Bien des soleils s’étaient levés sur leurs royaumes, bien des lunes avaient bercé de leurs lumières leurs territoires sacrés. Et quantité d‘éclipses avaient marqué meurs noms. Les peuples des dragons s’étaient établis jusqu’aux confins de la terre, des sables éternels aux neiges immaculées jusqu’aux ventres incandescents des volcans. Pas un seul territoire n’avait accueilli ces créatures depuis l’aube des temps. C’est peut-être pour ça qu’ils ont été piégé avec une telle aisance.
Ils étaient consultés pour leur sagesse par toutes espèces confondues et offraient, avec la plus grande générosité, le savoir des astres, des plantes, la connaissance du monde qu’ils parcouraient depuis des temps immémoriaux.
Ils ne respectaient que leurs lois régies par des codes qui n’incombaient qu’à eux. Ce qui pouvait se produire au-delà de leurs murs ne les intéressait guère. C’était certainement, pour ça que plusieurs peuples avaient refusé de prendre part au combat des mortels, de laisser leurs adelphes aux griffes des hommes. Ils crurent sans doute échapper à leurs foudres du haut de leur sagesse perdue. Leur prétention aura mené leur perte.


Et soudain les dragons qui si longtemps avaient étirés leurs corps sur les ciels du monde disparurent de sa surface. Chassés pour leurs corps, la gloire de princes, les remèdes des charlatans, la fierté des braconniers. Oh comme les hommes pouvaient être mauvais. Comme ils pouvaient être immondes à traîner leurs carcasses, leurs arcs et leurs harpons sur le sillage carmin qu’ils tiraient sur leurs pas. Il n’était pourtant pas aisé de les débusquer. Les dragons connaissaient ces terres bien mieux qu’eux, ne leur déplaise. Ils y étaient en fait depuis tellement longtemps
Ceux qui traversèrent les premiers massacres subissaient la traque permanente. Les humains étaient fourbes, vils, et certainement patients. Mais Sehora elle, l’était bien plus encore. Elle avait appris cela alors que ses yeux juvéniles étaient encore collés de la membrane protectrice qu’avait pourvu son œuf.
Non, les hommes n’étaient jamais parvenus à mettre un terme à leur espèce, à leur plus grand malheur. Les dragons sont et resteront les êtres puissants, dotés de capacités hors normes à dominer leurs terres. Sehora était profondément fière d’être née parmi eux, et malgré la fuite perpétuelle, n’aurait voulu un autre corps pour rien au monde. Elle était une dragonne d’eau. Une créature pure, intense, à la lignée incomparable capable de maîtriser un élément changeant et vital. Protectrice et gardienne de la ressource la plus nécessaire à toute vie. Bien qu’elle soit terrifiée par celle-ci, elle avait bien conscience de son devoir et de sa place. Elle saurait la retrouver. Elle recouvrera son plein pouvoir. Elle était patiente. Bien de leurs générations allaient périr dans l’indifférence la plus totale alors que pour elle, une fraction de ce temps se serait écoulé.


Environ 1500, Inde, Bengal


Sehora a passé le plus clair de son temps en fuite et en se cloîtrant. Elle est restée cachée les 95 premières années de sa vie, ce qui, a très largement retardé sa croissance, son développement, sa sociabilisation et son sevrage. En quittant sa mère, elle n’avait pas acquis le quart de ce qu’un dragon aurait appris en vingt ans.
Trois semaines après son éclosion, sa mère l'a emportée avec elle dans les tréfonds d'un lac gelé afin de la protéger des humains. Les créatures étaient dissimulées si loin sous la surface que la lumière était incapable de percer à travers l'eau trop épaisse. Sehora a dû apprendre son environnement à l'aveugle, avec pour seul souvenir de la surface, sa troisième semaine de vie, alors que ses yeux commençaient seulement à s'ouvrir: une végétation riche qui s'épanouissait dans une clairière cernée par les arbres et la roche. C'est à ce moment que son corps a sur développé son écholocation. Muette et privée de vision, c'étaient les sons qu'elle formulait sous l'eau qui lui permettaient de sonder les fonds de l'immense lac. Un jour à l’aube de ses cinquante ans, Niheng sa mère est remontée à la surface quérir des ressources. Elle n’est jamais revenue. D’une certaine manière, Sehora, espère qu’elle l’ait abandonnée.

