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Statement begins | pv. Opale :: Nitescence :: Lieux interdits :: La Nepenthe
Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
La semaine touchait à sa fin et une fatigue durable s'était installée dans ses os. Elle avait percé la couche de ses muscles, enflammait ses nerfs éprouvés et s'était confortablement fait une place dans toute son ossature que les derniers jours avaient mis à mal.

Ils s'étaient réconciliés avec Opale ; c'était une bonne chose. Opale était alité ; c'était une moins bonne chose. Gerhard le soupçonnait de ne pas beaucoup respecter le repos qu'il s'était lui-même imposé, avec Gabriel dans le manoir et ses plantes à l'étage et d'autres responsabilités de docteur qui devaient lui coller à la peau malgré son état de fatigue avancé. L'état dans lequel Opale s'était retrouvé, durant cette soirée qui restait gravée dans sa mémoire, avait cependant été assez critique pour que même le médecin décrète qu'il avait besoin d'une pause. Pas une énorme, mais une pause tout de même. Gerhard n'avait pas argué : il gagnait ses batailles où il le pouvait.


Le repos d'Opale passait néanmoins par moults de rendez-vous décalés, des visites à domicile remises à plus tard, des habitants de Lucent mécontents de ne pas être visité pour un rhume ou une autre maladie peu reluisante, mais dont la gravité laissait à désirer. Si cela ne tenait qu'à lui, Gerhard aurait eu quelques mots musclés avec ces patients désobligeants qui pestaient de ne pas avoir Opale à leur disposition ; ce dernier, cependant, était plus diplomatique que lui, et l'avait enjoint à simplement les prévenir de son indisponibilité.

Gerhard l'avait fait, parce qu'il était redevable à Opale, et que la moindre de ses écartades serait remontée aux oreilles pointues de son colocataire. Ils étaient sortis d'une dispute, ce n'était pas pour plonger dans une nouvelle, et Gerhard reconnaissait... l'intérêt de la démarche, les raisons qui poussaient ces gens à se montrer moins que cordials que d'autres. Ils souffraient, et voulaient être entendus. La douleur vous rendait sourd à la raison ; c'est en tout cas ce qu'il se répétait intérieurement à chaque fois qu'un habitant, Nébuleux ou Humain, avait grimacé face aux nouvelles.

Tous n'étaient pas comme ça heureusement, et certains s'étaient enquéris de l'état du médecin. Ces paroles, Gerhard les avait volontier rapporté à son colocataire, que la sollicitude de ses patients avait dû toucher. Il n'aurait su le dire : il préparait à manger quand il racontait ses visites du jour à Opale, le visage tourné vers ce qu'il accomplissait de ses dix doigts, sous peine d'en perdre un sous le couperet de son couteau.


Il avait donc pris en charge quelques tâches ménagères de la maison - les repas du soir, le ménage méticuleux qu'il infligeait aux coins les plus sombres dans lesquels se cachaient les araignées les plus vicieuses - et était rentré dans un rythme habituel mais soutenu qui, jour après jour, pesait un peu plus dans ses épaules. Au moins Gerhard était-il assuré de passer une bonne nuit de sommeil ; mais c'était sans compter sur ses nuits courtes, le jour levant le tirant de son lit séance tenante.

Il ignorait pourquoi le sommeil l'éludait ainsi ; chaque soir, il se glissait sous les couvertures et attendait que Morphée ne l'attire dans ses bras, en vain. Il pouvait contempler le plafond autant de fois avant que l'activité ne devienne barbante, et Gerhard était certain qu'il était capable de redessiner la moindre petite tache d'humidité les yeux fermés. Il se ressassait en boucle cette soirée là, Opale dans ses bras, ses mains sur son visage, et sentait irrémédiablement le sien s'embraser.

Ridicule. Il avait vingt-sept ans, nom de Dieu, et autant d'années d'inexpérience dans cette matière lui soufflait après la partie traître de son esprit qu'il avait souvent envie d'assommer avec un gourdin. Oh, il se mentait à lui-même, il savait très bien pourquoi le sommeil l'éludait, et il savait très bien que c'était stupide, et il savait très bien que tout cela lui courait sur le haricot. Mais le déni était une rivière dans laquelle il trempait tous les jours, et comme ces derniers s'écoulaient sans guère se soucier de ses problèmes d'adolescent, Gerhard était bien content de les ignorer un peu plus longtemps.



