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Children of the storm (Feat Gerhard)  :: Archives :: Bibliothèque des anciens RP :: Présent
Opale Caladrius
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Opale Caladrius

Children of the storm

Foam in their veins, ashes in their mouth

Feat Gerhard



Sa main se pressait contre son front, paume à plat au-dessus de son œil. Voile obscur, doux-amer, désireux de se faire clarté. L’éphèbe leva doucement ses doigts puis la reposa, son autre dardé sur le plafond de sa chambre. Il retenait son souffle, alternant ce jeu de main qui devait être presque comique vu de l’extérieur. Caladre changea de main, alternant une nouvelle fois, cillant des paupières en réajustant sa tête. Il effectuait cet exercice depuis quelques mois à présent. Il y avait sur le mur de sa chambre une tâche noire, épaisse, défaut du bois certainement, ou d’humidité. Elle s’étendait au-dessus de son lit, noueuse, presque moqueuse.

Et puis, il s’était aperçu qu’elle diminuait un peu plus chaque jour. Mais bien sûr, c’était trop facile d’accuser cette tâche, ce défaut sale et imparfait qui décorait ses nuits, oui. Alors que le seul mal ici provenait bien de son propre corps. La racine était là, juste sous ses paupières et ces temps-ci, cela empirait. Avait-il abusé de son pouvoir ? Devait-il se limiter, juste un peu plus ? Non, pourtant, en faisant le choix d’être médecin ici, c’était son chemin de croix. A la fois de rédemption, mais aussi d’accepter que son destin se nouerait sur lui-même comme un serpent, fil tranché par sa propre main. Opale aurait pu garder pour lui les prouesses médicales. Opale aurait pu choisir de vivre pour toujours.

C’était déprimant et il avait besoin de se changer les idées. Doucement, il se redressa sur son lit, laissant le vertige de sa vision rétablir son maladroit appoint. Ses mains passèrent dans les draps et il s’y étira un moment avant d’enfin poser ses pieds nus sur le parquet. Voilà quelques jours qu’il n’avait que peu croisé Gerhard. Ils vivaient sous le même toit mais toujours l’autre semblait éviter sa présence. Et cela finirait presque par le vexer. Alors voilà, la veille, il avait discrètement glissé un papier sous la porte de sa chambre, l’air de rien.

Il y avait griffonné élégamment, « Si vous le souhaitez, retrouvez-moi devant la maison à 15h demain, pour une promenade en bord de mer. »

Était-ce trop vieux jeu ? Mais après tout, Opale l’était, ancien. Elevé à la plume d’oie et aux lettres délicates, sa graphie était à peine tremblante depuis le temps. Bon, pas très droite étant donné qu’il n’y voyait plus grand-chose, mais cela suffirait. Le caladre, tout en coiffant ses boucles emmêlées jeta un œil à l’extérieur. Le soleil brillait et c’était étonnant, peut-être que le destin n’était pas autant contre lui qu’il le pensait. Le médecin avait vu 3 patients depuis le début de la matinée et sa journée était finie. Il espérait que c’était également le cas de Gerhard, mais après tout, on était dimanche.

Il attrapa un sac, des lunettes de soleil (merveilleuse invention, on n’arrête pas le progrès) et dévala les marches avant de se retrouver dehors. Il faisait frais, mais c’était supportable. Vêtu d’une simple chemise et d’un pantalon plus ample, il patienta, assis sur le porche, ses cheveux noués contre sa nuque, les jambes étendues contre les marches. Il observait distraitement le mouvement de la brise dans les champs verts. Si Gerhard ne venait pas, il irait seul, mais il préférait attendre quelques instants, retenu par on ne sait quelle pensée. 
notes
Mer 28 Fév 2024 - 23:47
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Son entretien avec Ezekiel l'avait laissé perplexe.

Non, ce n'était pas le mot. Disons qu'en une heure, Gerhard s'était rendu compte de la tâche faramineuse qui lui incombait désormais. Ces Nébuleux vivaient avec une part d'eux-mêmes meurtries, des traumatismes parfois si vieux qu'ils étaient enfouis dans des creux de leur mémoire qu'ils ignoraient sciemment. Gerhard pouvait demander, pouvait titiller, mais ne pouvait pas forcer de leurs têtes millénaires des choses qu'eux-mêmes avaient oublié, ou qu'ils lui cachaient volontairement.

La chose était à la fois frustrante et excitante. Plus frustrante, cependant : il se retrouvait avec des clés qui n'ouvraient pas les bonnes portes, ou bien seulement à moitié. Il lui fallait trouver quelque stratégie pour faire sauter ces verrous qui l'empêchaient pour l'instant d'exercer correctement le métier pour lequel on l'avait engagé. Il ne craignait pas cette Matriarche, ni ne la vénérait, comme certains ici paraissaient le faire ; il n'était cependant pas assez idiot pour risquer son ire, et son poste par la même occasion. Ils le gardaient parmi eux parce qu'il avait une certaine utilité : enlevez-la lui et Gerhard se retrouvait sans rien, un fardeau qu'on aurait tôt fait de larguer par-dessus bord - ou par-dessus une de ces falaises escarpées qui se jetaient sans crier gare dans la mer.


La mer. Il l'avait entendu gronder ces derniers jours, tant et si bien qu'elle en était devenue un bruit de fond que ses oreilles percevaient à peine. Les murs du manoir, épais et solides malgré l'aspect extérieur de la maison, repoussaient le plus gros des grognements de la houle, mais les enfermaient dans un cocon à l'air étouffant.

Ce n'était pas qu'il évitait Opale. Ou bien juste un peu. C'était simplement que leurs horaires ne coïncidaient pas ; et qu'il ne faisait pas d'effort pour les faire coïncider, certes. Mis à part Ezekiel et l'évaluation qu'il avait dû envoyer à la Matriarche par le biais d'un de ces "dirigeants" qui se paradaient dans Lucent, Gerhard n'était que peu pressé par ses obligations. Il n'avait pas d'impératif, rien qui ne le tenait à un emploi du temps strict. S'il se réveillait tôt, c'était simplement parce que son corps était habitué à être debout à neuf heures au plus tard : Gerhard attendait alors, yeux grands ouverts dans la relative pénombre de sa chambre, jusqu'à entendre le cliquetis de la porte d'entrée, ou celle du bureau d'Opale. Généralement le signe que le chemin était tout à lui, sans risquer d'y croiser une personne face à qui il n'osait se présenter.


Très bien, peut-être qu'il évitait Opale. Depuis les révélations du Nébuleux sur ses pouvoirs, Gerhard ne voulait pas l'importuner avec des émotions fortes, ces mêmes qu'il peinait à garder sous son contrôle. Il était revenu de son rendez-vous avec Ezekiel chagriné, frustré ; désormais, l'inaction l'ennuyait. Opale lui avait assuré qu'il ne ressentait que les émotions fortes, mais comment être certain qu'il ne mentait pas ? Pour son bien ou celui de Gerhard, cela n'avait aucune importance : il lui faisait confiance, mais pas au point de se confier sur des choses aussi intimes qu'une partie de lui-même. Ce que ses pouvoirs étaient, assurément. Sans eux...

Sans eux, pas d'Opale tel qu'on l'entendait. Sûrement.

C'était en tout cas bien le Nébuleux qui avait fait le premier pas. Gerhard ne se pensait pas particulièrement lâche ; mais en entendant les pas d'Opale approcher de sa chambre au lieu de prendre la direction des escaliers, il s'était ratatiné sous ses draps, avait modulé sa respiration pour apparaître comme endormi. Il ignorait si l'ouïe d'Opale était surdéveloppée et n'avait pas tenu à le découvrir. Réaction peut-être disproportionnée : le médecin n'allait pas forcer sa porte pour lui hurler dessus de montrer sa tête. Quelque part, Gerhard n'avait pas voulu qu'il comprenne qu'il l'évitait vraiment ; faire passer tous ces actes délibérés pour des coïncidences. Bien évidemment, qu'il ne l'évitait pas : regarde, c'est juste qu'il dormait.

Opale n'avait pas forcé la porte de sa chambre. Il avait attendu, quelques secondes, et Gerhard avait entendu un bruit de papier chiffonné. Puis les pas s'étaient éloignés, avaient descendu les escaliers.


La porte d'entrée ou du bureau n'avait pas claqué. Opale avait dû traîner dans le salon, la cuisine, la bibliothèque, n'importe où ; Gerhard n'avait pas osé sortir mais était sorti du lit pour attraper la missive qui avait été glissée sous sa porte. « Si vous le souhaitez, retrouvez-moi devant la maison à 15h demain, pour une promenade en bord de mer. »





Et c'était ainsi qu'il se retrouvait le lendemain, à considérer les meilleurs vêtements à mettre pour aller vagabonder sur la plage. Il avait déjà déterminé que ses chaussures ne résisteraient pas à la flore de Nitescence et les avait rangé talons au mur, quoique la mort dans l'âme.