Son père est quant à lui, né d'un couple mixte et impur. Son arrière grand père s'est lié avec une Eklein, de fait, l'intégralité de sa descendance a été souillée. Oraïnn le géniteur de Sehora s'est gardé de révéler son patrimoine génétique à sa compagne lui même honteux de cela. Niheng qui prônait la pureté du sang et le génocide humain. Sa lignée étant l'une des dernières à conserver une pureté absolue. Ce secret lui a été révélé par un oracle, quelque jours avant l'éclosion de l’œuf qu'elle avait veillé pendant deux ans. De rage, elle déchira son partenaire qui ne parvint même pas à se défendre. Incapable de briser sa progéniture, sachant qu’avec la guerre et la gestation puis la ponte et l’éclosion, elle ne retrouverait pas un mâle digne de lui donner un petit, elle se jura de cacher l'information à l'enfant. Un nébuleux rencontré durant sa fuite trahit le secret de sa mère. La jeune dragonne feint de n’avoir connaissance de cette haute trahison et méprise son père comme l’aurait fait sa mère, lui reprochant (à raison sans doute) d’avoir souillé son sang.
Sehora se promet que sa lignée s’éteindra avec elle afin de ne pas faire perdurer cet échec et cette honte plus longtemps.


Entre 1600 et 1700, Inde, Népal, Chine


Après avoir quitté le lac, Sehora a erré comme une ombre en essayant de suivre les runes que les dragons avaient pu laisser, à la recherche d’un asile chez ses pairs qu’elle n’avait jamais observer. La première vue sur le monde lui brûla la rétine. Son reflet à la surface de l’eau claire fût la première idée de l’apparence que pouvait avoir son espèce.
Elle chercha immédiatement la fuite vers le nord alors que les balbutiements de l’occupation Moghole permirent une diversion bienvenue aux nébuleux, en particulier aux dragons qui n’étaient plus chassés, pour trouver un nouveau refuge. Cent ans ans s’écoulèrent en Inde, en solitaire, à errer sans les moindres connaissances primaires. Les rares dragons qu’elle avait pu rencontrer jusqu’alors l’avaient abandonnée pour le poids qu’elle laissait reposer sur leurs épaules. Sa méconnaissance du monde en avait fait un fardeau et voyager seule sans savoir ralentit son périple. L’arrivée de l’empire britannique sur le sol Indien ne facilita pas le trajet, mais elle parvint à traverser le Népal. Les nouvelles lois imposées par les anglais avaient placé de nombreuses réglementations sur la chasse des Nébuleux qu'ils conservaient pour l'empire et le commerce en occident. Les dragons devinrent l'une de ces proies qu'ils se réservaient pour des temps plus calmes. Une fenêtre de vingt ou trente ans somme toute idéale pour s'échapper.
Elle atteignit la chine vers 1760 rencontra là bas un passeur Kitsune, Siodhnön qui avait lui-même fui le Japon quelques décennies plus tôt. Le premier Nébuleux a accepter de lui enseigner malgré son âge avancé. Le premier à se soucier de son sort. Le premier et le seul à lui proposer loyauté et affection alors Il devint un ami qui la quitta à la frontière Tibétaine atteinte vers 1820, malgré ses supplications: il était un passeur et là était son rôle. Il devait rester là. A la jonction. C’est là qu’elle trouva enfin refuge.