Il revenait aujourd'hui d'une autre de ces tournées partagée entre ses devoirs et ceux d'Opale. Troisième jour que le médecin passait au manoir ; depuis le temps, tout Lucent était au courant de ses problèmes, un mot universel qui n'invitait pas de questions mais, hélas, de la curiosité. Gerhard avait heureusement un visage peu avenant quand il le voulait - c'est-à-dire souvent - et prétendait très bien être sourd quand la situation l'appelait. On allait loin dans le monde quand on était un peu impoli... Parfois. Sa clavicule avait beau être à peu près guérie - Gerhard grattait les croûtes distraitement quand le sommeil lui manquait, et avait découvert une superbe cicatrice, un charmant cadeau d'Ezekiel - la peau pâle marquée par des canines pointues lui rappelait qu'à trop jouer avec le feu, il risquait de se brûler.
Fort heureusement tous les habitants n'avaient pas ce petit grain de folie qui paraissait caractériser Ezekiel, et à part quelques grommellements qu'il avait fait mine de ne pas entendre, Gerhard était ressorti indemne de ses confrontations avec les patients d'Opale.

A mi-journée, il avait choisi d'écourter la sienne et de rentrer au manoir. On était vendredi après tout, la semaine touchait à sa fin, et Lucent rentrait doucement dans cette torpeur qui caractérisait la fin de toute activité hebdomadaire. Les élèves faisaient l'école buissonnière, les commerces baissaient leurs rideaux, Gerhard prenait le chemin du manoir ; voyez donc à quel point il s'intégrait bien dans l'ordre des choses. Il pensait déjà à ce qu'il pourrait mijoter pour ce soir, quelque chose qui soit aux goûts d'Opale et de Gabriel, peut-être une énième salade ? Ou bien des pâtes. Il faisait très bien les pâtes, après tout.


La marche s'avérait toujours ardue avec de pareilles chaussures. Il avait finalement cédé, il y avait quelques jours de cela, et avait dégoté une nouvelle paire chez la mère d'un de ses patients. Elle les lui avait donné grâcieusement, l'air de lui dire que sa dette était payée. Gerhard avait eu l'impression de partir en voleur, quand bien même les paroles d'Opale et celles, plus récentes, de June, lui flottaient en tête : ici, pas d'argent, que de l'échange de services.

Gerhard tâchait donc de s'habituer à ces nouveaux souliers, plus adaptés à une vie sur une île à moitié sauvage si ce n'est pour quelques rues pavées. Ses pieds souffraient le martyr - avec un peu d'exagération, certes - et il sentait poindre quelques ampoules à des endroits inopinés. Il lui tardait de s'en débarrasser et de poser ses orteils endoloris sur le parquet froid du manoir. Après la cuisine, peut-être ; il était à deux doigts de la faire assis.

Une fois sorti de la forêt, ce n'était qu'une question de minutes avant de parvenir à la maison, dont la grande silhouette s'imposait dans le champ de vision de quiconque s'y approchait. Gerhard avait l'habitude de rentrer plus tard, en début de soirée, et se demandait sur quel spectacle il tomberait à cette heure-ci, alors que midi avait à peine sonné. Peut-être Vynce, songea-t-il avec une grimace, qui rendait visite à son bon ami. Ou bien Opale en train de trimer alors que ses joues étaient toujours aussi pâles. Ou bien Gabriel en train de poser ses pieds sur la table basse du salon. Tant de possibilités, aucune très reluisante...


C'était ce qu'il se disait, mais à chaque fois qu'il foulait les marches extérieures de la maison Gerhard ne pouvait empêcher un petit sourire de s'emparer de ses lèvres. Il ne pensait plus à son appartemment berlinois quand on évoquait son chez-lui, mais bien cette masure ancienne qui lui avait ouvert ses portes bien des semaines plus tôt. Gerhard essuya ses pieds sur le paillasson et poussa la porte d'entrée - toujours ouverte, évidemment -, s'annonçant d'une voix claire :

- Je suis de retour !