Depuis son arrivée au manoir, il n'avait pas pris la peine de ranger ses habits dans le placard ; en voyant le peu qu'il avait emporté, Gerhard songeait que l'affaire ne prendrait pas plus de cinq minutes, montre en main. Il avait pu faire une lessive - Dieu merci - mais ses habits lui renvoyaient l'image d'une banalité des plus déconcertantes. Il avait vraiment besoin d'acheter de nouvelles chemises, de nouveaux pantalons, de nouveaux tout. Il ne survivrait pas deux mois avec les mêmes trois hauts blancs, les pulls à peine assez épais pour passer l'hiver, bon dieu il n'avait même pas d'écharpe ! Au moins un sujet de conversation à aborder avec Opale, pensa-t-il en revêtant, avec des gestes haltés, chemise, bretelles et pantalons. Il n'avait pas de maillot de bain, mais sûrement qu'Opale ne le jetterait pas dans l'eau séance tenante. Il avait évoqué une balade, pas une baignade ; et au pire, il tremperait ses pieds, pas plus pas moins.


Les patients s'étaient succédés aujourd'hui dans le manoir ; Gerhard les avait identifié au son des conversations étouffées qui lui étaient parvenues depuis le rez-de-chaussée. La matinée passée, Opale était remonté dans sa chambre, sûrement pour faire ses propres préparatifs ; Gerhard l'entendait maintenant dévaler les marches d'une manière qui lui faisait craindre d'un jour retrouver le médecin les quatre fers en l'air en bas des escaliers. 


C'était l'heure. Il glissa ses longs pieds dans ses chaussures, décidé à ne pas laisser le chemin caillouteux l'empêcher d'aller au bout des choses cette fois-ci, et se redressa longuement, étirant sa longue colonne vertébrale au passage. Le soleil se découvrait aujourd'hui, sans un nuage à l'horizon pour tacher son règne absolu dans le ciel : en définitive une bien belle journée pour une balade. Opale avait bien choisi son dimanche.



Les marches craquaient sous ses pas. Il n'avait pas encore appris lesquelles le trahiraient dans une escapade improvisée et lesquelles étaient ses plus fidèles alliées. Le splendide tissage qui ornait le mur, en revanche, avait achevé de l'impressionner environ cinq jours auparavant, et il le voyait sans vraiment le regarder, plus occupé à s'assurer qu'il ne loupait pas une marche dans sa descente. Il n'avait pas la même vélocité qu'Opale, mais un accident était bien vite arrivé, et il ne tenait pas à ce que cet après-midi promenade se transforme en une visite impromptue chez le médecin.


Comme la météo était clémente, Gerhard décidé de laisser son manteau dans l'entrée, et poussa la porte qui menait à l'extérieur. Opale l'attendait, comme il s'en doutait, assis sur le perron, parfaitement immobile si ce n'est pour ses cheveux agités par la brise. Lui-même avait décidé de se vêtir sobrement : ils étaient étrangement assortis, réunis sous le même soleil.



- Pardonnez mon bref retard, dit Gerhard en descendant au bas du porche. Le sol était meuble sous ses chaussures : cet après-midi, il sentait qu'il aurait le pas sûr, et c'était bienheureux.



Il considéra les vertes prairies qui s'étendaient devant eux. Le vent dessinait dans les herbes hautes des motifs sans queue ni tête, assez hypnotisants et dans lesquels il se perdit momentanément. Il ne pouvait nier que Nitescence était une belle île, qui n'avait rien à voir avec le Berlin dans lequel il avait vécu, un changement bienvenu de la grisaille qu'il avait toujours connu. Même les rues de Lucent étaient charmantes : mais ceci, c'était sans doute davantage dû à son statut de petit village. Tous les petits villages avaient un charme pittoresque qui inspirait quiconque en parcourait les pavés.


Secouant la tête pour s'arracher au spectacle contemplatif, Gerhard fixa son regard vers le chemin qui menait vers la crique qu'Opale appelait affectueusement sa crique ("et la vôtre, également, si vous le souhaitez", ou quelque chose de cet accabit : il ne se souvenait plus des paroles mais se souvenait de leur teneur), puis vers le Nébuleux qui s'était relevé entretemps. Il se racla la gorge. Sa main tressaillit alors qu'il se retenait de réajuster ses cheveux dans un semblant d'ordre : avec le vent qui soufflait, c'était une bataille perdue d'avance.


Il préféra la tendre vers Opale, une invitation autant qu'une demande, et compléter son geste d'une question sincère :



- Besoin d'aide, comme la dernière fois ? Ou pas. Il rit gauchement. Je ne suis pas certain d'avoir le pied sûr dans cette descente. Nous risquons de finir affalés en bas de la pente, avec de sacrés bleus en prime !



Opale avait souhaité une balade, pas une autre après-midi de responsabilités. Gerhard craignait qu'il n'en devienne une dans tous les cas : la crique lui était inconnue, il suivrait quoiqu'il arrive. Qu'Opale soit un peu comme une cane qui guidait ses poussins manqua de lui arracher un rire un peu hystérique. L'image était déconcertante ; mais surtout, pas si loin de la vérité.
Sam 2 Mar 2024 - 16:42
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Opale Caladrius
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Feat Gerhard



Le brin d’herbe coincé entre ses dents avait un goût amer. Son visage reposait contre ses poings clos, genoux ramenés contre sa poitrine, la brise se délaissait contre ses bras nus. Opale avait ramené un chapeau, assez grand et en paille, noué avec un joli ruban qu’il devinait fleuri. Il le gardait à côté de lui, patient, le soleil ne frappait pas encore son fragile épiderme. Il avait appris, à ses dépens, qu’il était un être nocturne et donc, particulièrement sensible au soleil. D’où les nombreux rideaux opaques et poussiéreux souvent tirés. Le Caladre avait du s’adapter à la vie diurne sur Nitescence et vivre avec le jour et ses habitants, mais parfois, ses vieilles habitudes reprenaient le dessus et il dormait peu sous la nuit voilée. 


Il ne sursauta pas, pour une fois, en entendant la porte s’ouvrir. Il avait entendu le grincement dans l’escalier et les pas discrets jusqu’à la porte, connaissant par cœur les bruits de sa maison. Gerhard s’excusa et il haussa un sourcil. Bonjour ? Comment allez-vous ? Décidemment, cet humain était un mystère. Ses mains rejoignirent ses genoux et Opale se releva, époussetant l’arrière de son pantalon en s’avançant en direction de son colocataire. 


Bon sang, à chaque fois il oubliait qu’il était aussi grand. Après tout, le bougre s’était fait plus discret que les souris dans sa bibliothèque. Elles au moins, signalaient leur présence. Opale se demandait comment il était possible qu’un homme aussi imposant se fasse si peu remarquer. Car à voir sa silhouette se détacher dans la lumière, cela était d’autant plus frappant. Le caladre passa une main en pare-soleil alors qu’il se tournait vers lui d’un geste vif. Était-il nerveux ? Opale lui sourit et Gerhard lui tendit la main. Un léger tressaillement de ses épaules et il cilla, surpris de la proposition. Doucement, sa main se leva pour rejoindre ses longs doigts, les entremêlant au sien.



-Puisque c’est proposé avec tant de galanterie. Vous apprenez vite, c’est bien.


Lâcha-t-il finalement après quelques secondes de flottement, s’avançant à ses côtés. Après tout, on lui proposait rarement. Il était même étonné qu’il ait ainsi retenu, car pour Opale, c’était un détail. Sa dernière phrase était dite avec une pointe de taquinerie. Son autre main enfonça son élégant chapeau sur sa tête.


Ils avancèrent sur le chemin caillouteux et Opale, soudainement, ne savait pas par où démarrer. Quelques détails s’acheminaient dans son esprit, tout comme il était clair que Gerhard avait évité sa présence. Il n’était pas sur de vouloir savoir pourquoi, car cela le hantait. Même si mille théories fourmillaient sous ce crâne d’apparence si calme. Et… Tiens. Il sentait bon la lessive. Enfin, le Caladre se décida a lever les yeux vers lui, tout sourire. Leurs chevilles étaient caressées par les herbes sèches et piquantes, la poussière soulevée par leur passage. Le vent soufflait un peu plus fort alors qu’ils approchaient de la falaise.


-Je suis heureux de enfin vous croiser. J’espère que vous vous plaisez dans votre chambre. Si jamais elle ne vous plait pas, il y en a d’autres à habiter !


