Les bras nus d’Opale s’étirèrent dans les premières lueurs matinales. Un souffle délicat coulait le long des rideaux, les agitant dans l’air froid. Le carreau de la fenêtre frappait par intermittence, balançant de légères vibrations. Le Caladre avait les yeux posés sur le ciel, mais il ne le voyait pas. Il en percevait la teinte, floue et mouvante. Son menton se reposa un moment sur ses doigts croisés, penché au-dessus du vide. Le grand cèdre perçait de sa grande silhouette sinistre les tendres bleus, obstruant une vue directe sur les eaux. Qu’importe, s’il avait choisi cette chambre, c’était pour ne pas pouvoir passer trop de temps à contempler la mer, ou du moins ce qu’il pouvait en distinguer.

Un soupir, le froissement de sa chemise contre sa peau, les boutons sautant entre ses doigts et il se glissa dans les couloirs, vieux fantôme qu’il était. Sans chaussettes, il avança sans rythme, effleurant du bout des doigts les tapisseries et les aspérités sur ces murs qu’il commençait à connaître. Chez-lui, c’était bien le seul territoire qu’il savait habiter. Le reste de l’île lui semblait parfois bien hostile. Il descendit l’escalier prudemment, attachant ses cheveux bouclés et pâles à l’arrière de sa tête à l’aide d’un ruban qui reposa contre sa nuque.

Tout en fredonnant dans sa cuisine, il fouilla dans sa mémoire quel était les rendez-vous matinaux. Il devait descendre en ville examiner une petite nébuleuse qui semblait avoir une varicelle, mais avant ça… Cait Lynch. Le nom lui était resté en tête, pour une fois. Il ne savait pas vraiment pourquoi, peut-être parce qu’il roulait élégamment sous la langue. Un nouvel arrivant, au statut doré de « protégé ». En ne le voyant pas se présenter à lui, le médecin avait déposé une lettre à son adresse. Initier le contact… Ce n’était pas dans ses habitudes. Mais il savait d’expérience que les protégés l’étaient pour de bonnes raisons, souvent pas des plus tendres.

La bouilloire sifflait dans son dos, il s’était appuyé distraitement sur la gazinière avant de se retourner pour saisir le manche qu’il loupa une première fois. La deuxième fut la bonne mais on toqua à la porte. A moitié surpris, Opale fit se pencher l’objet brusquement et quelques gouttes volèrent sur son avant-bras. Le caladre poussa un petit cri, mais ouf, il ne l’avait pas échappé. Voilà bien une chose à laquelle il peinait toujours à s’habituer. Il grimaça en effleurant son bras avant de se secouer et s’empressa d’aller ouvrir.

Opale sourit en découvrant une silhouette se découpant dans l’encadrement de la porte. Ses yeux pâles se plissèrent, tentant d’observer quelques détails à ranger dans les tiroirs de sa tête. L’élément qui le frappa surement le plus était la rousseur des quelques mèches encadrant la peau pâle. Humain. Odeur familière, collant au palais. Le mot lui était venu vivement, surement car il le savait déjà. Cait Lynch était un humain. Une légère inspiration et le Caladre s’écarta en l’invitant à rentrer.

-Bienvenue M. Lynch, je vous attendais. Entrez donc !

Sa voix était patiente et il le guida jusqu’au cabinet se trouvant dans une petite porte dérobée au fond du salon. Son intérieur était chargé, remplit d’objets en tout genre entassés dans de délicates vitrines en verre. Une belle bibliothèque qui montait jusqu’au plafond débordait d’ouvrages, les rideaux étaient à moitié tirés, filtrant quelques rayons aux particules flottantes. Des tapisseries dépeignant des créatures, des scènes de batailles et des tapis aux fioritures se composaient dans un agencement plus ou moins réfléchit. Les boucles blanches d’Opale suivaient ses pas feutrés.

-Vous avez trouvé facilement ? L’endroit est un peu à l’écart, mais la vue est superbe ! Même si comme cabinet médicinal, on a vu mieux.


Enfin, j'imagine.

Selon Cait Lynch, il y avait beaucoup de choses qui ne valaient pas la peine d'être faites. Enfin, c'était ce que retiendrait Opale de ces premiers mots. Pas un bonjour, pas un sourire, les pieds traînants contre le parquet usé. Le médecin gardait son sourire, sa posture. Son regard vague et pâle, autant que le reste, restait rivé face à lui. Il ne regardait pas vraiment Cait, mais sentait son agitation. C'était ces crispations, ce souffle électrique qui irradiait. Pas besoin d'être empathe pour comprendre qu'il n'était pas heureux d'être ici.