Un silence répondit à ses paroles. Il ne s'attendait pas, à dire vrai, à une réponse. Il accrocha son sac à bandoulière au porte-manteau, à côté du chapeau tressé d'Opale, et prit le chemin de son bureau d'un pas assuré. Oh, il n'allait même pas se déranger à grimper les marches jusqu'à l'étage, ni même l'échelle qui menait à sa serre. Quelque chose, appelez ça son instinct, lui disait qu'il trouverait son colocataire exactement là où il l'avait déniché quelques jours plus tôt, à se tuer à la tâche.

- Opale, chantonna-t-il presque en toquant à la porte du bureau, pas assez téméraire pour l'ouvrir séance tenante, j'espère qu'il te reste des forces pour cet après-midi, parce que je vais la passer ici. Il pensait qu'une petite sortie ferait le plus grand bien à son colocataire, histoire qu'il reprenne quelques couleurs bien nécessaires, mais le formula plus correctement : Que dirais-tu d'une marche tout à l'heure, histoire de te dégourdir les jambes ?

Il n'était pas assez stupide pour penser qu'Opale ne gambadait pas quand il s'absentait, mais il avait envie de le rejoindre. Plus que le tutoiement - qu'il avait gardé par habitude, bien heureux qu'Opale lui ait laissé ce privilège - c'étaient ces petits moments qu'ils passaient ensembles qui le remplissaient de joie. Sa langue hésitait parfois, il avait l'impression de commettre un impair en prononçant ces syllabes raccourcies qui désignaient désormais son colocataire, mais ce dernier ne disait rien. Ou bien Gerhard ne s'en était jamais rendu compte, mais dans ce cas il aurait été le dernier des abrutis, ce qui n'était... pas impossible, oui.

Assez d'incertitude, cependant : Gerhard était revenu plus tôt pour se détendre et passer cette fin de vendredi en bonne compagnie, et c'était bien ce qu'il comptait faire, que ce soit dehors ou en intérieur, ou autre part encore. Il n'était, après tout, pas très difficile sur la question.
Mar 30 Avr 2024 - 23:59
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Opale Caladrius
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Opale Caladrius
Statement begins
"Fata viam invenient" ou le destin trouvera un chemin



Son doigt se cala sous sa tasse alors qu’il la reposait sur la table, pour éviter qu’elle n’émette le moindre son. Une vieille habitude bourgeoise qui était implantée dans sa mécanique depuis des décennies. Ils glissèrent le long de la surface lisse, chaude et humide en soupirant, le regard perdu sur la fenêtre de la cuisine. Comme le vent était fort aujourd’hui ! Le lierre sauvage qui s’étendait sur les murs du manoir tapait contre le carreau. Les minces filets d’air se frayaient un chemin dans les lézardes, sifflant dans les corridors solitaires. Opale frissonna, ramenant ses mains délicatement contre la tasse pour la porter à ses lèvres, serrant le châle qui lui parait les épaules.

Il n’était pas seul mais ses colocataires se faisaient discrets ces jours-ci. 3 jours, pour être exact. Le médecin était à peine sorti, forcé au repos par son corps défaillant qui s’était finalement manifesté. Ironie du sort, cela s’était finalement produit lors d’un moment de faiblesse. Opale avait du se faire à la terrible idée d’être cloué au lit. Ce n’était pas dans ses habitudes, ni ses manières de se laisser ainsi aller à la douceur des draps. Bien sûr, tout le monde voulait des vacances, mais lui n’en avait jamais réellement prises. Il ne prenait repos que lorsqu’il le méritait et là… Il avait la sensation d’avoir tout fait de travers ces derniers temps.

Ses doigts se serrèrent distraitement et son dos s’appuya contre le dossier grinçant de sa chaise en osier. La vapeur s’échappant du liquide chaud de sa tisane dansait devant ses yeux sans qu’il ne le voie.

Oui, c’était définitif. Il avait VRAIMENT tout fait de travers avec Gerhard. Son tendre ami s’était attelé à toutes les tâches de la maison, cuisinant, nettoyant, réparant, il était même allé à la rencontre de ses patients des prochains jours pour les avertir. Il aurait pu déposer une annonce au centre communautaire mais non ! Il était allé les voir en personne. Opale s’en mordait les doigts de honte. En 50 ans, cela ne lui était jamais arrivé. Il avait la sensation de faillir à toutes ses tâches et dans tout ça… Qu’en penserait la matriarche ?