Opale avait envie de dire mille choses comme « je ne vous ai pas vu utiliser la cuisine, est ce que vous vous nourrissez bien ? » ou « Vous savez, je fais de délicieux pot-au-feu. Je pourrais vous en faire un. » ou encore « Arrêtez d’attendre que je sois parti pour utiliser la salle de bain PAR TOUS LES DIEUX C’EST CHACUN POUR SOI »…. Mais non. Il ne voulait pas avoir l’air d’un parent inquiet. Gerhard n’était ni son patient, ni son protégé. C’était un… Homme. Un grand homme. Qui savait bien gérer ses affaires tout seul. Ses affaires…Très mystérieuses. Il espérait secrètement que cette petite sortie les rapprocherait.



-J’ai entendu que vous aviez eu un premier patient ? Cela s’est-il bien passé ?


Le prof étrange monsieur-mojito. Ou je-file-mes-invitations-à-mes-élèves. En tant que médecin et aussi infirmier de l'école, il en avait entendu parler des autres enseignants qui seraient bientôt tous convoqués pour un tour chez le nouveau psychologue. Gerhard n’en avait pas conscience, mais il allait avoir du succès. Bienvenue dans mon monde… 
Un peu distrait, Opale dérapa légèrement et sa prise se raffermit d’un seul coup surpris sur la main de Gerhard. Le chemin devenait plus escarpé à mesure qu’ils approchaient de la crique et c’était ici qu’il l’avait quitté à leur première rencontre. Aurait-il encore la frousse ?



-Après, c’est tout droit.


Lâcha-t-il seulement, en précision. Brrr. Ça lui était déjà arrivé de dégringoler ici. Et il avait fini un bras dans le plâtre. Fini de jouer les malins. 


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Dim 3 Mar 2024 - 0:08
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Gerhard Speckmann
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Opale était davantage préparé que lui, certainement parce qu'il était à l'origine de cette balade impromptue : il avait en main un chapeau en paille, dont les larges bords ployaient au gré du vent. Etait-il sensible au soleil ? Gerhard avait connu des humains que le moindre rayon de soleil rendait écarlate. C'était même un cliché qui perdurait dans son pays : ceux qui aimaient se prélasser sur la plage sans rien faire finissaient rouges comme des écrevisses, et devenaient la risée des jeunes qui aimaient se moquer de leurs aînés.

Le médecin n'avait rien d'un quarantenaire bedonnant, cependant, quand bien même il devait avoir largement plus que cet âge qui devait pour lui n'être qu'une infime goutte d'eau dans son océan d'éternité. Il se déplaçait avec une grâce que Gerhard lui enviait, lui qui se sentait raide comme un piquet à chaque fois qu'il avait le malheur de se lever un peu trop vite. Il n'enviait pas les longévités ahurissantes des Nébuleux, mais bien leur jeunesse et leur énergie quasiment éternelles. Il aurait tout donné pour avoir la même tête jusqu'à ses quatre-vingts ans, et mourir avec ce visage qui, s'il ne le trouvait pas beau, était le sien.

Opale s'approcha avec des gestes au moins aussi élégants que ceux d'un chat. Le ruban noué autour de son chapeau de paille battait la cadence que le vent lui dictait. Même sa chemise, cintrée à son corps, était dérangée par les rafales qui frappaient la prairie. Ce n'étaient pas les plus violentes que Gerhard avait connu, ni, il le savait, celles qu'il connaîtrait.

- Puisque c’est proposé avec tant de galanterie. Vous apprenez vite, c’est bien.



Gerhard choisit de prendre la phrase comme un compliment, si ce n'est quelque peu taquin. Y avait-il du ressentiment dans cette voix claire qu'il avait appris à reconnaître ces derniers jours ? Si tel était le cas, il ne l'entendit pas. Opale lia leurs doigts entre eux et ce fut tout. De l'autre, il vissa son chapeau sur sa tête : les longs bords abattirent une ombre sur son visage pâle, soulignant ses traits les plus doux pour les rendre davantage âpres. 

Gerhard se détourna de lui. Ils prirent ensemble le chemin de la crique : il n'y avait pas un leader dans leur petite expédition, ils progressaient côte à côte avec le même pas certain. Il ne s'était aventuré qu'une seule fois sur le chemin, mais il n'était pas difficile de le suivre à la trace grâce aux piquets qui avaient été plantés pour le marquer. Leur rigidité faisait tache au milieu de cette herbe qui se mouvait selon les bons plaisirs d'un élément qui était ici le maître. C'était sûrement pour ça que Gerhard les remarquait aussi facilement.


Ils s'approchaient petit à petit de la falaise. Le vent soufflait plus fort en bord de mer. Gerhard se passa une main distraite dans ses cheveux, songea qu'il lui faudrait peut-être les couper court. Plus facile d'entretien : il se souvenait de la longue douche qu'il avait prise, à tenter de se débarrasser du sel qui avait maculé ses mèches ébènes. Les cristaux avaient paru se loger dans chaque pore de sa peau, chaque brin de cheveux. Quand il était sorti de la salle de bain, ses mains avaient été rouges à force de frotter, frotter encore, frotter toujours.



- Je suis heureux de enfin vous croiser. J’espère que vous vous plaisez dans votre chambre. Si jamais elle ne vous plait pas, il y en a d’autres à habiter !





Opale avait une voix claire et légère qui le surprenait toujours. Il était conscient de ses fautes, et savait que le médecin n'était pas idiot : il avait compris qu'il l'évitait, et Gerhard était peut-être lâche mais il n'était pas menteur, il ne tenterait jamais de lui faire avaler le contraire. Il pouvait tenter, par ses actions, mais ses mots n'iraient jamais à l'encontre de la vérité.


Et pourtant Opale ne paraissait pas énervé. Gerhard louait sa patience légendaire : à sa place, il l'aurait depuis longtemps perdu, se serait attrapé lui-même par le col pour se secouer sous un florilège d'insultes. C'était sûrement son statut même de médecin : tout comme Gerhard avait eu affaire à des patients récalcitrants, Opale devait avoir eu son lot de clients difficiles à un moment ou un autre.




- J’ai entendu que vous aviez eu un premier patient ? Cela s’est-il bien passé ?





Tout se disait sur cette île, pensa Gerhard avec un soupir intérieur. Evidemment. C'était un petit village : aucun secret entre chacun de ses résidents, c'était la règle après tout. Il n'aurait même pas été étonné qu'Opale sache qui il avait accueilli il y avait quelques jours de cela.
Mais peut-être était-ce une bonne chose. Le cas d'Ezekiel le confondait encore quelque peu. Le Nébuleux n'était pas sur l'île depuis longtemps, mais sans doute qu'Opale l'avait déjà croisé, ou lui avait déjà parlé. Gerhard avait signé son rapport et donné son accord pour qu'Ezekiel puisse enseigner, mais doutait encore du bienfondé de son geste : si Opale pouvait le rassurer, il ne dirait pas non.

S'il ne le rassurait pas, eh bien ma foi, c'était un problème pour le lui de demain. Il n'était plus à une journée passée à scruter le papier peint décrépi de sa chambre près.

Gerhard étouffa un cri de surprise quand la prise d'Opale se raffermit : le médecin avait trébuché et manqué de s'étaler de tout son long sur le chemin, qui descendait maintenant pour rejoindre la crique sauvage que le Nébuleux appréciait tant.

- Après, c’est tout droit.



Il huma pour toute réponse. C'était en lorgnant le chemin que Gerhard se rendait compte d'à quel point il était accidenté, et qu'il mesurait les risques. Le jeu avait intérêt à en valoir la chandelle : il s'imaginait sans peine déraper sur un caillou malheureux, faire un roulé-boulé le long de la pente et finir sa course dans le sable, le cou démis et des regrets plein la caboche.



- Laissez-moi prendre la tête, dit-il en lâchant à regret la main d'Opale.



Peut-être pas le choix le plus judicieux de sa vie : si le médecin dérapait, il le fauchait et ils finiraient tous les deux les quatre fers en l'air. Un spectacle sacrément amusant, à n'en point douter. Amusant, pour tout le monde sauf pour eux, et les patients d'Opale. Mais il serait damné s'il laissait un quasi-aveugle lui passer devant : il lui restait un simili honneur, et si ce dernier le menait à sa perte, eh bien qu'il en soit ainsi.



Quelqu'un - il refusait de penser que c'était Opale tant l'action était dangereuse et stupide - avait planté des bâtons tout le long de la descente, tant pour baliser le chemin que pour offrir assistance à ceux qui le prenaient. Gerhard posa précautionneusement sa semelle dans la terre poussiéreuse, appuya quelque peu : rien ne céda. Inspirant profondément, il esquissa un pas, et puis un autre.

