une once de son attention. C'était bien quand il ne la lui avait pas accordé que Gerhard se rendait compte qu'elle lui manquait.

Et maintenant il l'avait, et son désespoir grandissait au fur et à mesure que s'écoulaient ces tortueuses secondes. Il ne savait pas quoi faire. Il ignorait même quel était le problème. Opale avait-il dormi, ces derniers jours ? Il n'aurait su le dire. Mangé ? La réponse était la même. Abusé de son pouvoir, son sang s'était-il teinté ? Gerhard ne décelait aucune trace de ce noir sinistre qui lui courait dans les veines, mais cela ne voulait rien dire. Son cerveau cataloguait chacune des possibilités et n'en retenait aucune, petite chose inutile qu'il aurait voulu s'arracher de la boîte crânienne si seulement cela aurait pu les aider. Penché sur Opale, son visage si proche du sien, leurs hanches se touchant, ce point de contact qui l'enivrait malgré la situation, Gerhard céda à la tentation, juste cette fois se dit-il, et autorisa sa main à venir épouser le visage du médecin. Ils tremblaient tous les deux, nota-t-il distraitement, mais pas de la même façon, leurs frissons apartés qu'ils se partageaient désormais via cette main sur cette joue. Opale soufflait le chaud et le froid ; Gerhard l'observa, yeux écarquillés, ses respirations rendues courtes par la panique qui ne le quittait pas.


- Opale, appela-t-il comme un enfant perdu. Opale, est-ce que vous m'entendez ? Je suis là.


Peut-être n'était-ce pas aussi rassurant qu'il ne le pensait. Fût un temps où il y aurait cru dur comme fer. Mais les admissions du médecin flottaient dans son esprit, trop fraîches, prononcées avec trop de douleur pour qu'elles n'aient pas un brin de vérité, et il ne pouvait les discréditer comme paroles fallacieuses.
Alors il offrit la promesse de sa présence et continua, à voix basse, l'urgence déformant les syllabes de cette langue qui lui permettait de ne s'exprimer qu'à demi-mots :


- Je suis là, si vous le voulez, quand vous voulez. Grand dieu, Opale ! L'explétif tombait de ses lèvres trop facilement, alors qu'il sentait son temps être compté, à moins qu'il ne s'imagine ces secondes qui s'écoulaient sereinement, impassibles à leur querelle. Si cela peut vous rassurer nous dirons que j'avais raison, mais rien de ce que vous avez dit n'était faux. Je vous ai causé du tort comme si je ne savais pas ce que je faisais, et vous implorez mon pardon ? Opale, non. Il déglutit. Sa gorge était serrée. Cherchait-elle à l'empêcher de s'exprimer, le réflexe de celui qui n'avait jamais eu à s'excuser auparavant ? Il passa outre, il fallait qu'il passe outre. Vous avez raison, je ne vous connais pas, mais je veux— Opale, je ne devrais pas avoir à vous lire, vous n'êtes pas... Opale. Opale, ouvrez les yeux, dites-moi ce que je dois faire. Dites-moi comment je peux vous aider.


La réalisation finale tomba comme un couperet, la dernière pièce du puzzle. La défaite avait un goût suave. Il devait être agréable, pensa-t-il, de ne pas avoir à vivre dans une illusion de sa propre création. Il tenait un homme qui le détestait, qui ne le détestait pas ; il se gorgeait de sa présence, trop couard pour reculer, remettre une distance correcte, mais craignant encore plus ce qui suivrait.


- Opale, souffla-t-il rien que pour eux, je n'ai aucune idée de ce que je fais.
Mer 24 Avr 2024 - 0:29
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Before the sun sets

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Feat Gerhard



Sa paume rencontra le torse de Gerhard, infime mouvement balancier qui l’entraina tout entier. Sa cheville s’était tordue, lâche et fragile et ses genoux lâchèrent, libérés d’un fil coupé trop vite. Ses muscles ployaient, mous et faibles et tout son corps bascula contre ce corps étranger. Théâtre obscur clos sur ses paupières et il lui sembla qu’inspirer était difficile pour cette marionnette qui ne répondait plus, ou du moins pas totalement. L’air entra dans ses poumons et il tenta de se raccrocher à Gerhard mais son bras retomba mollement contre ses membres chiffons.

Le temps noir s’écoulait, à la fois éternel et négligeable. Les mains l’agrippaient pourtant, d’une poigne tremblante. Opale ne souffrait pas mais le malaise grimpait, grandissait en lui, se glissait dans sa gorge, sous ses paupières, le frisson coulait le long de sa colonne et ses cuisses, l’électrisait tout entier de cette paralysie ignoble. Alors il tentait de lutter contre la douce inconscience à laquelle il aurait pu s’abandonner, parvenant à entrouvrir les lèvres pour laisser s’échapper un sanglot étouffé. Comme il était terrible, de sentir son corps terrassé par lui-même. Tenter, dans ses derniers retranchements, de repousser la conscience dans le lointain, obscur et rassurant. Les fibres lucides s’éclataient contre la parois de son crâne et il refusait d’embrasser la sensation qui frappait comme le venin d’un serpent.

Il avait oublié ce qu’il disait, ce qu’il faisait les secondes qui précédaient sa chute. Il possédait encore assez de clarté pour percevoir la voix étouffée de… De qui au juste ? Sa tête si lourde bascula lourdement contre les tissus doux et les doigts étrangement froids qui parcouraient l’arrière de son crâne tombèrent le long de ses reins. Toutes ses pensées n’étaient qu’un mélange balbutiant et incohérent. Opale en cet instant n’était qu’un corps, lourd, pesant, entrainé par la gravité jusque sur la terre car il n’y avait plus un mouvement qui le retenait. Il avait trop lutté, ces années passaient et les poids hurlaient, pénétraient ses épaules et finissaient par le terrasser jusqu’à qu’il ne tienne plus.

Lui avait réconforté ce poison, le berçant, utilisant sa lumière pour nourrir les autres. C’était le jeu, pourtant. L’implacable conséquence qui un jour l’embrasserait. La voix de sa mère siffla dans un coin de sa tête ce qu’il refusait d’entendre. Son souffle grandit dans sa poitrine et il inspira l’odeur à la fois si nouvelle et si familière de celui qui en cet instant, le portait. Oui, on le portait. Il n’en avait pas conscience mais il le sentait, néanmoins. Ces bras d’homme, à la chair chaude, épaisse et rassurante qui serraient ses sens engourdis. Son corps retomba contre les coussins fermes du canapé et la poupée aurait pu rester là, endormie. Spectre blanc, lisse, parfaitement immobile si ce n’était pour la respiration qui soulevait rapidement sa poitrine et la sueur qui perlait à son front.

Il entendait la voix de Gerhard mais il ne trouvait pas en lui, le phare et la lueur suffisante pour s’y raccrocher. C’était toujours étrange, mais la voix de sa mère avait disparue, remplacée par cette voix grave, tremblante et nerveuse qui vibrait jusque contre sa poitrine. Je suis là. Il était là. Juste là. Il poursuivait, le poussant à ne pas sombrer plus profondément. Il ne le laisserait pas se reposer, donc ! Son cœur battait, pulsait jusque dans ses oreilles, sa bouche était sèche et il lui sembla regagner du pouvoir sur ses doigts. Son prénom dans sa bouche roulait sous sa langue avec une douceur incertaine, comme si le simple fait qu’il le prononce encore et encore empêchait qu’il ne s’échappe.

Il n’était qu’un oiseau pâle entre les mains d’un humain, qui serrait son minuscule corps entre ses doigts, les plumes douces et fines pourraient caresser ses paumes, ses joues. Son cœur était si dérisoire, il pourrait l’écraser. Mais toute la préciosité avec laquelle il prononçait ces quelques lettres lui donnait envie de s’y lover.

Les secondes défilant, il commença à sentir ces mêmes mains caressant son visage avec une délicatesse grandissante. Que craignait-il ? De le briser ? La réalisation lui fit doucement ouvrir les yeux et il tomba sur ce visage. Flou, encore étouffé des affres de l’étourdissement. Il ne l’avait alors jamais vu d’aussi prêt. Tout son corps, réalisa Opale, était quasiment contre le sien. La tête du médecin était lourde, tout comme ses membres qu’il peinait à ranimer. Le souffle de Gerhard caressait ses lèvres et il les entrouvrit, ramenant ses mains encore faiblardes contre les joues de celui qui semblait pourtant le mépriser d’une haine froide quelques jours auparavant. Ses doigts chauds effleurèrent les pommettes, grimpant le long des tempes jusqu’à caresser les quelques mèches brunes qui les piquait. Les picotements au bout de ses membres le ramenaient doucement à lui et il songea qu’il devait avoir de la fièvre. Le sang qui avait quitté son visage revenait, surement, chauffant son front et ses joues.

-Par..don…

Murmura-t-il d’une voix entrecoupée, pâteuse et croisse. Pardon pour quoi ? Lui même n'en était pas certain. Ses yeux pâles avaient quelque chose d’encore distant, bien présents mais encore peu éclairés de toute sa lucidité habituelle. Il inspira par le nez, refermant les paupières quelques instants, traçant la carte du visage de Gerhard en effleurant son front, ses sourcils et ce nez, aquilin et à l’étonnant creux de chair plus fragile qui indiquait des marques passées. Une cicatrice… ? Engourdit, il retomba contre sa gorge, puis son col, bougeant le bassin pour tenter de ranimer ses jambes qui étaient encore inertes.

-Reste…

Articula-t-il en déglutissant. Le nébuleux tentait de recoller les morceaux de pensées qui s’étaient évadées. L’espace de quelques minutes d’inconscience lui avait paru être une éternité, une vie à s’écouler.

-Continue, de parler. Juste quelques instants. S’il-te-plait.

Il fronça les sourcils, laissant retomber l’une de ses mains contre sa propre poitrine, serrant sa chemise. Il avait mal et il était encore désorienté. Opale ne se rendait même pas compte qu’il le tutoyait. Tout ça, il savait que c’était son corps qu’il lui rendait, purement et simplement, ces semaines de surmenage. Il n’avait pas cherché à les éviter, voilà tout. Mais la présence de Gerhard était si… Soudainement si… Tendre. Il rouvrit les paupières, vissant son regard dans le sien pour éviter de se perdre à nouveau. Il devait… Se calmer, voilà tout. Et voilà qu’ils ne s’ignoraient plus.