Etrangement, malgré sa présence aidante, le nébuleux pressentait une forme d’évitement de la part du psychologue. Il se tournait, bien souvent, en effectuant les tâches. Il parlait, beaucoup, c’était fort peu habituel. Il ne s’arrêtait pas de la journée, pas une minute. Opale, dans sa quasi-immobilité assise ou allongée, l’observait faire des allers retours constants.

Et parfois, le caladre essayait de l’interpeller doucement, « Gerhard » murmurait-il en tendant la main, l’expression inquiète. Il désirait reparler de ce qu’il s’était passé. Après tout, pouvaient-ils réellement faire comme si de rien n’était ? Opale n’en avait pas envie. Cette étreinte n’avait pas été celle de deux simples amis. Il craignait que Gerhard s’en veuille encore.

Le soir, dans son lit, il ne trouvait pas le sommeil alors il revisitait la caresse de sa main contre ses joues, puis son corps. Il essayait de se remémorer, surtout, les traits de son visage. Dans l’obscurité, c’était plus simple de l’imaginer. Ces traits légèrement tombants, longs et fins. Les pommettes creusées, les mèches brunes et folles les caressant. Le nez saillant et cette cicatrice en creux qui l’habillait jusqu’à la courbe de son œil. Il s’était surpris lui-même à se souvenir de tous ces détails. Et puis, il y avait la manière dont il avait déposé ses lèvres sur son front, ses paupières.

Il n’avait surement fait que reproduire les propres mouvements du médecin, mais il y avait eu quelque chose de très… électrisant. Opale avait beau avoir eu des amants, humains comme nébuleux, il avait oublié ce sentiment de se sentir ainsi… Contemplé. Oui, c’était le mot. Alors il sentait le rouge piquer ses joues et il se glissait sous les draps en soupirant, agité. Pour se distraire, il visitait en rêve les quelques patients qu’il avait soigné ces dernières semaines. De loin, dans l’obscurité rassurante, il laissait le vent souffler entre ses rémiges. Et il s’était surpris à se demander de quoi Gerhard pouvait-il bien rêv-
TAC.

Opale sortit de ses pensées avec un sursaut. Quelque chose avait tapé contre le carreau. Ah, qu’il était sensible ces derniers jours. Un soupir et il reposa sa tasse toujours de la même façon, ses pieds nus quittant la chaise pour rejoindre le lino froid. Le nébuleux étira ses bras vers le plafond, roulant sa tête contre ses épaules en laissant ses cheveux cascader le long de sa nuque. Il se sentait moins étourdi aujourd’hui alors peut-être pourrait-il… Travailler un peu ? Il tendit l’oreille pour être certain que Gerhard n’était pas revenu et n’allait pas surgir de la pénombre pour l’attraper. Il se dirigea vers son bureau et y entra sans sommations.

Les rideaux étaient tirés, il était dans le même état où il l’avait laissé quelques jours plus tôt, mis à part que le ménage semblait avoir été fait. Oh, Gerhard. Songea-t-il, en secouant doucement la tête, autant touché que gêné de l’attention. Il s’assit sur sa chaise roulante, se décidant à reclasser les papiers qui avaient été mis en désordre, lorsqu’il les avait éparpillés partout. Les minutes s’écoulaient sur la grande horloge, le soleil berçait ses gestes lents et il avait même remis ses lunettes. Tiens… Il manquait une feuille dans le dossier de Gabriel. Opale fouilla son bureau, incapable de la retrouver. Peut-être… avait-elle glissée quelque part, lorsque le dossier s’était éclaté par terre ?

Le médecin grommela, rejoignant le sol pour se mettre à quatre pattes, cherchant à tâtons l’objet égaré.  Il entendit à peine Gerhard qui rentrait, trop concentré à la tâche. Ah ! La voilà ! Sous le bureau ! Coincé sous le pied, il tendit la main, tirant un peu pour ne pas la déchirer et… L’on toqua à la porte. La voix de Gerhard résonna derrière et Opale se cogna à moitié la tête en se redressant brusquement. Que-Comment avait-il su qu’il était ici ? Le caladre, un peu penaud, se releva en s’époussetant. Il ouvrit la porte timidement, levant les yeux sur un Gerhard absolument rayonnant.
Il sentait bon l’air frais et le soleil, comme le printemps. Il avait l’air en forme et son ton était plus enjoué que d’habitude. Opale, pour éviter de se faire houspiller pour son travail, répondit avec un joli sourire, attrapant son bras en l’emmenant loin du bureau.

