Ils étaient magnifiques, ces avions qui sillonnaient l’azur ; ces Héros aux immenses ailes qui voyageaient, écrivaient l’avenir. Les étincelles dans ses prunelles claires, Chaton remuait ciel et terre pour acquérir ces vieilles lunettes. Elles ne coûtaient pas grand-chose, dans cet état, mais son regard en disait long : elles valaient tout l’or du monde.

C’était la première étape, pour être comme eux.

Et, enlisé dans cette admiration sans faille, Cait démontait, remontait, étudiait tout ce qui passait à portée de ses petites mains. Pas question de se laisser prendre dans cet engrenage, des : je n’y arriverais pas.

Un jour viendra où il deviendra l’un de ces Héros.
Où, lui aussi, volera bien haut.

À la place, la fumée obstrua sa vue ; les hurlements éclatèrent ses oreilles, pétrifièrent son corps. Et son bras, à jamais paralysé. Dans ses mirettes sombres et humides, l’agonie s’infiltra. Une longue agonie où plus rien ne fonctionnait, et l’air brûlant foudroyait ses poumons.

C’était la première fois.
Le premier jour.
Les Héros, cela n’existait que dans les histoires.

Et petit Cait s’agitait. Dans un coin, il grognait contre quiconque approchait, prêt à bondir hors de ce lit de fortune – à s’enfuir, quitte à trébucher. Comme un Chaton, les pupilles dilatées. Mais en était-il seulement capable ? Alors, il s’enfonçait, bouchait ses oreilles pour ne pas les entendre déblatérer leurs bêtises.

Ils ne le dépouilleront pas de son bras. Ces fumiers.

Elle reviendra, cette mobilité manquante. Enlever, sous-entendait qu’il se résignait. Ce n’était pas une solution, pas pour ses rêves qu’il enterrait pourtant déjà, sans le dire. Une couche de terre, mais pas trop épaisse. Surtout pas. Juste assez pour l’entrevoir encore.

Pourquoi faire, alors qu’ils n’étaient qu’une chimère ?

En cela, Cait refusa. Quoi qu’ils en disaient, il était toujours en bon état, son bras. Rien ne changerait, une fois les désillusions passées. Quand bien même il devrait se battre pour lui, pour que l’on autorise sa présence à la frontière, que l’on accepte à contre grès son service militaire.

Du nettoyage, rien de plus pour celui qui peinait à maintenir la face. Et des désillusions, toujours plus. Des mots, virulents, contre ce qui n’entrait pas dans les cases. Plus, il ne dormait toujours pas, pas sans revivre.

Il se fichait qu'on le comprenne ; tout ce qu'il demandait, c'était qu'on lui foute la paix...Déjà trop, visiblement.
Plus d’insistance, de regards désolants, de conflits quels qu’ils pouvaient être. Ainsi, ses outils et ses lunettes en poche, Cait s’en alla, laissant les avions là.

Qu’importe où il allait. Tant que ce n’était pas ici : il y allait. Quitte à ne passer que par les trous ; ceux de ces immenses ferrailles longtemps admirées, frustrantes et peinées à souhait. Somme toute, peut-être qu’il s’y accrochait, d’une manière ou d’une autre. Et prostré entre les caisses, Cait attendait. Il attendait quelque chose, rien ; d’arriver quelque part, nulle part. Qui sait ?

Des grimaces, des lances dans son dos, des aiguilles dans son bras ; des vols et la chute. Le carmin dans ses mirettes, il s’accrocha et, improbable, commença à nager. Nager un peu trop bas, sous un peu trop de cette eau qui léchait ses plaies.

C’était bien aussi, comme ça. Le rien.
L’avion, qu’ils disaient.
Puis un lopin de terre.

Saperlotte... 

Un abandon, mais toujours cette petite voix qui rampait dans son crâne, qui l’embourbait, lui, l’incapable. Ne pas forcer, juste laisser l’eau couler. Des blessures qu’il ne maquillait plus sous une apparence : elle devint des mots durs, des regrets, et toute une multitude de cauchemars.

Rigole un peu, mon Vieux !

Des couleurs qu’il n’aimait pas.

Tu sais bien que le temps prend le temps, mais qu’il remet tout à sa place ; regarde, ma bicyclette va être comme neuve !

Le temps, pourtant, n’arrêtait pas les flammes. Il n’arrêtait pas tout.
Un claquement. Un vieillard – un peu trop tôt pourtant, en dépit du grisonnant. Et il râlait, Cait, à chaque fois qu’il débarquait. Trop de sourires, de fausse innocence : nul doute sur les raisons de sa présence. Il ne trompait personne, pas lui, tout du moins. Nonobstant le coup d’épaule, le Chaton aux griffes coupées attrapa l’un de ses outils, le coinça entre ses crocs fatigués, prêt à retaper les babioles rapportées.

Lam. Dégage.

Trop près, trop pénible, trop présent. Une bicyclette lâchée ; un objet lancé, puis une œillade inquiète. Or, Lam ne bougea pas. Il suffisait d’insister un peu. Une clope au bec, que l'acolyte alluma. Juste un peu, pour qu’il accepte. Un peu, mais pas trop. Un moyen comme un autre pour ne pas se sentir trop bâtard.

... T'es un peu pâlichon. Tu devrais prendre un peu le soleil au lieu de venir me les casser un jour sur deux.

Le temps du temps. Des remarques qui s'accumulaient dans un coin. Sombre. Un tiroir que lui-même n'ouvrait jamais, après y avoir déposé ses petites notes toutes froissées.
C'est qu'il n'était pas encore trop dur de la feuille, le vieux Chaton.
Juste quand il le voulait.


Chronologie rapidos :

1933 : naissance
1944 : Perd son bras gauche. Devient un gros relou. Lentement, mais sûrement.
1951 : Part pour son pseudo service militaire.
1952 : Quitte le Royaume-Uni et arrive sur l’île parce que l'avion qui transportait les marchandises a décidé de faire un plouf dans la flotte. Merci les moteurs !

Team Leslie, mais tellement peu d'art de lui... Mon petit cœur est tristesse. :(