-Je n’ai pas peur de toi, tu sais.

Ajouta-t-il doucement, ne le lâchant pas des yeux comme s’il craignait de perdre cette proximité. L’une de ses mains se trouvait toujours contre la joue de Gerhard. Etait-il étrange de vouloir prolonger un tel instant ?



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Mer 24 Avr 2024 - 15:42
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Gerhard Speckmann
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Gerhard crut défaillir quand Opale papillonna des yeux. Toujours de ce monde, Dieu - n'importe lequel suffirait - en soit loué, ses prunelles pâles peinaient à en redécouvrir les contours. Il lui apparut qu'il masque la vue qu'Opale aurait pu avoir sur le salon ; et, dans le même souffle, que c'était sûrement la première fois que le médecin apercevait son visage.

Il n'avait pas demandé. La question lui avait toujours paru déplacée, et Opale se débrouillait très bien sans apercevoir son visage, il supposait. Qu'avait-il vu ? Qu'avait-il perçu ? Des traits flous dont les contours s'effondraient les uns sur les autres, une tache noire comme cheveux ; ou bien un trou béant, rien que le vide, celui que Gerhard ressentait parfois battre en rythme avec son coeur ? La vue était à la fois une force et un défaut terrible, et il ne doutait pas qu'Opale, dans toute sa cécité, soit parfois le plus connaisseur d'entre tous.

Tous ces questionnements philosophiques, cependant, il les réservait à Ezekiel. Des fois, une chose n'avait pas besoin d'être creusée pour être un problème. Opale ne voyait quasiment pas et cela lui pesait : c'était tout, c'était simple, c'était quelque chose que Gerhard ne pourrait jamais comprendre, cette perte lente de soi-même, une autre partie qu'Opale donnait aux autres sans réserve, un sacrifice douloureux qu'il effectuait sans broncher, parce qu'il était comme ça, altruiste jusqu'au bout. Est-ce qu'il y avait des moments où il insultait ces gens, ces habitants de l'île dont la seule présence sapait ses forces ? Gerhard l'observait maintenant, et il l'imaginait lâcher prise, sombrer, mais solitairement, comme toujours. L'âme qui vivait à l'écart, sur cette maison en bord de falaise, avec la mer et les plantes pour seules compagnies : il s'effondrerait un jour qu'on ne s'en rendrait pas compte. Opale se serait coupé du reste comme un membre gangréné dont on se sépare pour éviter l'infection.

Cela n'arriverait pas. La résolution le prenait : cela n'arriverait pas, pas tant qu'il était là pour y veiller.

- Par..don…


Cette excuse soufflée atterrit sur ses lèvres. Opale avait entrouverte les siennes, et sa respiration s'y échappait par hachures plus paisibles. Il semblait à Gerhard que le médecin retrouvait des couleurs, quoiqu'étant pâle de base, la chose était discrète.

Il ne pensait, à dire vrai, pas grand chose : car Opale avait levé une main fébrile à son visage, et en traçait désormais les contours. Gerhard inspira, fébrile, et maintint là cet air, il osait à peine bouger, à peine respirer, de peur que son souffle ne disperse ce qu'il restait d'Opale en des milliers de grains de poussière. Il voulait répondre à Opale qu'il n'avait rien à se faire pardonner ; sa voix se bloqua dans sa gorge, les fonctions naturelles de son corps cédaient face à l'exploration timide du médecin. Il avait suivi ses pommettes saillantes, avait dégagé de son front quelques mèches noires qui tombaient délicatement sur sa peau. Ses doigts semaient dans leur passage des millions de picotements, et Gerhard savait qu'il ne rougissait pas - ce n'était pas une occasion où il, où tout lui, se sentait à faire les mijorés - mais la chaleur lui montait aux joues, se propagaient dans les coins qu'Opale avait manqué.


Et qu'ils étaient peu ! Enhardi par le manque de réaction de Gerhard, à moins que ce ne soit la fièvre qui guide ses gestes, Opale continuait, encore et toujours. Ses mains passèrent sur son front, et Gerhard capitula derechef : ses yeux se fermèrent, fébrile qu'il était par cette caresse qui lui avait rappelé, en un éclat, ceux de sa mère qui un jour avait été aimante. Ils se fermèrent, à temps pour apercevoir qu'Opale faisait de même de son côté.

Ils se complurent dans ces ténèbres individuelles, qu'ils partageaient pourtant en cet instant. Un battement de paupières qui les liait, ça et ce contact chaud, ces mains qui se déplaçaient, ébouriffaient ses sourcils, tâtaient son nez. Il entendit un soufflement surpris quand Opale discerna le grain de peau de la cicatrice qui en ornait l'arête.

Etait-ce ainsi que vivait Opale ? Le noir total ? Il avait l'impression que ses sens étaient décuplés, que la moindre respiration enveloppait son être, que le moindre son - froissement de tissu, peau raclant sur peau, expiration prononcée - résonnait entre ses deux oreilles. Gerhard ne s'était jamais senti aussi au lieu de son corps qu'à cet instant, disséqué sous les doigts experts d'Opale et ses yeux fermés.


Et puis tout disparu, et Gerhard manqua d'en gémir de protestation. Tenta de chasser une chose qui n'était plus là : Opale s'était retiré, comme si lever ainsi les bras avait sapé les dernières forces qu'il lui restait. Il ne demeurait qu'une paume contre sa joue, qui se refroidissait au fur et à mesure que les secondes s'écoulaient. Gerhard rouvrit les yeux, et la manière dont il vit Opale, main posée sur son torse,  lèvres entrouvertes, manqua de le faire défaillir. Pendant un instant son esprit superposa sur cet homme l'image du corps de sa mère, habillée de ses plus beaux habits pour une dernière demeure que Gerhard ne visiterait plus jamais. Immobile, les joues relevées d'un peu de maquillage pour en chasser la pâleur mortifère. Gerhard s'était penché pour l'embrasser, et elle avait été rigide, rigide et froide.


- Reste… La voix faible d'Opale le tira de cet effroi ; Gerhard cligna des yeux, et ce qui avait été s'effaça si rapidement qu'il en resta pantois, la bouche ouverte sur une expiration sifflée qui aurait fait pâlir une couleuvre. Sous son corps, Opale bougeait faiblement les jambes, comme si se rappelant qu'il en possédait. Les morts ne bougeaient pas leurs jambes ; la dernière preuve, s'il en fallait, qu'il était vivant, au moins pour l'instant. Continue, de parler. Juste quelques instants. S’il-te-plait.


La requête le déboussola ; et plus que ça, la supplique qu'il entendait dessous. Comment les rôles avaient-ils pu s'inverser ainsi ? C'était lui, de base, qui aurait dû supplier à genoux. C'était Opale, désormais, qui quémandait sa présence. Le tutoiement franchissait ses lèvres aussi naturellement qu'il respirait, loin de cette proximité forcée qui avait eu pour but d'attaquer, de blesser. Gerhard avait un temps accusé le coup, de cette cuisine, ce jour-là qui lui semblait maintenant si lointain, si dérisoire— Non. Cela avait été le début de leurs problèmes, dont Opale récoltait aujourd'hui les conséquences.
Gerhard aurait voulu qu'Opale continue de lui parler ainsi, avec cette révérence qui collait à ses syllabes. Il lui demandait ! S'il l'avait pu, Gerhard aurait pris sa place sur le canapé, aurait dressé Opale dans ses propres chaussures vernies, et aurait prié les yeux levés vers ce seul être qui était capable de lui offrir l'absolution.

Il ne pouvait que se baisser à son niveau, désormais, et espérer que cela suffise.

Opale l'épingla du regard, bleu dans noir, la lumière contre l'ombre, une bataille où Gerhard hissait le drapeau blanc sans attendre ; mais il en était incapable, ç'aurait été détourner les yeux, se détourner d'Opale, et c'était un crime qu'il avait bien trop commis, en toute impunité, qu'il regretterait jusqu'à la fin de sa vie.


- Je n’ai pas peur de toi, tu sais.


La confession vint dans le même murmure, et Gerhard fondit contre elle. La fragilité secouait la voix d'Opale. Il aurait pu mentir, mais il n'aurait pas pu mentir, parce que c'était Opale. Ils se regardaient dans les yeux. Pour la première fois, Gerhard avait la certitude qu'il le voyait lui, et pas une tache mouvante qui le distinguait des objets inanimés qui avaient constitué la majeure partie de son quotidien.

Il y croyait. Il aurait voulu hocher la tête, mais cela aurait délogé ce point de contact, cette main sur sa joue, et Gerhard voulait la garder là où elle l'était, pour une seconde, quoiqu'il se serait davantage contenté de l'éternité. Il offrait la sienne à Opale : ses années humaines, et son souvenir qui demeurerait bien après sa mort, dans les mémoires des uns et des autres, dans des lettres que l'on trace dans un livre, dans ces petites images qui, il espérait, le rappelerait à Opale dans deux cent ans, dans mille, pour toujours.


Lentement, Gerhard dirigea une main vers le visage d'Opale. Ses doigts frôlèrent son menton fin, comme pour en tester la texture. Peau on ne peut plus basique, un peu chaude mais rien d'alarmant : son cerveau projetait ces données devant ses yeux, Gerhard les chassa d'un battement d'yeux. Tout cela, il voulait l'expérimenter par lui-même, pas par la froideur d'une analyse compulsive qui lui venait au quotidien.

Il miroita les gestes d'Opale : sa paume prit la forme de sa joue pâle, le pouce en flatta doucement l'épiderme qui se trouvait à sa portée, de petits gestes circulaires qui imprimaient dans leur sillage un peu de rouge sur cette peau de porcelaine. Opale voulait qu'il parle ; il n'avait rien d'autre à dire que des inepties, mais il les lui offrait sans hésitation.