-Bien le bonjour. Oh, excellente idée Gerhard ! Je me sens mieux aujourd’hui et cela me fera le plus grand bien.

Le médecin, sans s’annoncer, était évidemment sorti en ville plusieurs fois. Prudemment et à son rythme, pour une fois. Il était allé au marché, il voulait acheter un cadeau à son ami pour le remercier de ses soins. Et puis… Il s’était fait voler son stylo. Il avait rendu visite à l’un de ses patients aussi, le jeune Tarrak. Beaucoup d’adolescents ces temps-ci, ils n’étaient pas moins éreintants que les adultes. Enfin bref. Cependant, il n’avait pas réellement profité de ces premiers jours de printemps tout à fait charmants et éclairés.

-J’ai quelque chose pour toi.


Se souvient-il soudainement en s’approchant du hall d’entrée. Il s’éclipsa un petit instant dans la cuisine pour revenir avec un petit paquet blanc noué d’un ruban bleu entre les mains. Opale n’avait pas vraiment l’habitude d’offrir des cadeaux alors c’était… Nouveau, pour lui. Mais il s’y était essayé. Il lui tendit, nerveux. C’était un foulard bleu nuit au tissu fin, presque translucide. Il était paré de pivoines blanches et des feuillages dorés. Lui, il les voyait mal, mais il s’était fié à l’avis du vendeur qui lui avait décrit avec soin les différents motifs. Et surtout, à la texture très douce et fluide. Opale ramena une mèche derrière son oreille, le cœur battant.

-Heu je… Je me suis dit pour protéger tes cheveux, avec tout le ménage que tu fais et… Du vent aussi. Il peut servir pour se protéger le cou aussi, je pense. Il avait baissé les yeux pour regarder ses pieds. Il fait frais, même l’été à Nitescence tu sais !

Cela lui plairait-il ? C’était un cadeau peut-être un peu féminin mais Opale ne possédait pas tous ces codes-là. Il collectionnait ce qu’il trouvait beau, élégant, ou avec des textures agréables, comme en témoignait ses vitrines d’objets hétéroclites. Il inspira, posant ses yeux sur lui.

-J’ai eu une idée, aussi. Cela te dirait-il si nous allions aux archives aujourd’hui ? Nous pourrions enquêter sur ton père.  Je reste un membre du personnel alors je peux t’ouvrir cette porte. Et avant que tu dises quoique ce soit, prends ça comme un… remerciement. Pour tout. Je sais que c’est important pour toi.

Il l’observa, un instant, légèrement tendu, le cœur au bord des lèvres. Et puis, dans un geste, il s’avança vers lui dans une brève étreinte, serrant ses bras autour de lui. Ses cheveux suivirent le mouvement le long de ses épaules et il se mit légèrement sur la pointe des pieds pour que son visage soit à la hauteur de ses épaules. Il le relâcha tout aussi vite, nerveux avant de s’écarter de quelques pas vers l’arrière.

-Je vais mettre mes chaussures !



KoalaVolant
Ven 3 Mai 2024 - 12:57
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Opale lui ouvrit la porte avec un air désolé qui rappelait à Gerhard celui d'un enfant dont la main avait été surprise dans la jarre à cookies. Il ne put retenir un soufflement amusé tandis ce que le médecin le saluait - ils n'avaient pas eu le temps de s'apercevoir ce matin, Gerhard tout à son devoir et Opale occupé à... dormir, sûrement - et effaçait de son visage les résidus de sa gêne. Penaud d'avoir été pris la main dans le sac, à travailler alors qu'il aurait dû se reposer, peut-être ; mais Gerhard n'était pas idiot et se doutait bien qu'un accroc du travail tel qu'Opale n'allait pas cesser toute activité du jour au lendemain. Il était incapable d'affirmer que cela ne le dérangeait pas - aurait voulu qu'Opale lâche un peu les rênes, se tue à ne rien faire plutôt qu'à la tâche - mais reconnaissait que cela ne dépendait pas que de lui. Le médecin avait assimilé un certain style de vie des millénaires durant, et ce n'était pas le mois et demi qu'ils avaient passé ensemble qui changerait la donne.