En même, personne n'était jamais vraiment heureux d'aller chez le médecin. Au mieux, poli et impatient, au pire irrité et craintif. Mais le jeune arrivant semblait particulièrement... Irrité. Opale ne s'en souciait pas réellement, pour le moment. Tant qu'il coopérait, ce serait rapide.

-Je ne comptais pas vous examiner ici, suivez-moi.

Rigola t-il, se retenant de paraître amusé. En voilà un, drôle d'oiseau qui débarquait. Quelles genre d'horreurs avait-il bien pu rencontrer sur son chemin pour finir ici ? Un échoué, paraissait-il. Un autre. Pour une fois, Opale était heureux de ne pas être celui qui l'avait trouvé. Vynce, autant qu'il l'adorait, n'avait pas été des plus simples à soigner. Mais un humain... Oui, un humain, c'était bien différent. Ah. Dire qu'il y a des années, il s'était juré de ne plus jamais soigner d'humains. Et le voilà, à présent, à jouer au médecin de village. Il ferait donc ça vite, pour leur bien à tous les deux.

L'objectif était simple, à vrai dire. La matriarche voulait s'assurer que Cait Lynch ne mentait pas. Qu'il méritait le statut, si précieux, de protégé. Pas qu'il soit convoité, mais c'était la meilleure manière d'échapper au travail collectif. La denrée la plus précieuse de Nitescence était ses habitants, et le temps, l'honneur, l'amour qu'ils accordaient à faire perdurer l'île d'une manière quasiment autonome. Cela l'embêtait, d'avoir à faire cela. Pour Opale, la pensée qui résistait était que peut-être, il pourrait l'aider, quelque soit sa douleur.

Il lui faisait penser à un animal méfiant, à se déplacer ainsi. Opale se retourna vers lui en poussant la porte de son cabinet. Il avait manqué la poignée une première fois, son geste partant dans le vide, avant de la rattraper au deuxième essai. Un peu gêné, il inclina légèrement la tête vers l'avant, ses boucles blanches suivirent le mouvement, glissant le long de ses fines épaules.

-Ah, que je suis malpoli ! Je me présente. Opale Caladrius, je suis nébuleux et l'unique médecin de Nitescence.

Cabinet blanc, stérile, aux murs récemment repeints et à la peinture encore fraiche. Vynce l'avait aidé à aménager cette petite pièce. Elle n'était pas spécialement accueillante mais au moins elle était propre, loin de la poussière qui avait tendance à s'accumuler dans l'endroit. Deux lits blancs, légèrement surélevés. Un bureau. Une reproduction de l'Homme de Vitruve, à la plume. Quelques livres dans une étagère ouvragée.

-Vous n'aimez pas les médecins, M. Lynch ? Je suis désolé de vous imposer cela, si ça ne tenait qu'a moi, je n'obligerais personne à me visiter. Alors... Commençons si vous le voulez bien.

Il l'avait invité à s'asseoir sur le lit blanc, récupérant un tabouret qu'il fit rouler en s'asseyant dessus d'un geste souple. Son sourire s'était adoucit et il déplia une paire de lunettes en les mettant. Mince alors, il allait finir par se sentir mal, cela semblait une torture pour ce jeune humain de se faire examiner.

-Cela peut-être intéressant pour vous puisque vous venez d'arriver, mais il se peut que votre statut change selon ce que je retire de notre entretien. Nous allons faire un check up simple, complet. Pour vous, c'est une perte de temps, pour moi, c'est mon métier, et c'est dans votre intérêt.

Ses yeux s'étaient posés sur le bras qui retombait mollement le long de son corps. Gauche, c'était cela ? Il se tourna vers son bureau, appuyant du pied pour éloigner son tabouret, coinçant un stylo entre ses dents et ramenant à lui une desserte pleine de matérielle, un dossier posé dessus. Le sien, constitué à son arrivée à l'île, qui avait déterminé sa rune.

- Puis-je vous examiner ? Si vous ne voulez pas être touché, j'aimerais que vous m'expliquiez l'origine de cette paralysie.

Le caladre esquissa un bref sourire, calme et patient. Il posa le stylo sur sa cuisse, inclinant légèrement la tête en tentant de distinguer son expression.