- Je n'ai pas peur de toi non plus, confia-t-il, faisant écho à ce moment qu'ils avaient partagé dans les grottes de la plage. J'ai peur pour toi. Tout ce que tu fais pour cette île, pour moi, et c'est comme ça que tu es remercié. Un goût amer lui emplit la bouche. Comment je te remercie. Vynce avait raison de se méfier. Je suis un humain. Nous ne sommes pas faits pour la paix.


Il s'était cru meilleur, mais en vérité il avait été idiot. Parce qu'il n'avait pas lynché un Nébuleux dans la rue, il avait cru qu'il avait échappé à ce que la société avait fait de lui ? Peut-être était-ce ce que sa mère avait craint, qu'il rentre dans un moule qui, même les bons jours, ne le seyait guère.

Sauf ce jour-là, dans la cuisine, où il y l'avait revêtu à la perfection. Il l'avait dressé comme l'arme qu'elle avait toujours été, celle qui l'avait parfois battue dans sa jeunesse, et quand il s'était réveillé il avait été trop tard, Opale était parti, il avait été seul. Il avait laissé Opale seul.

Gerhard déglutit. La nature de leurs êtres les façonnaient pour la guerre, mais il désespérait pour la quiétude d'une existence tranquille, qu'il avait frôlé du bout des doigts en s'installant dans cette maison à l'écart de tout si ce n'est d'une âme tranquille. Il avait envie d'essayer, pour Opale, et pour lui. Déjà, le monde avait de nouveaux reflets qu'il décelait du coin des yeux - il n'osait détacher son regard du visage fin du docteur, de la vulnérabilité qu'il lisait là - mais il restait quelques couches que Gerhard voulait abattre à mains nues. Plus rien entre lui et le reste, juste une réalité qu'il serait incapable de façonner, petit humain insignifiant qu'il était.

Une existence paisible.


- Mais je veux essayer, pour ici, pour toi, pour... pour nous, puisqu'il reste un nous, dieu seul sait comment. Toi seul sait comment. Pour autant qu'il s'en souciait, cela revenait au même. Ses doigts accrochèrent un noeud dans les mèches blanches d'Opale ; il le tritura distraitement, les lèvres un temps plissée dans une moue de concentration intense, avant qu'il ne la redirige vers des instances plus pressantes. Et je veux... Toi et moi ici, que tu me laisses t'aider, que tu me laisses... faire quoique ce soit, n'importe quoi. Opale, j'épousseterais la moindre marche d'escalier si cela pouvait t'aider. N'importe quoi. Absolument n'importe quoi.


Il ignorait comment exprimer à cet homme à quel point il était à son service, comment ne pas rendre ça aussi étrange que cela devait l'être. Son ton révérentiel devrait suffire ; cette lueur d'adoration qui perçait ses prunelles noires, qu'il sentait poindre au plus profond du trou noir, qui réchauffait son être. Son corps tout entier chantait son soulagement : il avait encore une place ici, il avait encore une place ici, aux côtés d'Opale, sur ce canapé, à le toucher, à respirer le même air. Leurs souffles se mélangeaient. Leurs yeux ne se quittaient pas. Gerhard ne l'avait jamais observé d'aussi près. Ses cils blancs s'entremêlaient délicatement à chaque battement de paupière. Il était splendide, et Gerhard était en transe. Chacun une main sur le corps de l'autre, une communication à la fois partielle et si complète. Gerhard aurait pu rester ainsi pour toujours ; en cet instant, il n'avait pas besoin d'autre chose pour vivre.
Jeu 25 Avr 2024 - 0:06
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Opale Caladrius
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Opale Caladrius

Before the sun sets

we shall reunite

Feat Gerhard




Gerhard le tenait si tendrement qu’il aurait désiré qu’il ne le lâche jamais. Il se sentait chez lui.
Lové dans ce regard miroir qui ne le quittait plus, la lucidité le perçait à jour. Un souffle tremblant, à peine contenu le tendit lorsque ce reflet reproduit ses propres gestes. La même lenteur affleurait sur sa peau, la rendait fébrile. Cherchait-il à le voir comme lui le voyait ? Du bout de l’épiderme, dans la moindre respiration, fourmillement à bout de nerfs, l’oiseau s’en retrouvait immobile. Il était, bien soudainement, à la merci total de cet homme qui le parcourait du pouce, relevait son menton du bout de ses doigts froids. Opale ne le quittait pas, de ses prunelles pâles et tremblantes. Un léger inclinement de sa tête épousa la main de Gerhard sans cesser de l’observer.

Gerhard le faisait avec une telle révérence. Il avait la sensation d’être soudainement une chose trop précieuse. Fragile. Et en cet instant il se permettait de l’être. Juste un peu.

Cet homme était venu, un matin, chez-lui. Les lueurs étaient pâles, l’air était encore froid de la fin de l’hiver. Les oiseaux battaient l’air de leurs ailes, contre les vents et marées. Il était entré, par la porte. S’était glissé entre ses murs. Il avait grimpé les marches, allumé le feu. Posé ses mains sur les meubles, effleuré les tapisseries. Opale se rendait compte à présent. L’idée s’était insinuée en lui et il l’avait rejetée. Gerhard avait fait de ce lieu sa maison.

Le caladre avait pourtant voulu faire croire le contraire, pendant si longtemps. Qu’il n’était pas cet être solitaire, enfermé dans ces murs étroits. Les visites simples et courtoises lui suffisaient. Parfois un instant de tendresse dans lequel il aimait se réfugier. Sentir la peau, les odeurs, des bras qui l’entoureraient alors et le reléguerait à sa posture originelle et si initialement prévue d’objet. Il n’était rien et il allait mourir seul. Il avait tout fait pour. Un matin, un après-midi ou une nuit, qu’importait réellement, tout ce qui le maintenait sur ce seuil si précaire s’effondrerait. Cette épée de Damoclès qu’il entretenait avec soin, polissant sa lame avec ferveur tomberait sur sa tête, exploserait son crâne, ses os, sa peau, il ne serait plus rien. Et c’était mieux ainsi.

Alors, pourquoi… ? Ces bras l’avaient attrapé. Ces bras qu’il avait continué de prouver en ennemi, comme si cela était plus simple. Ces bras qui l’avaient maintenu à flot, l’empêchant de sombrer et de s’écrouler à terre comme une poupée de chiffon. Ces bras humains. Ils n’étaient pas si solides, pourtant. La minutie avec laquelle ils le traitaient était si délicate lui donnaient trop d’importance. Qu’était-il dans les yeux de Gerhard ? Il ne valait pas la peine d’être regardé, touché avec soin. Il aurait été celui qui l’aurait achevé, pourtant. Il aurait pu le tuer qu’Opale n’aurait pas crié.

Et il parla. L’écho de son ton lui fit doucement secouer la tête. Pourquoi s’en voulait-il à ce point ? Il n’en valait pas la peine.

Pourquoi s’efforçait-il à tout chambouler de la sorte. La conclusion avait été logique, ce jour-là. Cette dispute n’était pas sans importance car elle avait tout dévoilé au grand jour, ouvert une plaie grouillante de maux et de douleurs. Elle l’avait révélé lui, Opale. Il avait eu les mots durs, le visage tordu de colère, il s’était autorisé à cracher, parler fort avec toute la véhémence que contenait le propre poison qui le rongeait.

« Nous ne sommes pas faits pour la paix ».

Et Opale avait ouvert la bouche, pendu à ses paroles, tremblant. Avait-il réellement question de nébuleux et d’humains ce jour-là ? N’était-ce pas simplement lui ? Il s’était projeté, il avait parlé au nom de Vynce, au nom de tous les autres comme s’il était la solution, comme si ce qu’il avait enduré devait s’appliquer à chaque être. Il s’était senti égoïste, sale et coupable. La paix n’avait jamais été l’absence de conflit, mais la manière de faire avec. Et lui n’avait pas su embrasser que Gerhard souffrait aussi.

Opale sentait sa propre main chauffer, ses doigts le picoter contre cette peau si naturellement chaude et vivante. Son pouce effleura sa tempe, glissant à l’angle de son œil. Si fugace. La question continuait de le hanter. Comment le percevait-il ? Pourquoi était-il si beau dans son regard ? Il avait l’impression de le tromper alors que pourtant, Gerhard semblait regarder droit en lui. Il passait la barrière des vêtements, de la peau, fixait un point invisible au fond de sa tête, lisait en lui et y creusait sans parler. Cela coupait le souffle au nébuleux qui n’avait nulle part ou fuir ce regard. Cela le terrifiait, d’être ainsi vu.

Pourtant… Pourtant la tentation de comprendre, de se sentir aussi désiré, la nuance était réconfortante. Oui, c’est ça, il le désirait. Opale n’avait pas besoin de percevoir les émotions débordantes qui s’écoulaient de Gerhard, chaudes et froides, pour le sentir. Et il voulait essayer. Pour lui, pour eux. Qu’il reste un nous. Les yeux de Gerhard dérivèrent un instant dans ses cheveux et il eu l’envie d’encadrer son visage de ses mains avec force, pour qu’il ne le lâche pas. L’impulsion le surprit lui-même et il frémit.

Il voulait l’aider.
De l’aide.

Ces simples mots expulsèrent ses moindres forces et il contint un hoquet étouffé, le visage changeant.

Était-ce bon ? Était- ce juste ? Était-ce réel ?
En avait-il le droit, seulement ? Avait-il le choix ?


Il se sentait trembler, à fleur de peau. Cet homme, oui, cet humain, cet homme-là, il semblait être prêt à tout pour lui. La résolution dans ses moindres mots et gestes, l’implacable amour laissé en suspension au-dessus de son être faible. Il l’adorait. Lui aurait pu être inerte et détestable et il l’adorait. Il se percevait en l’instant dans le regard d’un autre. Un autre amoureux. Était-ce le mot ?
On ne tombait pas amoureux d’Opale. On le voulait, oui, on le possédait, oui, on le blessait, oui, car il était ainsi. Et Gerhard ? Avait-il déjà été aimé ? Parfois il sentait peser dans son regard une implacable tristesse. Jamais il ne se percevait suffisamment digne. Mais il était tellement plus que ça ! Car jamais personne n’avait réussi à l’énerver comme il l’avait fait, jamais personne ne l’avait mis à nu d’une telle façon, épluchant ces vêtements dont il se parait joliment à la simple force de ses mots.
Et il était si proche. Si proche. C’était la première fois qu’on le regardait vraiment. Opale aurait pu s’effondrer, fondre sous ce regard si dévorant. Tendre mais puissant. Il ne pouvait s’en détourner et son corps bougea de lui-même.