Il avait bon espoir, mais n'était pas idiot. Pas tout le temps, en tout cas.


- J’ai quelque chose pour toi.

La voix d'Opale le tira de sa torpeur, alors qu'ils progressaient doucement vers le hall d'entrée que Gerhard venait à peine de quitter. Le médecin s'éclipsa sans demander son reste, fit son bonhomme de chemin dans la cuisine. Il fronça les sourcils alors qu'il l'entendait fouiller, bouger ci et ça à la recherche de quelque chose. Il était amusé, cependant, loin d'être consterné par sa propre mémoire défaillante qui avait permis à Opale d'occulter quelque chose à ses yeux et ses mains. Tout le reste de la maison lui était connu, mais Gerhard soupçonnait que la cuisine resterait pour lui un mystère, pour une raison ou une autre qui lui échappait.

Enfin, tant qu'il parvenait à cuisiner, c'était ce qui comptait, et Opale ne s'en plaindrait pas : il revenait avec son paquet, bien heureux qu'il n'ait pas été décelé avant le bon moment, et le lui tendait fébrilement.

Gerhard le prit de ses paumes tendues et déballa l'emballage avec un soin tout particulier. Un cadeau ? Il n'en avait reçu que de sa mère, pour son anniversaire uniquement - elle ne fêtait pas Noël, question de religion, et si elle ne lui avait pas imposé son culte elle lui avait au moins transmis ses habitudes - et le dernier remontait à... bien des années, avant qu'il ne quitte le cocon familial. Elle ne lui avait jamais rien fait parvenir à Berlin et il n'avait jamais rien réclamé.

- Heu je… Je me suis dit pour protéger tes cheveux, avec tout le ménage que tu fais et… Du vent aussi, babillait Opale, la voix rapide comme si sa gêne disparaîtrait plus vite une fois les mots prononcés. Il peut servir pour se protéger le cou aussi, je pense. Il fait frais, même l’été à Nitescence tu sais !

C'était un foulard fin. L'étoffe coulait presque entre ses doigts : à sa couleur bleu nuit, Gerhard aurait pu croire qu'il tenait entre ses paumes un fragment d'une eau pure. Savamment brodés dans le tissu, des motifs floraux ornaient avec grâce ce fin présent. Gerhard pinça un coin et l'autre dans chaque main et le déplia avec mille précautions, pour en admirer le travail et la beauté. Il était sans voix, ne savait que dire à Opale qui aurait pu exprimer toute sa gratitude, son admiration. Dans le monde extérieur, un tel foulard aurait coûté cher, bien plus que ce qu'il osait dépenser pour lui-même.

Le médecin attendait dans un silence anxieux son verdict, et Gerhard ignorait par où commencer. Etait-ce sa gorge qui se serrait ainsi ? Ne manquerait plus que ses yeux s'embuent de larmes ; il était touché, mais—


-J’ai eu une idée, aussi. Cela te dirait-il si nous allions aux archives aujourd’hui ? dit Opale avant qu'il ne puisse formuler la fin de cette pensée. Il avait dû mettre trop de temps à réfléchir. Gerhard referma une main sur le foulard, emmenant dans les affres de sa paume le reste du linceuil. Nous pourrions enquêter sur ton père.  Je reste un membre du personnel alors je peux t’ouvrir cette porte. Et avant que tu dises quoique ce soit, prends ça comme un… remerciement. Pour tout. Je sais que c’est important pour toi.

Qu'avait Opale, aujourd'hui, pour le prendre de court ainsi, pile dans les sentiments ? Malvoyant ou pas, le médecin semblait avoir une véritable cible dans l'oeil, qu'il braquait allègrement sur son colocataire. Gerhard croyait que ses genoux flancheraient ; encore davantage quand Opale noua doucement ses bras autour de son corps malingre, dans une étreinte dans laquelle Gerhard crut se perdre entièrement.
Après leur réconciliation, ils ne s'étaient guère attardés sur de nouvelles câlineries. Gerhard s'y était adonné avec un abandon presque honteux chez June, mais n'avait pas osé reposer les mains sur Opale, de peur de le voir se briser entièrement entre ses doigts malingres. Reconnaître des sentiments plus qu'amicaux envers le médecin, également, le prévenait de se laisser aller contre ce dernier ; trop l'impression d'en profiter, d'abuser d'une confiance qu'Opale avait l'air décidé à conserver envers lui.