Il procéda ainsi, cahin-caha, précautionneux à chaque pas. Une fois ou deux, il chassa un caillou de la pointe de sa chaussure, et le regarda dégringoler tout en bas, entraînant parfois un copain ou plusieurs dans sa course. Il se serait senti un peu coupable de déranger ainsi l'écosystème de l'île, si seulement le-dit écosystème ne manquait pas de le tuer à chaque pas un peu tremblant qu'il prenait. Le sang battait à ses tempes : une seule erreur et...

Il préférait ne pas y penser. Dès que c'était possible, il agrippait un des piquets dans une poigne de fer. Le bois était vieux sous sa paume, vieux et rongé par les éléments, humide malgré le soleil qui tapait fort. Il essuya d'un revers de la main son front, sentant les gouttes de sueur dégringoler le long de sa colonne vertébrale. En jetant un coup d'oeil en arrière, il constata qu'Opale le suivait lentement : était-ce parce qu'il galérait autant que lui ou par pure galanterie envers sa maladresse, Gerhard préférait ne pas demander. Certaines questions n'avaient pas besoin de réponse, et il se sentait déjà assez ridicule comme ça.



Trop peu vite à son goût, le sol sablonneux ne fut qu'à quelques pas de lui ; oubliant toute prudence, Gerhard fit un petit saut, heureux comme un cabri de retrouver une surface plane sous ses chaussures. Ses semelles s'enfoncèrent dans le sable, il sentit le poids de son corps partir en arrière : avec un cri, il s'étala de tout son long, bras écartés et yeux grands ouverts.

Le ciel ne lui offrit aucune réponse, si ce n'est une vague moquerie face à son imprudence. Il avait juré dans sa langue natale, il entendait encore le "Scheisse !" résonner dans cette crique qu'il venait de rencontrer avec son postérieur et toute la longueur de son dos.

- Eh bien, c'est gênant, dit-il en entendant Opale parvenir à ses côtés.

Il se redressa mais resta assis, attendant quelques secondes pour une douleur qui ne vint pas. Le sable avait amorti sa chute : tout ce qui était blessé était son ego, ce qui quelque part était une bonne chose. 

Il accepta la main qu'Opale lui tendait et se releva avec un soupir. Ses joues étaient rouges, honteux qu'il était de sa maladresse. A vouloir aller plus vite que la musique, il s'était emmêlé dans la danse. Que cela lui serve de leçon pour la prochaine fois... Si prochaine fois il y avait.

Gerhard s'essuya le pantalon avec des gestes secs : ses fesses étaient humides, le tissu de ses habits accrochaient à sa peau. Il grimaça. Jamais une sensation très agréable. Il jeta un coup d'oeil circulaire autour de lui.

Il y avait un peu de bonheur dans son malheur. Opale n'avait pas menti sur la marchandise : descendus dans cette crique, cerclés par les parois en pierre que Gerhard devinait coupante, le spectacle était splendide. Enfin une mer qu'il pouvait contempler à hauteur d'yeux, et non pas de haut, et c'était une vison dont il ne se lasserait jamais vraiment : la mer qui léchait le sable, les quelques herbes qui subsistaient sur cette étendue brûnatre, et la solitude à perte de vie.

- Wow.


Le souffle lui échappa avant qu'il ne puisse le retenir. Et à quoi bon, d'ailleurs ? Il arracha un sourire à son visage qu'il gardait normalement stoïque.

- Vous avez bien fait de me tirer de ma chambre, ou bien j'aurais loupé ça. Opale, c'est magnifique.


Il était un enfant de la ville : un rien de nature l'émerveillait. Sûrement qu'un jour, la forêt, les vertes prairies, la montagne, tout cela serait habituel, ne lui tireraient pas même une lueur d'excitation. Mais cette crique ? Non, c'était magnifique, et il espérait ne jamais s'en lasser. Opale, cependant, avait spécifié une balade. Pour cela, il était content de lui laisser les rênes : si on l'écoutait, il aurait pu rester des heures durant à contempler l'horizon, pour tenter d'y trouver des formes familières.
Lun 4 Mar 2024 - 23:43
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Opale Caladrius
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Feat Gerhard



Quel silence. Sa question resta en suspens, dans l’air trop lourd pour s’écouler vraiment. Pas que marcher sans parler ne le gêne réellement, mais il n’était jamais certain de ne pas blesser Gerhard avec des paroles maladroites. Il crut même l’entendre soupirer, mais c’était sans doute son imagination. Opale était heureux de sentir les embruns glisser sur sa peau, contre ses cheveux. C’était toujours sensation pénétrante, vivifiante, à mesure que l’on s’approchait de l’eau, elle semblait pénétrer l’épiderme jusqu’aux os. Alors il décida de ne pas trop songer à ce qu’il devait faire, laisser le vent entrer dans ses oreilles pour faire taire toutes ces pensées. 

Le chemin avalé sous leurs pas prit un angle un peu plus… Abrupte. Opale fronça les sourcils lorsque Gerhard se détacha de sa prise. Un instant désorienté, il resta immobile, contemplant la silhouette vague descendre de quelques crans. Une inspiration et il le suivit, prudemment, mais assez assurément. A chaque pas, il ajustait son pied, gardait ses mains tendue, dès qu’il se sentait déraper, il prenait le temps de réaffirmer sa marche. Ses doigts se serraient autour des piquets et il ne se laissait distraire par rien, infiniment concentré sur ce qu’il percevait du sol. 

Le médecin ne disait rien, mais il sentait la nervosité émaner de Gerhard, cela l’aurait fait sourire mais il espérait qu’il ne se casserait rien. Il n’était pas sur de parvenir à le rattraper s’il chutait, ni même si ce serait très utile. Il s’imaginait déjà, lui saisissant la main, entrainé dans la dégringolade. Mais il se demandait, non sans curiosité, quels scénarios tordus se jouaient dans l’esprit angoissé de son colocataire. Et puis enfin, le passage escarpé s’élargit, Opale vit avec horreur Gerhard sauter à terre et tomber vers l’arrière. Il ne le suivait pas de très prêt alors par réflexe il remonta d’une marche en poussant un cri de surprise. 


-Gerhard ! 

S’exclama-t-il en s’empressant de descendre avec plus de précaution, le rejoignant sur la plage. Il se mordait l’intérieur de la joue pour ne pas rigoler. Oui, il avait eu peur, mais… Il était tombé dans le sable et s’il avait eu mal, croyez-le, il l’aurait senti. Il se pencha au-dessus de lui, imprimant dans un coin de sa tête pour toujours le « Scheisse » si expressif qui lui avait échappé. Après tout, ce serait peut-être l’unique fois, alors il le savourait. Opale, l’air mi-désolé, mi-amusé lui tendit la main et l’aida comme il le pouvait à se relever. Et ENFIN, ils étaient sur la plage. Une large inspiration et le presque aveugle hocha vivement la tête, un grand sourire sur les lèvres.

-Je ne peux que l’imaginer. Je pense que ça vaut la chute oui ! Promis, je dirais que c’est la vue qui vous a fait tomber a la renverse. 

Rigola-t-il avant de prendre la main de Gerhard pour l’inviter à avancer un peu plus loin dans la crique. Leurs semelles s’enfonçaient dans le sol meuble. Opale, surement pas très prudemment, avait passé de longues heures à explorer cet endroit. Quelques mètres plus loin, il se détacha de lui pour enlever ses chaussures à la va vite. Il poussa un soupir de soulagement lorsque ses orteils s’enfoncèrent dans le sable chaud, le léger crissement résonna en lui, lui arrachant un frisson. Opale s’étira, levant les mains vers le ciel en lâchant une exclamation de contentement presque semblable à un recoulement.

-Qu’est-ce qu’il fait beaaaau. Allez Gerhard, venez. Je suis sur que je vous bats à la course.

Il l’avait peut être piégé. Bien sûr, ils se baladeraient, mais il voulait tester l’eau avant. Et surtout… Opale avança de quelques pas, les paupières closes, puis se mit à courir. Et vite. Mentalement, il comptait les pas qui le séparait de l’eau, le bruit s’intensifiait, la sensation froide et humide qui s’attacha à chaque pas qui s’enfonçait sous sa légèreté. Le vent dans ses cheveux, qui hurlait dans ses oreilles, la presque douleur au bout de ses doigts et son visage de la fraicheur piquante. Une liberté qu’il oubliait presque : celle de pouvoir courir. Ici, c’était le seul endroit où il n’y avait rien devant lui, à part l’immensité marine. Le seul endroit ou il pouvait se déplacer sans crainte.

Quand enfin l’eau fouetta ses jambes, il lâcha un petit cri en ralentissant, essoufflé et rouge de ce soudain effort auquel il n’était plus habitué. Opale se pencha d’un geste vers l’avant, laissant ses mains tremper dans le remous qui se retirait déjà. La pointe de ses boucles blanches piquait la vaguelette. Le nébuleux se redressa un peu vite, chancela vers l’arrière pour retrouver son équilibre et entreprit de remonter son pantalon jusqu’à ses genoux, commençant à déboutonner sa chemise en faisant sauter les boutons un à un. Il se retourna vers Gerhard, tout sourire.
 