L’une de ses jambes remonta doucement, seule dans le froissement des tissus qui se frottent. L’air semblait trop froid pour s’écouler et Opale terrassa les quelques centimètres qui les séparait encore. Son visage s’avança, quittant l’appui confortable de la méridienne. Ses lèvres rencontrèrent, tout doucement, le front de Gerhard. Puis, fébrile et tendu dans un geste, il descendit dans le creux entre son nez et son œil, caressant les saillies de sa bouche, fermant les yeux en sentant les cils battre contre sa joue. Les ailes d’un papillon si volatile mais possédant plus de force qu’il n’en aurait jamais.

-Oui, sauve-moi.

Murmura-t-il, la respiration hachée. C’était évident. Ou l’était-ce vraiment ? Était-ce ces mots qu’il avait toujours gardé enfermé, très loin au fond de lui-même ? Deux simples termes. Qu’il n’avait jamais osé dire, même pas dans le miroir. Il avait voulu s’enfermer, si loin, mais Gerhard avait ouvert la porte.

Un sanglot remonta dans sa poitrine, comme si la chaine brisée n’était plus capable de contenir cette douleur. Sa main quitta la joue de Gerhard pour se glisser dans ses cheveux noirs, agrippant l’arrière de sa tête puis sa nuque, son autre main remontant le long de son torse pour passer dans son dos, serrer sa chemise avec l’énergie du désespoir.

-Tu me fais ressentir, tu me fais ressentir répéta-t-il en détachant chaque syllabe, intensément, une forme d’acharnement dans son ton. Je n’aime pas ça, je… Vais te salir. Gerhard, je vais te salir. Tu es si patient, si... Je t'ai dis des choses horribles, je suis désolé, ho, désolé.

Son corps se hissa de ses maigres forces contre son torse, sa taille collée à la sienne de son échine courbée. Il craignait de souiller cet être si tendre, si pur, prêt à tout pour lui. Son masque de vertu à lui n’était qu’un mensonge. Et pourtant, diable qu’il désirait le tenir contre lui en cet instant. Les émotions de Gerhard se mêlaient aux siennes et il aurait presque pu les voir leurs couleurs filer dans les airs s’il levait la tête. Mais il refusait de le quitter des yeux. Il avait terriblement envie de l’embrasser, de lui montrer qu’il était capable d’aimer lui aussi. L’était-il, vraiment ? Il n’en était pas certain, pas encore. Il avait beau paraître angélique et pâle, il se savait pourri de l'intérieur. Cela le terrifiait, de se rapprocher d'un être humain, à la vie si courte et si docile.

notes
Jeu 25 Avr 2024 - 12:09
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Gerhard Speckmann
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Ses prières étaient reçues comme des coups de fouet, et Gerhard les sentait se répercuter dans tout ce corps tendu à l'extrême dont il ne pouvait se détacher. Cela aurait demandé une force qu'il ne possédait pas, toute allouée à cette étreinte imparfaite - mais la leur, assurément - qui les liait comme deux noyés qui se hissaient mutuellement. La grande vague les emportait encore et toujours plus loin de rivage mais ils savaient, quelque part, que tout irait bien ; pas qu'ils seraient sauvés, mais qu'ils avaient l'autre jusqu'à la fin, qu'ils continueraient ensemble peu importe l'issue.

Sa mère lui aurait dicté de s'écarter, de laisser Opale à ses griefs, de le laisser épancher son chagrin en privé. Gerhard lui disait d'aller au diable ; ce n'était pas le privé, c'était l'isolation, et elle aurait été d'autant plus cruelle que chacun d'entre eux avait goûté à l'autre, sa présence tangible et la chaleur qu'on s'en voulait de quémander. Opale l'agrippait avec l'énergie du désespoir, des trémeurs secouaient ses bras fins, crispant ses doigts autour de sa joue. Gerhard ne s'en plaignait pas. Comment aurait-il pu en être autrement ? Ces jours passés loin de lui avaient rouvert un gouffre en lui, un gouffre dont il n'avait jamais remarqué l'existence avant d'y être confronté de plein fouet. Il avait passé la semaine à le regretter, sa présence discrète, son silence paisible : celui qui avait envahi sa chambre le soir, qui avait régné dans la maison le jour, lui avait rappelé tous la cruauté qu'il avait savamment caché dans ses craquelures pour mieux les ignorer après.


Il s'effondrerait peut-être avec Opale, et alors ils pourraient recomposer les morceaux qui faisaient d'eux des hommes ; il ne se croyait pas capable de résister longtemps, pas alors que le médecin caressait sa tempe d'une manière si douce. Il réconfortait celui qui lui avait fait du mal ; à quel point était-ce tordu ? A quel point Gerhard l'avait-il détruit, pour qu'il s'écroule ainsi ? Et il se complaisait dans ce geste, et cela lui donnait envie de pleurer, mais nulle larme ne venait, rien qu'une gorge un peu sèche, un peu serrée. Pour l'enterrement de sa mère non plus, il n'avait pas pleuré. Qu'est-ce qui clochait chez lui ? Il s'en voulait et il en ronronnait de bonheur. Les deux faces d'une même pièce. Semblait-il qu'Ezekiel n'avait pas l'apanage de la comédie.

Sans doute était-ce ça, l'adoration. La culpabilité et le bonheur mêlés : qu'il soit pardonné, si vite mais si bien ; qu'ils aient une nouvelle chance, qu'Opale la lui accorde sans détour. Il aurait dû refuser - parce que le médecin était mal en point, était-il à même de prendre une décision dans son intérêt ? Hoquetant et tremblant, il lui semblait davantage qu'Opale se réfugiait dans les premiers bras qu'on tendait vers lui. Ce n'était pas pour Gerhard. C'aurait pu être Vynce— - oh, il aurait dû refuser, mais il en était incapable. Faire du mal ainsi à Opale l'aurait détruit ; accepter ses suppliques également, mais cette douleur était plus douce quand elle était brandie avec amour, d'un côté comme - osait-il l'espérer ? - de l'autre.


Opale esquissa un geste. Il était fébrile mais les forces lui revenaient petit à petit, Gerhard le sentait dans cette froideur qui pénétrait sa joue petit à petit. Cela aurait été inquiétant chez un autre homme, mais l'espèce dont faisait partie le médecin avait, apparemment, une constitution plus fraîche que les humains. Opale ne se dressa pas, il était moins faible mais pas encore requinqué - et Gerhard soupçonnait qu'il lui faudrait plus que ça pour se remettre totalement, mais c'était quelque chose sur laquelle il veillerait - et leurs vêtements frottèrent, leurs corps se resserrèrent davantage. Gerhard émit un son de protestation quand Opale décolla sa tête du coussin sur lequel il l'avait auparavant posé ; sa main libre, celle qui avait établi résidence entre ses cuisses tendues, alla précipitamment soutenir son dos. Il avait une grande paume, des doigts effilés : Gerhard la déplia entre ses omoplates, contre ces tissus rendus moites par une sueur maladive, et se sentit l'âme d'une araignée qui refermait son piège sur sa proie.

Mais qui, exactement, était le chasseur ? Il était paralysé, la tête basse : pénitence ou offrande, chacun pouvait avoir son avis, il n'osait prononcer le sien à voix haute, parce qu'il l'ignorait, il ne savait pas. Il ne savait pas grand chose, cela il l'avait déjà établi. Opale rapprocha leurs visages encore plus et il ferma les yeux, se préparant à l'absolution ou la punition. Il aurait accepté les deux sans broncher.


C'était ce qu'il voulait croire. Que c'était dur, cependant, de retenir son hoquet de surprise quand il sentit des lèvres le frôler ! Son front, comme une mère qui embrasse son enfant - la sienne, dans une autre vie - et puis là, cet endroit entre sa paupière close et son nez aquilin, là où pointait le début de sa cicatrice.
Il était capable de la tracer n'importe quand, dans l'obscurité, avec sa mémoire pour seule alliée. Elle n'était pas hideuse, mais pas belle non plus : une cicatrice, tout simplement, qui marquerait sa peau jusqu'à la fin de sa vie. Quand sa mère l'avait débarrassé de ses pansements, elle l'avait embrassé du bout des lèvres - dégoûtée, peinée ? Fût un temps où il aurait été certain de la réponse, mais maintenant il ne faisait plus confiance en ces souvenirs que le deuil avait teinté d'une nostalgie traître - l'avait appelé sa petite étoile. Quatre branches, pâle : un phare dans la nuit.

Ces cils si fins, qu'il avait admiré sous ses paupières, chatouillaient sa peau sensible. Blanc contre noir : leurs cheveux se mêlaient dans une danse entêtante qu'il suivait sans se poser de questions. Jamais il n'avait reçu pareille étreinte, de sa mère ou d'un autre homme, ou de personne d'autre : ç'avait été lui, toujours lui, seul dans sa chambre, puis seul à la capitale. Il avait évolué dans la faculté de médecine avec le but clair d'en ressortir avec son diplôme. Oh, il y avait eu des compagnons, des partenaires d'une nuit, parfois deux quand ils rechignaient à trouver la sortie de son appartemment et que Gerhard les tolérait plus que d'autres. Il y avait eu des embrassades, des bras que l'on enroulait autour de son torse, et il avait toujours sifflé, battu des mains pour en être libéré. La tendresse avait la place dans son lit, jusqu'au moment où elle allait au-delà de ce souvenir qui se construisait à deux.