Et pourtant, diable, qu'il désirait ! Le médecin le serrait dans ses bras, à peine quelques secondes, visage contre épaule, une respiration qu'ils partagèrent— et puis plus rien, et aussi vite qu'elle était venue la perte manqua de le faire flancher. Il était bien heureux qu'Opale se détourne pour aller enfiler ses chaussures, ou bien il aurait vu, inscrit sur son visage étroit, toute la force du désir de Gerhard.


Alors que son colocataire faisait ses lacets, Gerhard se pinça l'arête du nez entre deux doigts pour se forcer à chasser ces... distractions de son esprit. Il fallait qu'il cesse de se faire des films qui ne verraient jamais le jour.

Et pourtant... L'étoffe du foulard lui frôlait le visage, et quand il rouvrit les yeux c'était du bleu nuit qui l'accueillit, dans toute sa splendeur brodée. De la flore, un langage qu'Opale parlait couramment ; nul besoin de se rappeler avec qui. Voilà. Un cadeau d'un ami à un ami. Rien de plus, rien de moins. S'il était assez pathétique pour le porter comme une preuve d'une affection qui ne lui serait jamais retournée, eh bien soit, personne n'avait besoin de le savoir, personne à part lui.

Il avait depuis quelques jours omis les cravates, trop formelle pour Nitescence. L'île n'était certes pas un camp de plaisance, mais avait néanmoins adopté des codes vestimentaires bien éloignés du classicisme ambiant que Gerhard avait connu à l'université. Un foulard, songeait-il en tentant d'imiter le noeud d'une cravate, ne serait vu que comme un accessoire comme un autre. Il portait du local, même, c'était assurément mieux. Opale ayant fini de nouer ses lacets, Gerhard ayant fini de nouer son carré de soie autour de son cou, il se présenta ainsi à son colocataire, les mains ouvertes en grand comme pour accompagner un Tadaaaaah qu'il ne prononcerait pas.

- Alors ? Verdict ?

Déjà le poids du tissu contre sa gorge devenait à peine un bruit de fond, une habitude comme une autre. Il avait, après tout, porté et remonté d'innombrables cravates, et cette nouvelle qui ornait son col lui paraissait bien plus à sa place que n'importe quelle autre. Gerhard laissa retomber ses mains contre son pantalon, essaya de ne pas paraître trop évident quand il essuya la sueur excessive, que le stress soudain avait fait s'accumuler, contre ses cuisses.

- Je ne sais pas comment te remercier, Opale. Et je n'ai rien à t'offrir en retour ! dit-il doucement, prenant grand soin de ne pas quitter le médecin des yeux. Je n'ai— Enfin— Les mots lui manquaient, et c'était peut-être parce qu'il n'avait pas besoin, au final, d'en prononcer plus que nécessaire. Merci. Merci pour tout. Et... Merci pour ta proposition.

Gerhard s'avança lentement, proposa comme il en avait l'habitude son bras à son colocataire : le guide humain, un rôle qu'il lui plaisait de jouer. Mais soudainement le script changeait, avec cette opportunité qu'Opale avait jeté à ses pieds et qu'il s'empressait de ramasser. Une fois la main du médecin glissée dans le creux de son coude, Gerhard empoigna la poignée de la porte, d'un geste décisif.

- Allons aux archives.



Le chemin se déroula dans un silence, si pas de mort, alors rempli d'une certitude que le courant des choses allait changer. Opale dut lui dire quelques mots, et Gerhard dut y répondre par d'autres ; il n'en gardait aucun souvenir, chose assez honteuse à dire vrai, puisque tout son esprit était concentré sur un seul point, le même vers lequel tendaient leurs corps : les archives.

Il s'était douté que Nitescence en était doté. Le dossier d'Ezekiel, posé innocemment sur son bureau avant leur première rencontre catastrophique, avait été extrait de quelque part. N'importe quelle affaire qui tournait, de toute façon, gardait quelque trace écrite, stockée à l'abri du temps qui aurait pu vouloir y apposer quelque griffe fatale. Il s'en était douté, mais n'avait su comment les atteindre.