-Allons, vous avez de si grandes jambes, il faut s’en servir ! 


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Mer 6 Mar 2024 - 0:09
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Gerhard Speckmann
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Au moins sa chute n'avait-elle pas inquiété Opale outre mesure ; et il ne se formalisait pas de n'avoir reçu aucune réponse à ses questions de politesse. Gerhard n'avait pas voulu alourdir l'atmosphère en évoquant le travail. Désormais il était trop tard pour lancer la conversation sur ce sujet : il n'aurait gâché cette vue pour rien au monde. Plus tard, sûrement. Après tout, ils avaient le reste de l'après-midi devant eux.

- Je ne peux que l’imaginer. Je pense que ça vaut la chute oui ! Promis, je dirais que c’est la vue qui vous a fait tomber a la renverse. 



...mais elle serait passée à autre chose qu'à des discussions barbantes sur un Nébuleux qui cachait bien mal de sombres idées derrière de la philosophie vaguement compréhensibles. Gerhard renifla au commentaire d'Opale - vraiment, à qui raconterait-il sa bourde ? Le médecin n'avait pas l'air d'avoir davantage d'amis que lui, et il ne l'imaginait pas vendre la mèche à ses patients - et ne cacha pas son sourire. Il le savait un peu tordu, à l'image de son nez qu'il avait cassé dans sa jeunesse et qui s'était remis légèrement de travers, avec la cicatrice en forme d'étoile comme stigmate de cette blessure d'enfance. Sourire ne lui allait pas, montrait trop ses dents, son visage anormalement étroit ne paraissait pas être fait pour contenir un tel écart de ses lèvres.

Ce n'était pas pour autant qu'il cessa de sourire quand Opale reprit sa main pour l'entraîner à sa suite sur cette plage qu'il connaissait comme sa poche, et qu'il lui faisait l'honneur de lui présenter. Gerhard restait conscient de la manière dont son visage se déformait anormalement, mais se rassurait en se disant que le médecin ne le verrait pas : tant à cause de sa cécité que parce qu'il regardait au-devant d'eux, plus intéressé par l'étendue sableuse et la mer que par l'homme qu'il traînait derrière lui.



Ils parcoururent les quelques mètres qui les séparaient de l'eau en silence. Il avait vu juste, donc : Opale avait bien une baignade en tête, et il sentait qu'il ne pourrait pas y couper. Si le vent battait la lande et la plage, il n'adoucissait que peu la morsure du soleil qui tapait sur leurs crânes, l'un couvert, l'autre dégarni. Gerhard n'avait pas eu la prévenance du Nébuleux et se sentait le regretter quelque peu. Ce n'était pas assez pour qu'il se pâme, mais assez pour faire naître quelques gouttes de sueur sur son front. Il ne doutait pas qu'il trouverait des coups de soleil intéressants sur son visage une fois le soir venu, et qu'il regretterait amèrement la fièvre qui les accompagneraient.

Opale fit valdinguer ses chaussures l'une après l'autre, lâchant au passage sa main pour mieux jeter les siennes vers le ciel. Il s'étirait comme un chat heureux ; le cri qui s'échappa de sa gorge aurait pu les confondre. Gerhard l'observa minutieusement. C'était la première fois qu'il voyait le médecin aussi détendu. Leur première rencontre l'avait pris de court, leur visite à Lucent avait été le théâtre de quelques révélations et... sentiments malencontreux. Gerhard avait eu peine à le croire en paix sur Nitescence ; avec ses orteils enfoncés dans le sable, cependant, Opale paraissait comme chez lui. Sa présence sur cette île pas si incongrue, finalement.



- Qu’est-ce qu’il fait beaaaau. Allez Gerhard, venez. Je suis sur que je vous bats à la course.

Il ouvrit la bouche pour rétorquer quelque chose - bien sûr que oui, même un nouveau-né le battait à la course, son unique semestre de fumette à l'université avait réduit ses poumons à une usine à gaz en sursis - mais avant qu'il n'en ait l'opportunité Opale partait, d'abord timidement puis en trombe. Ses pieds tapaient la mesure, soulevaient dans leurs sillages des mottes de sable humide qui valdinguaient en l'air, comme une invitation à le rejoindre. La mer n'était pas si loin, une dizaine de mètres tout au plus, et bien assez tôt Opale tambourinait dans l'eau, éclaboussant ses vêtements et n'en ayant cure.

Gerhard glissa un doigt dans la languette de sa chaussure droite et l'enleva promptement, et fit de même avec l'autre. Nul besoin de défaire les lacets ; il doutait de toute façon qu'il les remettrait de sitôt. Il les rangea comme s'il venait de rentrer chez lui, et fit de même avec celles d'Opale, abandonnées échouées là où le Nébuleux les avait laissé.

Il s'approcha, certes avec moins d'entrain, mais il s'approcha tout de même de la mer, les mains dans les poches dans un semblant de sérénité. Il ne s'était jamais baigné. Il avait de vagues souvenirs de cours de natation que sa mère lui avait fait prendre dans ses jeunes années, alors même que la piscine était un luxe qu'ils n'avaient pu se permettre. Il savait nager, de la même manière qu'un canard sans patte savait nager, il supposait : instinctivement, mais difficilement. Il ne briserait aucun record du monde, de cela il en était sûr.

Il y avait tout de même quelque chose d'agréable dans ces vagues timides qui lui léchaient les pieds. A chaque pas qu'il prenait elles les engouffraient un peu plus, jusqu'à ce que l'eau ne lui parvienne aux chevilles et qu'il ne soit obligé de remonter l'ourlet de son pantalon. Ce n'était pas une tâche difficile : il était très maigre, et ses vêtements, très larges. Les seuls qui pouvaient accomoder sa grande taille étaient généralement prévus pour des personnes d'une plus grande envergure que la sienne : il flottait, littéralement, et deux mains ne lui suffisaient plus pour compter le nombre de fois que quelqu'un l'avait appelé "le drapeau".

- Allons, vous avez de si grandes jambes, il faut s’en servir ! 



Gerhard entendait le sourire d'Opale dans sa voix. Le Nébuleux s'était tourné vers lui, craignant sûrement qu'il soit resté sur le rivage à le regarder s'amuser comme un chien qui découvrait la plage. Opale avait remonté son pantalon jusqu'à ses genoux, quoiqu'il soit trop tard : le tissu était ombré par l'eau qui l'avait imbibé, et le bout de ses cheveux trempaient allègrement la chemise dont il était en train de faire sauter les boutons avec des gestes rapides qui témoignaient de l'habitude.

Gerhard détourna chastement le regard alors que se découvrait le torse d'Opale, une pudeur qui l'ennuyait plus qu'il ne voulait l'admettre. Il ne voulait pas paraître comme un voyeur en décortiquant le Nébuleux du regard, en sachant pertinemment qu'il peinait à dévoiler son propre corps aux autres. Il se savait peu grâcieux, trop fin, trop... fragile, si pas en taille alors en stature. Il était né après la guerre, et s'il ne se remémorait que peu de ses premières années, le souvenir de la faim lui tordant les entrailles était un cuisant qui avait laissé des stigmates dans sa silhouette même. Toutes les tentatives de sa mère pour le remplumer s'étaient avérées vaines. Gerhard avait vécu dans cet appartement en étant très conscient que la vue de son corps nu remplissait sa mère de honte ; après ça, il avait appris à se couvrir.

Mais Opale se découvrait à lui, sans la moindre gêne, et Gerhard avait envie de lui rendre la pareille. Il y avait quelques fois où il s'était déshabillé, pas forcément pour des gens qu'il appréciait en plus de ça : il pouvait bien se forcer quelque peu, non ?

Demeurait un, ou plusieurs problèmes, cependant.

- Et où donc allez-vous mettre votre chemise ?


La question était autant taquine qu'honnête. Si le but était de ne pas mouiller leurs habits, ils auraient mieux fait de se dévêtir sur la plage. Les mains dans les poches, Gerhard considéra les vaguelettes qui lui léchaient les tibias, qui éclaboussaient son pantalon rabougri un poil au-dessus de ses genoux noueux. Il voyait à peine ses pieds, enfoncés dans la mer, leur image tordue par l'eau.

- Je ne sais pas vraiment nager, confia-t-il à ses jambes, en prenant grand soin de ne pas jeter le moindre coup d'oeil à Opale. J'ai appris quand j'étais enfant, un peu. Il rit gauchement. Grand Dieu, que c'était honteux ! Quel adulte ne savait pas nager, de nos jours ? Surtout sur une île comme celle-ci ? Il devait bien être le seul pleutre de Nitescence à considérer l'eau comme sa plus grande ennemie. Mais ne me laissez pas vous retenir. Si vous voulez vous baigner, je serais ravi de garder vos affaires.