Ce n'était pas une étreinte qu'il voulait briser. Il comprenait un peu mieux ces longs monologues niais qu'il avait lu dans les pièces de théâtre, qui hurlaient la douleur d'un amour perdu ou la joie d'une affection retrouvée. Opale murmurait des suppliques contre sa peau et Gerhard s'y perdait, les yeux fermés, osant à peine les ouvrir : tout cela ne pouvait être qu'un rêve après tout, c'est ce qu'il aurait cru, mais son imagination peinait à projeter ses plus folles fantaisies dans la réalité en temps normal.


C'est donc bien que ce devait être vrai. Cette chemise sous sa main, cette peau froide sous l'autre, ce sanglot déchirant qui s'arracha de la gorge d'Opale, quelque chose de terrible qui n'aurait jamais dû exister : tout ça il touchait, entendait, le désespoir primal lui serrait le coeur. A défaut, il ramena davantage Opale contre sa poitrine, et aurait voulu enfouir son nez dans le creux de ce cou délicat si seulement la main du médecin ne s'agrippait pas à ses cheveux noirs avec l'énergie de la dernière chance. Gerhard voulait lui dire qu'il avait toutes celles qu'il souhaitait : en cet instant, il aurait disparu du monde pour simplement faire plaisir à Opale.

Des doigts surprenamment forts accrochèrent sa chemise. Il la délogèrent du pantalon dans lequel Gerhard l'avait fourré ; il n'en avait cure. Taille contre taille, il aurait été incapable de dire où terminait l'un et commençait l'autre.


- Tu me fais ressentir, tu me fais ressentir. Je n’aime pas ça, je… Vais te salir. Gerhard, je vais te salir. Tu es si patient, si... Je t'ai dis des choses horribles, je suis désolé, ho, désolé.


Il était arqué à la limite de la rupture, Gerhard sentait ses muscles hurler sous sa large main. Il ne voyait plus rien que l'obscurité à laquelle il s'était soumise, mais seul le toucher suffisait, ça et son ouïe. Voir Opale si désespéré lui aurait déchiré le coeur. Il avait l'impression qu'ils parlaient deux langues différentes, qu'ils comprenaient malgré tout par la force des choses.

Patient ? Il ne le pensait pas. Pas plus qu'un autre, en tout cas ; mais pour Opale il aurait répété la même chose jusqu'à la fin du monde et même au-delà : quand la galaxie avalait l'air et le son dans ses mâchoires gourmandes, Gerhard aurait hurlé à s'en déchirer les poumons contre l'inéluctable.

La fin du monde n'arriverait heureusement pas, mais celle d'Opale se profilait à grands pas. Gerhard faisait volontiers basculer le destin : en cet instant, l'un revenait à l'autre, et il ne s'imaginait pas vivre dans un après où Opale ne se trouvait pas. Il l'avait expérimenté, une minuscule semaine, à moins que ce ne soit plus ou moins, il l'ignorait. Les jours s'étaient confondus les uns avec les autres. A quel point une pareille existence était-elle misérable ? Il sauterait avant de le découvrir.


- Tu n'es pas sale, marmonna-t-il dans le peu d'espace qui les séparait, quelques millimètres sans doute, qu'il aurait comblé derechef si seulement une grande injustice ne franchissait pas les lèvres du médecin, une injustice qu'il ne pouvait laisser impunie. Tu es tout sauf sale. Ton sang est noir tellement tu es généreux. A assumer les torts de tout le monde. Il frissonna. Notre sauveur. Et le mien, également.


Il se souvenait de ces taches d'huile noire qui avaient maculé le sable de cette caverne ; de la panique qui avait cintré la voix. Opale se croyait une punition infligée au monde. Son pouvoir influençait-il la manière dont il se percevait également ? Gerhard lui aurait donné ses yeux pour que le médecin se voit comme il le voyait lui. Tout un monde résumé en un seul homme.

Las, cela lui était impossible, et insister n'aurait mené à rien. Opale n'était pas en état d'assumer une discussion aussi lourde, des compliments qu'il prenait pour des mensonges éhontés. Elle serait pour plus tard - car il y aurait un plus tard, Gerhard le croyait, il avait confiance en lui, au futur qu'Opale lui promettait - un autre jour, plus radieux, plus paisible.


Il se détacha d'Opale, à regret. La prise dans son dos se raffermit, cimenta sa décision. Il n'était pas certain qu'il aurait pu se détacher du Nébuleux quand bien même il l'aurait fallu. Gabriel pouvait débarquer dans le salon, une météorite pouvait tomber sur Lucent, Vynce pouvait le pendre la tête en bas, il n'en avait cure. Il n'était qu'humain, après tout, avec ses défauts d'humain, ses mains possessives qu'il s'autorisait à laisser cintrer le corps fin d'Opale. Juste pour aujourd'hui. Peut-être pour plus tard.
Gerhard souffla le prénom du médecin, dans un avertissement de son adoration ; puis c'était à son tour d'embrasser, sa tempe froide, cette peau pâle. Il était conscient de ses lèvres sèches, de sa respiration qui s'échappait, saccadée, par ses narines. Il respirait Opale, une odeur d'encre, de vieux livres, un soupçon de terre, une fragance musquée qui flottait dans tout le manoir, qui signait à qui appartenait cette maison que Gerhard avait commencé à penser comme étant la sienne.


- Je te dois tellement de choses, tellement. J'en ai perdu le compte, mais s'il le faut je te remercierais pour chacune d'entre elles, confia-t-il contre la tempe du médecin, dans un murmure qui contenait toutes les émotions qu'il avait appris à garder de son visage stoïque. Cet endroit que tu m'as offert, les repas que tu m'as servi, les leçons que tu m'as donné. Tout. Opale, geint-il soudainement, je n'ai... je n'ai jamais, avec quelqu'un d'autre— Opale, tu m'as tellement changé. Tu pourrais me donner l'ordre de sauter de la falaise, je ne te demanderais même pas combien de mètres elle fait.


De la tempe Gerhard passa à la paupière. Il sentit sous ses lèvres les tressautements d'un oeil à moitié aveugle, un réflexe nerveux du corps humain, mais la preuve irréfutable qu'Opale vivait, et vivrait encore après ça. Gerhard n'aurait pas dû lui en demander davantage, mais... il était humain - horrible excuse - il était égoïste. Prenait, prenait encore, ce qu'Opale lui offrait.


- Et peu importe combien de fois je devrais le répéter, acheva-t-il. Je le ferais. Chaque matin chaque soir. Ici ou devant tout le monde, je m'en fiche. Personne n'a jamais cru que je n'étais pas à ton service. Opale, comment pourrais-je avoir peur de toi, comment pourrais-tu me salir ? C'était au tour de sa main de s'enfoncer davantage dans cette chevelure blanche, pour caresser en dessous des premières couches de cheveux, flatter un cuir chevelu doux, autant que les plumes d'un oiseau. Sale ? Toi ? Jamais. Gerhard sourit faiblement. Ses lèvres étaient aussi tremblantes que le corps frêle du médecin. Et si c'était le cas, et alors ? Il faut de tout pour que le monde fonctionne, et ce monde a bien besoin d'un Opale. D'une vraie colombe.


Il osa ouvrir les yeux : sa vision était noyée dans un blanc éclatant - les cheveux, la peau contre laquelle il se réfugiait sans vergogne. Gerhard serra davantage les côtes d'Opale par derrière : son bras soutenait cette colonne vertébrale qui avait été mise à mal par les contorsions du médecin. Support, protecteur, ou juste le bras contre lequel pourrait s'appuyer Opale : il serait ce que ce dernier voudrait, et ce serait assez.
Ven 26 Avr 2024 - 0:39
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Opale Caladrius
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Before the sun sets

we shall reunite

Feat Gerhard



Une unique main glissée, étendue contre ses omoplates suffisait à le soutenir dans son unique désir, tendu et quémandeur. Il était vrai, Opale en cet instant ce serait volontiers noyé contre cette peau aux quelques aspérités réconfortantes, dans ces cheveux bruns qui caressaient son front et cet autre corps, frêle et fort à la fois. Oui, il se serait volontiers perdu entre les draps et ses larmes auraient été épanchées contre les tissus frais aux senteurs d’embruns. La fenêtre était restée ouverte trop longtemps, la brise était entrée, avait sifflée contre les carreaux, elle avait déposé le sel contre les oreillers, les lits, les vêtements.

Ses cheveux et sa carne dénudée, se serraient emmêlés à l’assise et contre une autre peau, encore jusque là inconnue à ses caresses. Oui, il se serait volontiers abandonné, parce que c’était plus simple ainsi et que cela aurait excusé, avec honte, la manière dont il s’était jeté dans ces bras hostiles. Il se connaissait bien. Si sa vie en siècles se comptait, ses erreurs aussi. Il savait que la tendance était facile et comme il était bon de se sentir aimé quand on n’était incapable de le faire pour soi-même. Mais était-ce réellement de l’amour ? Il ne faisait plus la différence, né pour être possédé et adulé, l’idée d’une offrande simple et amère lui suffisait. Oui, c’était vraiment plus aisé comme ça. Et Gerhard en l’instant, était le seul capable de lui offrir.

S’il s’était mis à genoux devant lui, il lui aurait baisé le front, les mains et les lèvres, se soumettant une nouvelle à ce désir écrasant. Ils étaient dépossédés ensemble, pas vrai ? Gerhard et lui traînaient les chaînes lourdes d’un passé qui les étouffait. Sur ce visage marqué, ce corps chaud et maigre qui épousait le sien.

« Tu n’es pas sale » et les mots résonnaient, opprimés contre sa joue. Le caladre secoua doucement la tête d’instinct, raffermissant la prise de ses doigts contre sa nuque chaude. « Notre sauveur ». Un frisson le secoua. Les paroles d’Opale avaient été contradictoires, dissonantes dans le moindre de ses gestes. Les humains trouvaient toujours le moyen pour qu’il finisse par revenir vers eux.

Autant qu’il désirait leur échapper, la révérence qui marquaient leurs souffles lorsqu’ils le caressaient lui manquait quelques fois. Il savait que c’était un enfer, pourtant. Il avait été enfermé, des lustres durant, et l’on embrassait ses mains salvatrices, capables de soigner les pires maux et tromper la mort. Poupée précieuse révélée derrière sa vitre, l’on coiffait ses cheveux, parfumait son corps, dorait sa peau pour qu’en retour, il s’offre tout entier. C’était égoïste d’embrasser cet amour. Gerhard le considérait trop pour ce qu’il était et non ce qu’il montrait.