Et Opale, maintenant, l'y emmenait ! Gerhard en aurait dansé de joie, seulement le sujet n'avait rien d'euphorique. Il était venu à Nitescence dans un but, et craignait désormais l'atteindre. Que ferait-il une fois cela accompli ? Que deviendrait-il ? Son séjour sur cette île n'avait aucune date de péremption, on l'avait accepté avec l'accord tacite que jamais il ne quitterait ce lieu perdu au milieu de nul part. Soit, cela lui convenait.

Serait-ce toujours le cas plus tard ? Gerhard peinait à envisionner un futur après cela, ce point de rupture entre avant et maintenant. Il fallait cependant admettre que sa vie comportait beaucoup d'avant et de maintenant, eux-mêmes devenus de nouveaux avants ; la boucle se répétait, ad vitam eternam, et il était toujours là, toujours debout, cela devait bien vouloir dire quelque chose... n'est-ce-pas ?

Alors qu'ils foulaient les rues pavées de Lucent, en direction d'un manoir dont Gerhard n'avait guère aperçu que le toit, il coula un regard inquiet vers Opale. Son colocataire et ami se remettait à peine du mal qui l'avait atteint et déjà il jetait ses forces dans une nouvelle bataille. Gerhard avait l'impression d'être le dernier des connards. Opale avait proposé, mais il avait accepté - avait l'impression de profiter d'une générosité qu'il ne méritait guère, un cadeau supplémentaire qu'il ignorait comment répondre -, et craignait que cette boule qui résidait dans sa gorge n'était pas tant de l'adrénaline qu'un pressentiment aux reflets funestes. Mais non, tenta-t-il de se rassurer, Opale ne ferait rien qu'il ne puisse faire... pas vrai ? Il avait des accès que les autres ne possédaient pas, la Matriarche - qui qu'elle soit - lui accordait sa confiance. Sûrement, amener quelqu'un aux archives ne constituait pas un crime. Ils ne craignaient rien.


Cette affirmation sauta par la fenêtre et alla s'écraser au sol à l'instant même où Gerhard posa ses yeux sur la Népenthe. S'il avait cru, lors de son arrivée, que le manoir d'Opale était vétuste, cela n'était rien à côté de cette masure qui paraissait tenir par la force de son entêtement uniquement. Elle n'avait pas l'air vieille mais réellement ancienne, ou bien un souvenir de ce que quelqu'un pensait qu'une maison était : Gerhard regardait à droite et voyait des carreaux au travers desquels on n'apercevait rien, regardait à gauche et croyait voir du lierre s'arrêter soudainement de bouger.

Il cligna des yeux, les plissa : le lierre n'esquissa pas le moindre geste. Il s'en désintéressa. Une rafale de vent froid lui frappa les joues, et un frisson lui remonta toute la colonne vertébrale, des pieds à la tête. On était fin avril bon sang ! Comment un vent pouvait être aussi glacial ? Comme un avertissement, lui souffla son esprit, ou bien la bise d'une hôtesse qui avait été notifiée de leur présence.

- Tu sais, Opale, dit Gerhard l'air de rien, incapable de détourner le regard de la porte d'entrée qui lui hurlait, d'une manière ou d'une autre, de ne jamais se saisir de sa poignée, je peux vivre dans l'ignorance. Encore un peu, du moins. Le temps que tu ailles mieux.

Si lui avait froid, d'une fraîcheur qu'il n'arrivait pas à concevoir comme naturelle, mais encore moins comme surnaturelle, alors Opale devait être frigorifié. Ou pas. Qui sait comment son corps interprétait ces températures, après tout.

Gerhard déglutit mais se força à reprendre : - Vraiment, je... je peux attendre. Ou bien— Non, du nerf, que diable. Du nerf, Speckmann, le châtia son esprit, mais malgré toutes ces résolutions il ne put s'empêcher de demander : Tu... ne me laisseras pas tout seul une fois que nous serons aux archives ?

Ses mots hésitants devaient lui donner un air d'enfant apeuré, mais bah ! Qu'à cela ne tienne. Oui, si on lui posait la question Gerhard n'aurait aucun mal à assurer qu'il craignait ce qu'ils pourraient trouver en bas, caché dans les tréfonds des archives ; et les conséquences que cela aurait sur leurs vies. Certaines informations ne pouvaient être oubliées malgré nos désirs les plus fous. Celle-ci, aussi capitale, ne dérogerait pas à la règle.
Jeu 9 Mai 2024 - 23:01
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