Il ne mentait pas. "Portemanteau dignifié" sonnait bien à l'oreille, en tout cas mieux que "psychologue complètement paumé".

Gerhard se força à relever la tête et inspira un bon coup. Il sortit une main de sa poche, la laissant crever la surface avec prudence. L'eau était pile à la bonne température, et il regrettait de ne pouvoir exactement en profiter. Il devrait se contenter de se mouiller la nuque et les cheveux - tant pis pour la longue douche qui l'attendrait ce soir - et de regarder Opale taper sa meilleure brasse. C'était un programme auquel il pouvait agréer. Après tout, il n'était pas si désagréable. Il aurait pu passer l'après-midi cloîtré dans sa chambre ; et quelle tragédie ç'aurait été. Au moins ici la compagnie était avenante. C'était plus que ce qu'il avait espéré.
Mer 6 Mar 2024 - 23:57
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Opale Caladrius
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Le souffle continuait de batailler dans sa poitrine, aspirant tous les embruns et les douceurs de la mer. Elle n’était pas clémente, pourtant, bien souvent elle était implacable, le sel dans les cheveux et sur les cils, le soleil d’où naquissent les tâches, sa froideur et ses dangers. Quelques fois, Opale avait nagé trop loin, perdant ses repères il avait eu grand mal à revenir. Mais il avait appris ici. Après tout, nébuleux ou non, cela ne se faisait pas trop de nager au 18ème siècle, alors ce n’était qu’en arrivant sur Nitescence qu’il avait enfin réussi à aller plus loin que la simple trempette. Sans se pâmer, il était plutôt bon nageur. Même si les débuts n’étaient pas très glorieux, ressemblant plutôt à un pauvre animal lâché dans les eaux à ne pas savoir que faire de ses pattes.

Le médecin avait contemplé un temps de trop la silhouette de Gerhard s’avançant jusqu’à lui, suspendant son geste. Il le voyait un peu mieux à présent, bien que voir était un trop grand mot. Mais quelques traits, peut-être. Cette chemise baignée de soleil et ses cheveux noirs… Souriait-il ? Il l’aurait juré. Sa remarque le fit ciller. Lui, n’avait pas pensé si loin. Opale était souvent trop spontané pour réflechir à la suite, comme lorsqu’il était parti nager trop loin, ou qu’il avait usé de son pouvoir sous l’impulsion. Enfin, il était plus sage avec toutes ces années derrière lui, mais il fallait le voir au sortir de la révolution. Il était inarrêtable. Opale ouvrit de grands yeux lorsque Gerhard lui proposa de garder ses affaires.

-Ah-non ! Vous n’êtes pas mon majordome, enfin !



S’exclama-t-il, un rire dans sa voix en considérant que s’il ne l’était pas, il en avait parfois les manières. La discrétion, le parlé délicat, les gestes qui accompagnaient Opale comme une assistance fantôme. Et qu’encore plus ironiquement, fut un temps, c’était lui le serviteur, d’humains comme lui.
Il se décida à faire quelques pas en arrière, ses pieds quittèrent les vaguelettes pour rejoindre le sable. Il compta ses pas, jusqu’à que la terre soit moins humide. Mi froide, mi chaude, cela irait ! Puis il entreprit de se déshabiller. Le médecin qui avait fait sauter les boutons de sa chemise, la fit doucement glisser contre son dos, puis dans le creux de ses bras. Il la posa, un peu en vrac, dans le sable, bientôt accompagnée de son pantalon qui accrochait les grains piquant avec son ourlet mal fagoté. Il avait toujours un sous-vêtement, bien que durant un instant d’habitude il avait failli le retirer lui aussi. Quoi ? Bien sur que lorsqu’on avait une plage pour soi tout seul, on se baignait nu. Et puis quoi, encore ?

Il n’était pas maigre, simplement svelte, il s’était arrêté de grandir à la vingtaine. Sa carnation, pâle aux accents violine était due à son sang qui n’était pas rouge. Malgré un corps d’apparence jeune, Opale conservait les marques de la vie. Cicatrices et grains de beauté multiples, même si lui à ne jamais les voir, les oubliait avec le temps. Son dos, pourtant, était surement l’endroit le plus marqué, le plus profond et insidieux. La brûlure creusant le tatouage ailé qui s’étendait jusque sur ses omoplates le tirait parfois et en voilà bien une qui ne disparaîtrait jamais. Il n’avait pas réalisé, cependant, trop absorbé dans sa première baignade de l’année. Ses boucles blanches martyrisées par le vent se baladaient sur ses épaules, son visage et son sourire enthousiaste. Son chapeau dissimulait son regard par moment, lorsqu’il penchait la tête pour observer où il mettait les pieds.

-Pour tout vous dire, j’ai appris à nager en arrivant sur nitescence. Auparavant, je n’étais pas plus débrouillard qu’un faon lâché dans un torrent ! Si vous me rejoignez, je vous apprendrai peut-être la brasse, qui sait.



Il s’était avancé vers Gerhard, effleurant son bras avec un air mi-amusé, mi-compatissant. Après quelques secondes à l’observer, il se mit sur la pointe des pieds, enlevant son chapeau pour le mettre sur la tête de son colocataire. Après ce simple geste, il s’avança dans l’eau en lâchant des râles et des souffles qui laissait présager de sa température. Et encore, lui n’était pas à température humaine. Après quelques secondes, il entra d’un seul coup, s’enfonçant sous la surface froide en fermant les yeux. Il avait encore pieds, ses orteils roulant contre les galets et les grains de sable. Les légers crissements, bruits étouffés et pourtant si graves sous le voile froid le rassurait profondément. Il réapparu se passant les doigts dans les cheveux pour les ramener vers l’arrière. Il resta dans l’eau jusqu'à que ses mains touchent de nouveau le sable, le serrant en le laissant filer, il avança doucement jusqu’à Gerhard avec un grand sourire faussement suppliant, le regardant de bien bas.
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Dim 10 Mar 2024 - 18:44
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Gerhard Speckmann
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Sa proposition de garder ses affaires avait estomaqué Opale, qui ouvrait de grands yeux qui lui mangeaient plus de son visage que d'habitude. Etait-il outré ? Gerhard peinait à différencier les myriades d'émotions que le Nébuleux exhibaient sans honte sur sa face pâle. 

- Ah-non ! Vous n’êtes pas mon majordome, enfin !



Ah, non. C'était qu'encore une fois, ils marchaient tous les deux sur des oeufs. Gerhard désespérait de dire quelque chose de juste à cet homme, quelque chose qui ne serait pas interprété de travers. Quoiqu'il l'ait bien cherché, pas vrai ? A éviter, à hésiter... Opale n'avait vu que ce qu'il avait bien voulu lui montrer, c'est-à-dire pas grand chose.

Gerhard l'observa revenir sur la plage. Les pans de sa chemise, alourdis par les flots, frappaient doucement sa peau tapée par les rayons du soleil. Cette fois-ci, il maintint son regard ; il était temps qu'il invoque un peu de cette fierté maladive qui l'avait ourdi face à Ezekiel, qu'il la dirige dans les bons moments au lieu de la laisser disparaître Dieu seul savait où quand il en avait le plus besoin.

Les pieds nus d'Opale frappèrent le sable, d'abord rendu meuble par les léchouilles de la mer, puis progressivement de moins en moins ferme, jusqu'à ce qu'il ne recouvre ses orteils, la plante de son pied, manque d'avaler sa cheville. Le Nébuleux l'avait dépassé, et Gerhard s'était retourne pour le suivre du regard, refusant de le quitter des yeux maintenant qu'il avait réussi à l'accrocher. Le médecin, faisant fi de sa suggestion, envoyait paître chemise et pantalon, jetés pêle-mêle près des chaussures que Gerhard avait soigneusement aligné dans ces minuscules dunes de sable tiède. Il le vit hésiter, ses mains à sa taille, puis se décider à conserver son sous-vêtement. Malgré toute la politesse du monde, il n'était pas certain qu'il aurait été capable de soutenir son regard si d'aventure il s'en était dévêti.
 


C'était quand il était à nu que Gerhard se rendait compte que, pour leur constitution  si proche, ils n'étaient pas exactement similaires. Opale était pâle, et si avant ce n'était qu'un détail, il prenait conscience que cette teinte de peau aurait trahi ses origines auprès de n'importe quel humain avec des yeux. Gerhard avait passé ses jeunes années sur les bancs de l'université, à apprendre moults graphiques et autres planches d'anatomie. Avant de s'intéresser à l'esprit, il fallait connaître le corps ; lui, qui avait le sien en horreur, avait lâché un soupir de soulagement quand avait sonné le glas de son dernier cours d'anatomie.