Et pourtant, un souffle surpris l’agita alors que Gerhard se détachait de lui. Opale ne protesta pas, cependant, laissant ses doigts filer le long de sa chemise. Les yeux clos, il sentit son cœur se serrer à ce baiser glissant contre son front encore chaud. La douceur acerbe ressemblait à un aurevoir et le médecin resongea à ses premiers mots « Je peux partir, si vous le souhaitez ». Ils lui revenaient en tête à présent que tout s’éclairait, que le monde retrouvait ses formes et ses couleurs. Il ne restait de son étourdissement qu’une sensation fiévreuse et vague une nausée qui lui serrait la poitrine. Opale détourna les yeux, les posant sur la table napée du salon, tremblante et floue.
Rien n’avait changé, finalement.

Ezekiel aussi, ce soir-là. Il avait voulu faire croire qu’il ne s’en souvenait pas et c'était vague, mais son rejet le cuisait. Il ne quémandait pas de l’amour, mais un semblant, même factice et frêle. C’était là où sa valeur reposait, semblait-il. Dans les yeux d’un autre. A quel point pouvait-il paraître pathétique ? C’était brûlant et il avait mal.

Gerhard parla. Il y avait cette sincérité dans sa voix qui lui faisait croire à un réel possible. Opale releva la tête pour l’observer, sa main fine mais travaillée par les années toujours posée contre ses omoplates saillants et marqués. La naissance des ailes. Il aurait presque envie de le croire, avec ces paroles dignes d’un ange, déclamées comme le plus intense des prêches. Le médecin, toutes ces années, avait cru savoir déceler le vrai du faux chez les gens. Aucun mensonges ne transperçait la surface. Les lèvres de l’homme passèrent contre ses paupières et Opale ferma de nouveau les yeux, ne parvenant pas à déglutir. Que pouvait-il faire face à toute cette conviction ? Il n’avait plus les armes pour se battre, ou la force. Protester contre l’implacable l’avait vidé.

Opale se relâcha, doucement entre ces mêmes mains qui l’avaient portée. Il avait regagné toute sa lucidité et il se sentait lâche à présent. Gerhard l’avait désiré en colère, protestant contre sa situation, mais rien ne sortait. Il s’était perçu vide et lointain, seulement capable à se faire trainer comme un cadavre. Pourtant… Il ne se sentait pas seul. Et c’était bien la première fois depuis des lustres. Ce corps, celui de cet ami ou amoureux, il était bel et bien là. Il n’était pas certain que ce soient ces secondes d’inconscience, mais il lui semblait que la présence de son odeur, les contacts avec ses vêtements, sa peau, ses cheveux était décuplée. Gerhard s’était-il figé, de peur que le moindre mouvement ne le trouble ?

-Gerhard… Tu peux me lâcher, si tu veux.

Murmura-t-il contre lui d’une voix entrecoupée, avec un faible sourire. Du bout des doigts, il avait tapoté contre ses omoplates. Il n’osait pas l’avouer, mais il l’étouffait un peu, physiquement. La main de Gerhard paraissait presque s’enfoncer dans son dos et il n’arrivait plus à respirer. Il s’accrochait vraiment à lui comme s’il pouvait s’envoler à tout moment. Ou défaillir.

Il se détacha de lui, retombant contre le canapé en inspirant. Quelques secondes s’écoulèrent dans l’air où il l’observa, ramenant ses mains contre sa propre poitrine, serrant ses doigts en les frottant distraitement. Un étrange sentiment commençait à la serrer. La réalisation de ce qu’il venait de faire, accompagnait ses joues chauffées et son cœur bataillant. Il se sentait soudain bien petit, ainsi confiné sous la silhouette de Gerhard qui s’érigeait élégamment au-dessus de lui. Ses yeux se détournèrent un instant, avant de revenir se poser sur lui, glissant sur ce visage infiniment plus familier à présent. Il y a quelques jours, il n'aurait pas cru être ainsi séduit par cet homme au point de lui tomber ainsi dans les bras. Il percevait un peu mieux à présent, le genre de beauté qu'il possédait. Celles, discrètes et enfouies, mais capables de tout brûler une fois dévoilées au grand jour. Il tâcha de ne pas se laisser distraire par ces pensées qui faisaient trembler ses genoux.

-Ton dévouement me touche mais… Il chercha ses mots sur ses lèvres sèches, rencontrant encore quelques difficultés à recoller parfaitement les morceaux. Je te veux à mes côtés comme un partenaire, non pas comme un serviteur.

Cela prenait d’autant plus sens lorsque l’on considérait son propre passé. Il n’imposerait jamais un tel don de soi à qui que ce soit. Et partenaire pouvait signifier tant de choses à la fois, c’était bel et bien le mot juste. La vision d’une colombe battit sous ses paupières un instant et il inspira.

-Tu sais, je suis un corbeau. Un corbeau blanc. Peut-être qu’un jour tu pourras le voir.

Un sourire l’agita, interrompu par une quinte de toux soudaine qui barra son visage de sa manche. Il tremblait encore, agité de fièvre. Elle retombait, heureusement, mais il ne devait pas laisser cet appel hurler dans le vide. Son corps le réclamait depuis des jours à présent et il ne parvenait plus à le mettre en sourdine.

-Pourrais-tu être un ange et chercher dans le… Oui, dans mon cabinet, le premier tiroir du bureau. Il y a une pochette d’injections avec une étiquette heu… Jaune. Et un verre d'eau, s'il-te-plait.

Il avait plissé les paupières, tentant de se concentrer suffisamment pour se souvenir d’a quoi ressemblait l’objet… A peu prêt. Sa tête retomba contre le coussin, auréolée de ses boucles blanches emmêlées et il grimaça, le visage contrit. Il n'avait définitivement pas l'habitude de demander ainsi de l'aide, cela lui restait dans la gorge. Une chose était certaine, il avait vraiment fait fort. Il allait surement être cloué au lit pour quelques jours… Il prétexterait un sale rhume et tout irait pour le mieux, pas vrai ?



notes
Sam 27 Avr 2024 - 15:06
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Gerhard Speckmann
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Ses paroles avaient finalement fait mouche, ou en tout cas il l'espérait. Opale avait relâché toute la tension qui avait habité son corps maigre, se laissant aller avec un soupir discret qu'il ne dut pas s'entendre pousser. Gerhard s'autorisa le même geste, quoiqu'intérieurement : pour l'instant du moins, la crise avait été avertie. Il étudierait tout ce qui avait poussé Opale à ce désespoir plus tard, dans le privé de sa chambre, là où ses questions n'auraient que des réponses qui le satisferaient lui et pas un autre, parce qu'il était égoïste comme ça, un peu, et que les forces qui l'avaient possédé pour ce qu'il avait imaginé être une dispute le quittaient peu à peu. L'adrénaline s'échappait de ses pores et il se rendait compte de la moiteur de ses mains, de la sueur qui avait éclos dans sa nuque. Cette accalmie survenait à point nommé, pour eux deux.


- Gerhard… Tu peux me lâcher, si tu veux. La voix d'Opale avait perdu cet accent de désespoir hystérique, et ne laissait derrière qu'une profonde lassitude. Il sonnait exténué, et Gerhard n'avait pas besoin de le voir pour savoir que dans ses yeux quasiment vitreux brillait une lueur éteinte, celle qui précédait votre envolée au pays des songes.

Opale se détacha de lui, avec une tape entre ses omoplates qui lui fit penser à ces frappés que les hommes se donnaient au bar autour d'une bière fraîche. Il n'avait pas envie de le lâcher, mais il s'exécuta. Il imaginait mal Opale boire une bière, pas à la bouteille en tout cas. Ou peut-être que si.

Gerhard observa Opale, retombé dans le canapé avec une profonde inspiration, et trouva, pas pour la première fois, qu'il connaissait à peine cet homme qui... Qui, quoi ? Avait volé son coeur ? Avait émerveillé ses sens ? Chaque tournure était aussi ridicule que la précédente, ils se connaissaient depuis un mois, voire même moins, que diable ! Mais Opale n'aurait pas été le premier, songea-t-il, le premier à attirer son attention, à titiller une part de lui-même qui désespérait pour une vie narrée par les contes que lui lisait parfois sa mère avant de dormir. A la différence près qu'Opale était le premier avec qui il avait été aussi... audacieux.


Ce n'était pas forcément une bonne chose, concéda-t-il intérieurement avec la grimace qui allait avec, pas en cet instant. Ainsi dressé, Gerhard se sentait des allures de tourelle qui attendait que l'ennemi soit exténué avant de frapper. Le médecin venait de traverser un craquage complet, et il pensait à la manière dont son estomac se tordait - dans le bon sens - en le voyant ? Ridicule. Et pourtant...


- Ton dévouement me touche mais… Opale, complètement affalé, marqua une pause. Il était évident que tout marchait au ralenti, de son cerveau à ses mains qu'il frottait ensemble sans trop s'en soucier. Chez quelqu'un d'autre, Gerhard aurait cru que ce geste aurait été pour réchauffer ; mais Opale était une créature du froid, ce devait être un tic nerveux, et il eut la terrible idée que c'était lui qui mettait le médecin dans cet été. Tourelle, songea-t-il, ennemi à terre, cela colle. Je te veux à mes côtés comme un partenaire, non pas comme un serviteur.


Il fronça les sourcils. Il avait dit ce qui lui passait par la tête dans la panique, persuadé que ne pas trop réfléchir servirait sa cause.

Grand dieu, il était sûrement passé pour un idiot de première, ou un fan particulièrement collant. Mais comment dire, en des termes plus polis, qu'il pensait tout ce qu'il avait dit ? Opale l'avait accueilli, nourri, blanchi - non pas qu'il ait grand chose à blanchir, que cela soit clair - il était évident que Gerhard serait après endetté auprès de lui. Dans une île sans argent, il aimait penser que les choses se déroulaient ainsi, une idée qui n'avait apparemment pas traversé l'esprit d'Opale.