Environ 1800 à 1950 Tibet


Elle gravit le mont Kailash pour y rencontrer de vieux dragons, affaiblis par les siècles, prostrés derrière les livres qu’ils gardaient de leurs vies. Les siècles suivants, elle les passa dans cette faille éclatée dans la roche noire, à s’instruire des ouvrages poussiéreux et des enseignements des anciens. La paix entre les peuples humains et nébuleux était somme toute relative mais les grands espaces et les climats hostiles laissaient une tranquillité certaine aux nébuleux. Il y avait en fait encore des moines pour chercher leurs conseils. Sehora les avait toléré. Puis, après un siècle, aimés. Il y avait eu Dawa qu’elle avait vu grandir, à qui elle avait appris les étoiles, qu’elle a vu enfanter, soutenue dans ses marches lorsque l’âge la pesa et veillée à sa mort. Elle avait porté son corps , fait ses adieux et pleuré sa perte, fait la promesse de veiller sur sa petite fille. Elle chérit leur compagnie et leurs enseignements, chérit la paix qu’ils avaient à leur offrir, la vie qu’ils avaient partagé.
Il avait suffit d’un traître. Elle apprit là bas que le Tibet, territoire lentement annexé par la chine commençait à subir des remaniements politiques. Le coût de l’information, de la vie, du sacrifice, ont toujours té bien plus élevés que ceux de la loyauté. La petite fille de Dawa, Tséring mourut entre ses pattes le jour du drame.
Les chasseurs massacrèrent sans pitié les créatures qui n’avaient pas pu fuir. Sehora les égorgea, un à uns, aveuglée par la rage. Incapable de rester dans ces montagnes qui portaient le souvenir de ses amours et ses échecs, ses hontes, elle fuit. Depuis, elle se contentait de vivre dans les terriers à chasser des petits rongeurs et des insectes pour survire en fuyant toute étendue d’eau. Jusqu’à découvrir l’existence d’une île qui, offrirait un asile permanent, fatiguée de courir les routes que les humains tenaient tant à rendre hostiles et cribler de pièges.

1950 - 1978 Sur la route de Nitescence

Sehora s'en fût vers la côte. Le temps passé avec les dragons et les moines lui permirent de traverser le terres bien plus aisément et rapidement qu'à l'allée. Elle avait beaucoup appris. C'est alors qu'elle décela dans la pierre, dans l'écorce, les symboles d'une utopie dont lui avait fait mention Dawa il y avait bien des ans. Sehora ne savait pas si elle y croyait, ce qui était certain, c'est qu'elle n'avait plus rien à quoi s'accrocher une fois encore. Elle suivit la frontière chinoise, traversa la Birmanie, incapable de remettre une patte en Inde, ce qui allongea encore sa route.
Elle suivit les signes aveuglément jusqu'à un port. Elle y resta à observer les allées et venues des marins, cachée sous les mansardes et les toits pour savoir quel bâtiment était celui des passeurs. Terrifiée à l'idée de monter sur un bateau et de se trouver piégée en haute mer, elle pensa abandonner à mainte reprises. Mais la promesse d'une vie en exil et en fuite eut raison de ses doutes après huit mois à observer des nébuleux se hisser dans les bateaux.
Elle roula son corps dans un baril de poudre vide à destination d'un navire marqué. La poussière noire résiduelle piégée entre ses écailles. Elle manqua d'étouffer à plusieurs reprises. Là, elle attendit encore, comme elle avait si bien le faire. Elle sentait autour d'elle l'odeur fauve des loups, entendait sur le plancher les griffes des harpies. Quand elle fut certaine que sa vie ne serait pas mise en danger, elle rejoint le pont. S'il n'avait pas fallu garder la face devant toutes ces créatures, elle se serait précipitée dans la cale à la vue de cette eau qui fit remonter dans son cœur les souvenir les plus terribles.
Elle n'avait pas tremblé. Et deux jours plus tard, ils accostaient.


Sehora, suprémaciste de sang ne considère alors à son égal que certains nébuleux dont la forme pure est éloignée d' l'humain. Elle rejette l'idée même de posséder une forme anthropomorphe, la considérant bien trop impure pour être empruntée. Alors à ses yeux les traîtres ne méritent pas la vie ou à défaut, son attention. Malheureusement les nébuleux de ce genre se font rare… Et sur l’île, elle commença à se demander si cette doctrine qu’elle s’était imposée n’allait pas devoir subir une certaine souplesse. Les enfants ayant hérité de sang humain cependant devaient servir ou périr.
Pour ne jamais avoir à servir les races inférieures, elle se fera passer pour faible, quand bien même elle soit plus que capable.

Et tant que je vivrai, je n'aurai de cesse d'attempter à l'anéantissement de l'espèce humaine