Les leçons, cependant, restaient, et Gerhard se rendait compte que dans les veines qui parcouraient le corps svelte d'Opale, couraient sûrement un sang qui n'était pas rouge. C'était une infime différence, mais une qui le décontenancait. Comment saurait-il si un jour il venait à saigner ? Comment s'y prendre pour aider un être si proche, et en même temps si différent de lui ?

C'était sûrement une question idiote. Opale était médecin. Fait indéniable qu'il avait inscrit dans sa mémoire au fer rouge : Gerhard aurait le temps de paniquer que le Nébuleux serait en pleine forme.

Opale revint à lui, lui présenta son profil, ses cheveux suivant le sillage de sa tête qu'il avait de nouveau tourné vers la mer. Ils reposaient entre ses omoplates, cascadaient sur ses épaules sur lesquels une constellation de taches de rousseur s'allongeait, savamment déchirée ici et là par des cicatrices inscrites dans sa peau dans un passé qui devait être très lointain pour Gerhard, mais ô combien proche pour Opale. C'était une chose qu'il avait compris : leurs vies s'étiraient sur des siècles qui passaient pour eux en un clignement d'yeux, mais les traumatismes, eux, demeuraient pour toujours. Leurs corps étaient semblables à des livres dont l'encre ne s'effaçait jamais vraiment.

Gerhard apercevait l'ombre d'un tatouage dans le dos d'Opale, les traits creusés cruellement dans une peau qui, envers et contre tout, avait réussi à guérir. Il ne put détacher ses yeux des lignes droites qui traçaient leur route dans les creux et les vallées pâles qu'était l'épine dorsale du Nébuleux.


- Pour tout vous dire, j’ai appris à nager en arrivant sur Nitescence. Auparavant, je n’étais pas plus débrouillard qu’un faon lâché dans un torrent ! Si vous me rejoignez, je vous apprendrai peut-être la brasse, qui sait.



Il lui effleura le bras ; au travers de sa chemise, sa peau se glaça tant qu'il crut en être brûlé. Gerhard se détacha à grande peine des ailes qui parcouraient les omoplates du médecin ; avant de pouvoir apercevoir le sourire qu'il avait entendu poindre dans sa voix claire, Opale força sur sa tête son chapeau de paille. Un temps aveuglé, Gerhard l'entendit rejoindre la mer de nouveau, signalant sa progression dans les eaux froides par des râleries et des soufflements qui n'étaient pas sans lui rappeler ceux d'un grand-père qui peinait à se relever de son banc favori.

Se saisissant du bord de chapeau, Gerhard le releva à temps pour apercevoir Opale disparaître sous la surface ; la seule trace de sa présence, de petites bulles qui crevaient la surface entre l'écume des vagues. Ces dernières poursuivaient leur chemin inlassablement, frappaient doucement ses mollets et éclaboussaient son pantalon remonté jusqu'à ses genoux. Une main dans sa poche et une tenant le chapeau, Gerhard transpirait une tranquillité qu'il ne ressentait pas. Opale ne réapparaissait pas. Il n'y avait pas beaucoup de courant, mais avait-il été emporté...?


Il se rendit compte de la stupidité de sa réflexion au moment même où le médecin surgissait de nouveau, ruisselant de la tête aux pieds et un sourire béat aux lèvres. Il tira ses cheveux en arrière d'une main ; plaqué tout contre sa tête, certaines mèches s'accrochaient à son front alors qu'il s'avançait, tout son corps toujours immergé : il ne demeurait plus qu'une tête qui le contemplait avec des yeux levés vers le ciel, et Gerhard se devait bien de le rejoindre, pas vrai ?

Avec milles gestes précautionneux, il enleva une bretelle, puis l'autre ; elles pendirent à ses côtés inutilement alors qu'il sortait sa chemise de son pantalon, défaisait les boutons, glissait ses manches de ses bras malingres pour en découvrir la peau aussi blanche qu'un linge. Son pantalon, il le garda : il n'était pas prêt à dévoiler ses hanches et ses cuisses noueuses, celles que ses médecins et ses... partenaires considéraient d'un air critique qui lui donnait envie de se coudre un tissu à même la peau pour en cacher les difformités.

Toujours pragmatique, il sortit de l'eau pour coincer chapeau et chemise à côté des chemises - ne manquerait plus que le vent les emporte ! - et revint. Cette fois-ci, quand les vagues allèrent au-delà de ses mollets, il persévéra, ignorant la pointe de panique qui pointait dans son gosier pour se focaliser sur sa destination : Opale, et plus loin encore. Son pantalon s'imbiba de la mer, le tira vers le bas. S'il n'avait pas eu pied, il aurait sombré, bras battant inutilement pour se maintenir à flot ; l'image lui tira un frissonnement.


Le scénario catastrophe, pourtant, ne vint pas. Il continua d'avancer, par grandes inspirations, jusqu'à ce que la mer lui lèche le nombril ; alors seulement il s'arrêta, jeta un coup d'oeil à l'horizon qu'il savait inatteignable, et se tourna vers Opale qu'il avait délaissé derrière lui. Il avait au moins la certitude que le Nébuleux n'apercevait de son corps qu'une tâche vaguement beige, et pas les creux que sa jeunesse avait inscrite dans son torse.
 

Pour autant, il s'encercla de ses bras, et s'il écoutait assez sa mauvaise foi, Gerhard pouvait prétendre que c'était à cause de la fraîcheur de l'eau, que le soleil réchauffait déjà tout autour de lui.


- Je ne sais pas si je pourrais aller plus loin, confia-t-il dans le vent, confiant qu'il serait capable de porter ses paroles jusqu'aux oreilles pointues d'Opale. Je... ne sais pas vraiment quoi faire d'autre.


Il avait des restes de cours de natation, des souvenirs de lui faisant la grenouille, mais guère davantage. Un remou l'éclaboussa sur les côtes ; le frisson, cette fois-ci, était de surprise, mais il étouffa le cri indigne qui manqua de franchir ses lèvres. Dans quelques instants, il aurait froid ; en attendant... Il ne savait pas. Comme toujours. Il était immobile, incapable de se convaincre de revenir vers le rivage ; absolument pas tiraillé, mais cloué au sable qui se modelait sous ses pieds. L'eau le retenait : dans cet élément, il avançait lentement, comme dans un rêve.


- Comment faire pour apprendre à nager ? demanda-t-il avec une voix qui lui rappelait celle d'un enfant timide. Dois-je me laisser tomber la tête la première dans l'eau ? Ou bien... 


Il força ses mains à lâcher ses bras, les écarta de son corps ; ses aisselles marquaient un parfait angle droit. Quand bien même Opale ne pouvait pas les voir, il leva ses sourcils en une moue peu convaincue, où pointait cependant un peu d'humour.


- ...le dos d'abord ? compléta Gerhard, prêt à lâcher prise et à laisser les flots se refermer autour de son corps en un battement d'yeux.
Mar 12 Mar 2024 - 10:34
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Opale Caladrius
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L’eau glaciale lui remettait les idées en place. Vagues frappant l’arrière de sa tête, jambes battant dans le vide. Le bout de ses orteils qui effleurait les galets, puis son corps entier maintenant qu’il s’était rapproché. A chaque baignade, il sentait toujours venir une clarté et une lucidité étonnante à l’instant ou sa tête plongeait dans les eaux noires. Ce grondement lointain et antique avait quelque chose de profondément rassurant, pour un être dont l’ouïe était fine. Même si en des jours plus sombre, il pouvait devenir étouffant voir insupportable. Opale passa sa langue sur ses lèvres qui portaient à présent le goût du sel, celui qui s’attache au palais, irrite la gorge.

Il avait eu un instant de panique, très légère. Lui-même avait peiné à s’en rendre compte. La réalisation que soudain, il était exposé à un humain. Presque nu. La dernière fois qu’il l’avait été, ce n’était pas pour les bonnes raisons. Ni les fois d’avant. La morsure du froid et du sel pénétrant sa cicatrice lui arracha une légère grimace qu’il évasa d’un mouvement de la tête. Si Opale paraissait souvent candide et heureux, les retombées étaient parfois brutales. L’illusion chaleureuse et tendre que cette île cocon lui apportait était parfois bien cruelle. Il ne savait pas exactement ce qui avait déclenché ce léger mouvement dans son corps. Peut-être de sentir ainsi le regard de Gerhard filer sur chaque grain, chaque cicatrice, chaque nuance colorée qui n’appartenait pas à son espèce. Il avait fui dans les eaux, le plus vite possible.