Cela l'inquiétait davantage, à dire vrai. Tout sentiment partait de quelque chose, et si les siens trouvaient leur source dans sa reconnaisance, qu'il en soit ainsi. Mais le médecin n'avait pas l'air de cet avis, et Gerhard n'allait pas se lancer maintenant dans une diatribe ou une autre : le temps était passé - sans doute n'était-il même jamais venu - et ils étaient tous les deux pantelants de ce qui venait de se dérouler dans le salon.


- Tu sais, je suis un corbeau. Un corbeau blanc. Peut-être qu’un jour tu pourras le voir. Le sourire tremblant d'Opale fut interrompu par une quinte de toux qui le secoua tout entier. Gerhard se redressa, momentanément alarmé, mais Opale avait établi une distance entre eux qu'il n'osait combler. Les yeux plissés, il dicta d'une voix un peu plus pressée, dont les tons grattaient contre ses cordes vocales : Pourrais-tu être un ange et chercher dans le… Oui, dans mon cabinet, le premier tiroir du bureau. Il y a une pochette d’injections avec une étiquette heu… Jaune. Et un verre d'eau, s'il-te-plait.


Il ne lui en fallait pas plus pour bondir sur ses pieds, avec la promesse soufflée qu'il ferait au plus vite.
Gerhard fit d'abord un crochet dans la cuisine - il savait où se trouvaient les verres désormais, enfin quelque chose qu'il retenait dans tout ce bric-à-brac ! - et évita soigneusement de considérer trop longuement la chaise sur laquelle Gabriel l'avait cloué la nuit dernière. Le vampire n'était pas descendu de sa chambre, c'était qu'ils avaient dû réussir à rester discrets ; ou, sûrement plus exact, qu'il avait été assez poli pour ne pas débarquer dans le salon, les crocs prêts à déchiqueter le danger qui les avait fait s'exclamer.

Tant de scénarios possibles et imaginables que Gerhard écarta pour se focaliser sur sa tâche en cours. Après le verre, qu'il avait bien pris garde de ne pas remplir à ras bord, ce fut le tour du cabinet d'Opale. Pièce qu'il avait paerçu brièvement lors du tour du propriétaire que lui avait fait le médecin lors de son arrivée, Gerhard n'avait jamais osé y remettre les pieds après coup. C'était un lieu de travail dans lequel ses mains pataudes n'avaient pas leur place, et ensuite ses pérégrinations ne lui avaient pas laissé le temps d'y retourner. Quand il revenait de Lucent, Opale était généralement dans une autre partie de la maison, et ces derniers jours ils s'étaient juste évités mutuellement.

Le cabinet n'avait pas changé de son souvenir. La porte avait été laissée entrouverte, les affaires dans une organisation qui ne devait parler qu'au médecin. Il ignora tout, contourna plutôt le bureau et ouvrit le premier tiroir pour en retirer une pochette telle qu'elle avait été indiquée par Opale. Il la regarda un temps, mais rien de ce qu'il ne voyait ne lui rappelait quoique ce soit. Il n'était après tout pas un médecin du corps ; c'était là la triste mission d'Opale, qui l'attendait sur le canapé. Gerhard refusa de penser qu'il fuyait la pièce et son atmosphère, mais s'il ferma la porte eh bien cela ne regardait que lui.


Poussant la porte du salon avec son coude, il se pencha au-dessus du dossier du canapé, prenant bien garde à ne pas serrer le médecin de trop près.


- Pochette et verre, dicta-t-il en déposant l'un sur les coussins et en gardant l'autre dans sa main tendue, comme tu me l'as indiqué. Amuses-toi bien, j'imagine ?


Rien de tout ça ne présageait quelque chose de particulièrement plaisant, mais il ne pouvait pas décemment dire Bonne souffrance, pas vrai ? 'Injection', ce mot était sinistre, et Gerhard se détourna poliment pour ne pas voir les aiguilles qu'Opale extirpait du pochon qu'il lui avait rapporté. Il préféra s'asseoir poliment à l'extrémité du canapé, opposé au médecin, ses jambes serrées l'une contre l'autre et une main sur ses cuisses : l'autre tenait toujours le verre entre ses doigts fins, et il en aurait tapoté le rebord dans un tic nerveux si seulement Opale n'avait pas besoin de concentration.

Le médecin fit ce qu'il avait à faire, et Gerhard contempla le plafond, les rideaux. Poussiéreux. Il faudrait qu'il repasse un coup de plumeau dans les prochains jours : avec une matière aussi lourde, la saleté s'y agrippait comme une tic à un animal, et les araignées avaient tôt fait d'y tisser leur toile. Cela donnait un certain charme à la maison, il supposait, c'était une vieille bâtisse après tout, qui avait un certain caractère. Gerhard ne la voyait pas ressembler à autre chose - il y avait un je-ne-sais-quoi d'Opale, ce qui était somme toute logique puisque le Nébuleux y habitant depuis belle lurette - mais n'était pas contre ne pas risquer la crise d'asthme dès qu'ils mettaient un pied quelque part. Avec le pollen, les nez se sensibilisaient. Opale était-il allergique au pollen ? Une question pour une autre fois, il supposait.


Opale acheva ce qu'il avait à faire, et le verre lui fut pris des doigts. Ces derniers se refermèrent sur du vide, et Gerhard ramena sa main dans son giron, où il les étala autant qu'il le pouvait. Sa paume recouvrait la quasi totalité de sa cuisse et les doigts couvraient le reste. Ses phalanges et tous les os de sa main pointaient sous sa peau fine. Avec sa baignade de l'autre jour, et les allers-retours qu'il effectuait entre ici et Lucent, il avait commencé à prendre une teinte halée, une certaine santé qu'il ne s'était jamais connue. Petit il avait passé sa vie enfermé, et puis l'université de médecine l'avait abonné aux environnements clos où on cultivait les capacités de mémorisation des étudiants. Gerhard ne pensait pas avoir autant marcher depuis qu'il était né. C'était une sensation agréable et bienvenue.


- Je pense ce que j'ai dit, dit Gerhard à ses cuisses, gardant le tutoiement dont Opale l'avait affublé et qu'il brandissait de la même manière. Le médecin ne l'avait pas encore repris, il se gaussait donc dans cette possibilité. Je te dois beaucoup, ce sont des faits. Ce n'est pas quelque chose que je porte comme une croix. C'est juste... ainsi. Si j'avais été logé chez quelqu'un d'exécrable, il évita de dire un nom, mais il y en avait bien un qui lui brûlait la langue... cela serait revenu au même. J'aurais juste eu plus de mal à avaler la pilule, mais enfin, ainsi va la vie, non ?


Il haussa les épaules et se leva du canapé. Il avait la bougeotte : tous ces moments passés sur la méridienne, abruti par l'intensité de l'instant, avaient cédé leur place à une envie de faire quelque chose de ses dix doigts, quelque chose d'utile. Il y avait sûrement le stress qui parlait : sans adrénaline, Gerhard se rendait compte de la moindre pique d'anxiété qui le transperçait. Voilà qu'il réfléchissait de nouveau à ce qu'il voulait dire ! Il fallait vite qu'il sorte de ce mode de pensée.


- Je ne pense pas que je suis ton serviteur. Je n'ai pas besoin d'être ton serviteur pour vouloir être... sympathique, approchable, serviable. Il grimaça. Aucun autre mot ne lui venait à l'esprit, aucun en anglais en tout cas. Enfin. Quelqu'un de normal, un ami, un... partenaire. Il frotta ses mains sur ses cuisses pour essuyer l'excès de sudation qui lui tapissait les paumes et risqua un coup d'oeil vers Opale, juste assez rapide pour qu'il puisse voir comment il allait. Le médecin n'avait pas pipé un mot, mais il ne doutait pas qu'il avait toute son attention.


- Bref. Ce n'est pas en tant que serviteur, maintenant, que je te demande ça : que veux-tu que je cuisine ? Tu ressembles à la mort si quelqu'un l'avait tabassée dans la rue. Il grimaça de nouveau, plus fort encore si cela était possible. Non pas que tu aies l'air terrible ou quoi, tu es très agréable à l'oeil— Guter Gott— Je vais te faire à manger. Dis-moi juste ce qui est à ton goût, et je me débrouillerai.


Opale dormirait sûrement le temps qu'il réémerge avec le quelconque plat qu'il aurait confectionné. Les verres il savait où ils étaient ; les serviettes et autres torchons, oh il s'en souvenait très bien ; mais ce n'était pas avec ça qu'on cuisinait.

Oh, et puis peu importe, non ? Manger ou dormir : Opale ferait l'un ou l'autre voire les deux, et cela lui convenait très bien. Le médecin avait besoin de repos, et il commencerait par le bout qui lui chantait mais il commencerait, cela Gerhard y veillerait. Toute la nuit s'il le fallait.
Dim 28 Avr 2024 - 1:23
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Opale Caladrius
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Les pas s’éloignèrent, répondant à ses simples prières. Les épaules d’Opale se relâchèrent dans un souffle, l’oreille tendue. Sa volonté le touchait, en réalité. Le caladre bougea la tête contre le coussin ferme de la méridienne. En tombant, sa tête avait du tomber de la mauvaise façon, sans doute entrainée par son propre poids. Sa nuque le tirait, ses membres étaient endoloris et il se sentait terriblement lourd. Non, vraiment, heureusement que Gerhard avait été là pour le rattraper. Il s’imagina le choc de son corps s’éclatant contre le parquet, cognant contre les coins de meubles soudainement bien hostiles, s’érigeant comme des armes acérées prêtes à lui donner des bleus. Ou pire. Des gens étaient morts de cette façon. Sacré fait divers, cela aurait alimenté la gazette pour des jours.

Il ferma les yeux quelques instants, essayant de ne pas trop songer à la manière dont il avait fondu dans les bras de Gerhard. Bien. Cela était définitivement troublant. Ses sourcils se froncèrent et il serra ses doigts entre eux, ramenés contre sa poitrine et les coudes crispés.

Son colocataire ne mit pas longtemps à revenir au salon, avalant la distance qui les séparait de ses longues jambes effilées. Chaque fois que Gerhard faisait un pas, franc et dirigé, Opale songeait que lui devrait probablement en faire deux. Et le médecin l’entendit avant de sentir son souffle au-dessus de lui. Son odeur, douce et présente le berça immédiatement, comme s’il ne l’avait jamais quitté. Il ouvrit un œil, puis l’autre, se redressant avec une grimace en s’emparant de la pochette. Un coup d’œil discret à la silhouette de Gerhard qui avait repris sa contenance habituelle et il la dézippa, sortant une seringue et une minuscule fiole contenant un liquide transparent. Il la porta à la lumière, l’agitant pour observer ses mouvements et énonça un remerciement voilé.

Doucement il releva son buste, ses cheveux retombèrent le long de sa nuque et il se pencha en avant pour s’asseoir. Il avait la sensation de fonctionner au ralenti. Il jeta un autre coup d’œil en direction de Gerhard dont il ne sentait pas le regard et se pinça les lèvres, troublé. Il espérait qu’il ne trouverait pas ça étrange, mais il déboutonna son pantalon, le laissant glisser sur ses cuisses jusque sur ses genoux. Le froissement de tissu accompagna le léger dévoilement de ses jambes et il se saisit de la fiole. L’aiguille se planta sur le petit goulot, aspirant le liquide. D’un geste mécanique il donna quelques pichenettes à l’objet pour disperser les bulles d’air et pivota légèrement sur le côté, les yeux rivés sur la peau dévoilée de sa jambe.

L’injection était intramusculaire et la composition était de son invention. Enfin, pas totalement, simplement lorsque l’on n’était pas humain il fallait savoir s’ajuster et faire des erreurs. Il avait expérimenté sur lui-même de nombreuses fois afin de trouver le calmant parfait pour ses crises qui ne concernaient bien que lui. Chose qui n’était pas aisée lorsque l’on ne connaissait aucun représentant de sa propre espèce. Personne pour l’éclairer. Les symptômes s’étaient accumulés dans son carnet et il en était venu à la conclusion logique de ce minuscule liquide capable de faire des miracles. A cet endroit même, d’autres petits bleus piqués de minuscules trous indiquaient que l’usage était fréquent, en ce moment. Après tout, ce n’était qu’un calmant, loin d’être la solution. Mais cela ferait l’affaire pour le moment.

L’aiguille perça la peau et il ne cilla même pas, n’ayant aucune peur de la regarder. Immédiatement, la sensation glaciale se dispersa le long de ses veines, lui arrachant un frisson. En quelques instants, c’était fini. Un peu étourdi, il reposa la pochette et son aiguille sur le coussin, rafistolant ses vêtements tout débraillés.

Un soupir de soulagement le secoua et son dos retomba contre le canapé. Il accepta le verre que lui avait préparé Gerhard, étanchant sa gorge sèche qui le brûlait encore. Leurs mains s’effleurèrent et Opale repensa, rouge, à ces doigts chauds et immenses qui se pressaient contre son dos et la peau en dessous. Il ramena une mèche derrière son oreille en avalant une gorgée.

Et son ami recommença à parler. C’était attendrissant, cette manière qu’il avait de justifier sans cesse le moindre de ses gestes, paroles. Parfois, l’instinct parlait pour nous, pas vrai ? Opale pouvait ne pas être d’accord, mais cela ne voulait pas dire qu’il ne l’écoutait pas. Le verre se reposa doucement sur sa cuisse, son humidité coulait contre sa paume. Il le regarda en silence, fatigué mais plus serein, laissant son remède produire son effet. Ses yeux, distraitement, cillaient sur ces mêmes mains qui ne cessaient de s’agiter. Était-il nerveux ? Opale devait paraitre affreusement immobile à ses côtés.
Opale glissa un sourire compatissant sur ses lèvres. Cette histoire de serviteur semblait réellement le perturber. Mignon. Son accent allemand ressortait sur quelques notes notables, comme s’il était soudain incapable de les contenir aux bons endroits.

-Tu l’es déjà bien assez… Aimable ? Galant ? Attentionné ? Si c’est le mot que tu cherches.

Pouffa-t-il, serrant distraitement sa main contre les parois lisses du verre. Dévoué. C’était un mot qui lui correspondait plutôt bien après tout. Il l’avait perçu dès l’instant où il s’était mis à lui tendre le bras à chaque promenade. L’oiseau inclina la tête, étonné de la demande. De la… Cuisine ?

La reste le fit doucement rire. « la mort si quelqu’un l’avait tabassée dans la rue ». Charmante vision. Il avait porté le verre à ses lèvres et faillit recracher le contenu en l’entendant jurer en allemand. Ah, c’était trop ! Il ne savait pas pourquoi c’était si comique, mais il avait manqué de s’étouffer. Une quinte de toux le secoua et il balaya l’air de sa main

-Oh. Oh ! Je… Une salade ça ira très bien ! S’exclama-t-il en se redressant vers l’avant pour poser le verre sur la table, afin d’éviter les accidents. Je suis heureux d’être encore, enfin… Présentable.

Il s’était rassis, un peu penaud. Il se doutait qu’il ne devait pas paraître très… Frais. Il ferait plus d’efforts demain. Et cette simple pensée le surprit. C’était rare, qu’il pense réellement au lendemain. Ses mains passèrent dans ses cheveux, tentant de démêler les boucles des nœuds et il se tourna vers Gerhard. Même si dans la faible lumière il le distinguait mal, il semblait à présent reconnaitre ces traits qu’il avait caressé du bout des doigts. Il ne lui en voulait plus, c’était certain. Leur dispute semblait déjà bien lointaine.

-Merci pour tout… Gerhard.

Une fois son vaillant colocataire parti à l’assaut de la cuisine, il s’affala dans le canapé, ramenant sur lui un plaid. Le sommeil le toucha du bout des ailes avant qu’il ne puisse manger, épuisé de toutes ces émotions mais enveloppé d’une étrange chaleur loin d’être familière. Peut-être était-ce l’idée qu’on veillait sur lui ?



notes
Lun 29 Avr 2024 - 1:04
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Gerhard Speckmann
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Une salade. Opale voulait une salade.

Son domaine d'expertise s'arrêtait aux pâtes et à toutes leurs déclinaisons possibles, mais une salade, ce devait être dans ses cordes. S'il avait réussi à couper une tomate pour une bolognaise, il en irait de même pour en saupoudrer trois feuilles vertes.


Délaissant Opale dans le salon, avec un dernier coup d'oeil inquiet, Gerhard regagna la cuisine et se mit en quête des ingrédients nécessaires à la préparation. Il lui fallut farfouiller quelques placards, quelques étagères dans lesquelles s'empilaient des ustentiles qui - reconnut-il avec une grimace - devaient pour certains être plus vieux que lui. La planche à découper, notamment, était particulièrement usée, mais il n'en trouva pas d'autre, doutait même qu'il y en ait une autre, et elle avait l'air prête à l'emploi, c'était ce qui comptait.

Rassemblant devant lui la belle laitue qu'il avait dégoté, les deux carottes, la betterave et les radis, Gerhard se retroussa les manches et se mit au travail. Il éplucha, éminca, les gestes précis et sûrs. Son couteau s'abattait à la manière d'un scalpel sur les pauvres légumes choisis pour l'échafaud. Il dressa la salade dans un large bol en bois, et parvint à trouver, après d'autres tortueuses minutes passées à rouvrir des placards qu'il avait déjà exploré auparavant, à trouver de quoi faire une vinaigrette convenable.

Les mains sur les hanches, Gerhard contempla son oeuvre et se dit que l'art moderne, au final, devait servir à ça : à accepter des immondices qui auraient été rejetées des académies étriquées. Il soupira ; elle ne ressemblait pas à grand-chose, mais enfin cela restaient quatre légumes combinés ensemble, le goût ne devrait pas être si terrible, n'est-ce-pas ? Il y en avait bien trop pour une seule personne : Gabriel et lui mangeraient les restes ce soir.

Il n'était pas certain que le vampire le remercie, mais il serait sûrement trop poli pour dire quoi que ce soit. C'était une consolation.


Gerhard transvasa une partie de la salade dans une assiette creuse et remplit un second verre d'eau - il avait laissé le premier avec Opale, mais quelque chose lui disait que tenter d'avaler tout ça la gorge sèche ne ferait que retarder la rémission du médecin -. Les mains prises, il prit le chemin du salon. Nul bruit ne s'y échappait, si ce n'est une respiration profonde et tranquille. Gerhard poussa la porte du pied et s'immobilisa : Opale ne bougeait pas, selon toute apparence profondément endormi.

Gerhard fit le tour du canapé le plus silencieusement possible, posant sur l'antique table basse assiette et verre. Le médecin avait l'air apaisé, bien loin des maux qui l'avaient possédé auparavant. Des cernes couraient sous ses yeux et creusaient son visage pâle. La tête rentrée contre son épaule, seule ses inspirations profondes trahissaient la vie qui l'habitait encore.

Gerhard le contempla, ne sachant que faire de ses dix doigts. La soirée avançait ; bientôt, Gabriel descendrait de sa chambre en quête d'un repas, ou bien Gerhard lui apporterait de quoi manger à l'étage - que ce soit sa vaine tentative de salade, ou sa clavicule bandagée, il l'ignorait, il supposait qu'il aviserait en temps voulu - mais en attendant...

Il reprit le verre d'eau vide dans sa main droite ; sa gauche alla réajuster le plaid dont Opale s'était recouvert, le cala sous son menton. Il avait envie de lui toucher ses cheveux si doux, mais un tel geste l'aurait certainement réveillé, et Gerhard n'était pas désespéré à ce point. Pas encore.
Alors il garda sa main pour lui, refit le tour du canapé. La paix était retombée sur le manoir. Les ombres grandissantes du couloir l'enveloppaient de nouveau comme un vieil ami. La journée touchait à sa fin. Gerhard referma la porte du salon et s'abandonna à ses dernières.
Lun 29 Avr 2024 - 15:50
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