Ce qui le soulagea, c’était de constater qu’il ne réagissait pas. Cette plaie-là, il l’avait rouverte de nombreuses fois alors il la savait hideuse, sans pouvoir l’observer. Il la sentait, lorsqu’il dormait, dos au matelas. Ou lorsqu’on le bousculait. Ou si des doigts étrangers glissaient contre sa peau. La pensée lui arracha un frisson et il se rendit compte que Gerhard s’était décidé à le rejoindre. Le voir s’éloigner ainsi lui avait serré le cœur quelques instants, avec la pensée qu’il l’avait peut-être blessé, mais non. Il revenait à la charge, doucement, mais tout de même. Le Caladre se décida à pousser, enfoncer bien profondément ces voix intrusives pour se concentrer sur l’instant. Une nouvelle fois, il ne devinait que sa silhouette qu’il devenait pâle, et ce pantalon qu’il avait gardé. Par pudeur, certainement ? Fort heureusement qu’Opale ne s’était pas dénudé entièrement.

Souriant, le nébuleux le regarda passer à ses côtés, avançant d’un air déterminé vers l’horizon. C’était une image ravissante, de voir ainsi ce corps si grand paraître si petit au milieu du tumulte. Si la mer n’était agitée, le vent soulevait quand même quelques rouleaux discrets qui les faisait monter et redescendre successivement. Le Caladre nagea jusqu’à lui, se redressant à son tour. Il était plus petit que lui, alors la mer l’éloignait plus facilement. Cela ne l’empêcha pas de doucement tendre ses mains vers Gerhard pour les glisser dans les siennes.

-Evitons la tête la première ! Mais le dos est une bonne idée, cela vous détendra un peu. Etendez-vous, je vous tiens.

La chose la plus, et parfois la moins évidente était de parvenir à laisser son corps flotter. Opale n’avait jamais éprouvé de difficultés à se laisser porter par l’eau, mais il savait que ce n’était pas si aisé lorsqu’on se concentrait trop dessus.

-C’est amusant, mes os sont beaucoup moins denses que ceux des humains, alors je suis plus léger. Je ne le ressens pas, mais on me l’a déjà fait remarquer. Mon expérience ne sera pas la même que la votre, mais ironiquement, il m'est plus difficile de nager.

Dit-il distraitement en laissant Gerhard entrer dans l’eau. Cela provenait probablement de ses ancêtres, lorsqu’ils possédaient encore des ailes avant de se faire domestiquer. Bientôt, les mains d’Opale rejoignirent le dos de son compagnon, puis ses épaules et sa nuque. Il avait les cheveux étonnamment fins, et doux. Le médecin tenta de ne pas se laisser distraire, même s’il était presque tenté de toucher son visage pour mieux découvrir ces traits. Même d’aussi prêt, il ne distinguait pas grand-chose de lisible. A part une cicatrice qu’il n’avait pas encore remarquée. Ses doigts remontèrent délicatement à l’arrière de sa tête, effleurant ses oreilles qui étaient bien rondes. Même si les humains l’avaient longtemps tenu en horreur, c’était un détail qu’il avait toujours trouvé mignon.

-Inspirez, expirez, doucement, comme ça. Laissez votre ventre se gonfler, sentez l’air rentrer dans vos poumons. Vous êtes parfait.

Souffla Opale, ne brisant pas le contact.

-Une fois que vous vous sentez flotter, battez doucement des jambes pour avancer. Ne vous en faites pas, je suis avec vous.


Il avait l’habitude, d’être doux. Chaque jour, depuis plus de cinquante ans, il côtoyait les habitants de cette île. Les enfants comme les plus âgés, il n’avait jamais été de nature brutale mais il lui arrivait d’avoir été plus… Direct, dans son approche du corps. Mais il sentait Gerhard tendu. L’une de ses mains se glissa doucement le long de sa nuque et il inclina la tête, y sentant toute la tension qui tassait ce pauvre cou. Il appuya un peu, avant de se raviser. Ce n’était ni la place, ni l’instant pour l’examiner, à quoi pensait-il ? Il sentit le rouge chauffer ses joues glacées. Si Gerhard avait mal, il viendrait le voir, voilà tout. Ou… Oserait-il seulement ? L'idée le troubla et dans un instant d’inattention, une vague le ramena contre son élève, son ventre rencontra sa tête et lui coupa le souffle. Il ne lâcha pas pour autant, balbutiant une excuse avec un sourire maladroit.

-Le ciel est-il beau ? Vous pouvez fermer les yeux, si vous vous sentez assez en confiance. 
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Mer 13 Mar 2024 - 0:41
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Opale nagea jusqu'à lui. Ses gestes étaient grâcieux, il se mouvait dans l'eau avec une aisance née d'une habitude qu'il avait sûrement cultivé depuis son arrivée sur l'île. A bien y penser, Gerhard ignorait depuis combien de temps il vivait ici ; c'était à peine s'il avait une indication sur son âge - infiniment vieux, comme Ezekiel, et le physique traître - quoiqu'il soit préférable qu'il n'y pense pas maintenant : être atteint de vertige alors que la mer n'attendait qu'une erreur de sa part pour le balloter était définitivement un mauvais plan.

Posant pied à terre, si proche de lui qu'une vague aurait pu envoyer Gerhard praître contre le médecin, Opale prit les mains dans les siennes. L'eau avait refroidi sa peau déjà glaciale, pour autant il s'agrippa au Nébuleux comme un noyé à une bouée. Les seules métaphores qui lui venaient à l'esprit avaient un trait avec l'eau ; l'environnement, après tout, s'y prêtait, et cela lui rappelait des risques qu'il allait prendre en se plongeant entièrement dans ce milieu qu'il n'avait, jusque là, connu que de visu.


- Evitons la tête la première ! Mais le dos est une bonne idée, cela vous détendra un peu. Etendez-vous, je vous tiens.




Gerhard hésita, à peine quelques secondes, avant de flancher ses genoux. Le sable sous son corps ne bougea pas, quoiqu'il lui parut le sentir tenter de l'avaler, avant qu'il ne fasse quitter ses pieds du sol, laissant l'entièreté de son dos rencontrer la surface azure houleuse.



L'eau rentra dans ses oreilles. Il y habitait un bourdonnement régulier, que Gerhard identifia au bout d'un moment comme étant le rythme irrégulier, changeant, de la mer qui lançait ses vagues à l'assaut de la plage sur laquelle ils avaient abandonné leurs vêtements. Il inspira profondément, forçant ses poumons à se remplir d'air avant de les vider dans l'immensité bleutée qui se dévoilait à ses yeux sombres. Les restes des leçons de sa jeunesse lui revenaient en tête, la voix de son - de leur, celui de sa classe - instructeur hurlant des indications qu'il avait peiné à entendre par-dessus les brouhahas des enfants qui se jetaient dans la piscine en se fichant des règles de sécurité.


Celle d'Opale lui parvenait, étouffée ; il capta à peine des bribes de mots, pas de quoi en tirer une phrase compréhensible. Être coupé du monde alors qu'il en était si proche : voilà bien une expérience qu'il n'avait jamais expérimenté, une si étrange mais pas particulièrement désagréable. La sensation d'un toucher dans son dos lui tira un geste qui, sur la terre ferme, aurait été la sursaut. Gerhard mit quelques secondes à comprendre qu'il ne s'agissait pas d'une algue particulièrement vicieuse, mais bien des mains d'Opale qui soutenait son corps, d'abord par le centre, jusqu'à remonter à ses épaules, puis à sa nuque.


Il frissonna. Les rares personnes qui l'avaient touché ici l'avaient fait distraitement : sa mère pour l'endormir, un livre dans l'autre main ; les quelques partenaires qu'il avait emmené à son lit, à blablater pour occuper le silence pesant qui régnait après leurs activités ; toujours, Gerhard avait dû lutter contre le sommeil qui avait menacé de l'emporter, à la manière d'un chat domestique qui se relaxait après une longue journée passée à explorer l'extérieur.


Il n'avait pas envie de dormir. Ce toucher le cimentait tant dans le présent que Gerhard était conscient de tous les muscles qui constituaient son corps, la tension qui les habitait, les frissons qui les picotaient.




- Inspirez, expirez, doucement, comme ça. Laissez votre ventre se gonfler, sentez l’air rentrer dans vos poumons. Vous êtes parfait.




La voix d'Opale, cette fois-ci, était claire ; son cerveau avait classé le bruit de la mer comme étant insignifiant, et les mots d'Opale avaient percé au travers des battements erratiques de son coeur qui palpitaient dans ses oreilles.


Gerhard n'avait pas l'impression d'être parfait, avec un torse à moitié immergé, un pantalon qui lestait ses jambes, et des yeux qui scrutaient follement le ciel comme si s'attendant à y dénicher la silhouette de Dieu. Mais enfin, il ne coulait pas, c'était indéniable ; enfant, il avait touché le fond aussi sûrement qu'une pierre qu'on jetait dans un lac, et c'était l'instructeur qui avait plongé à sa rescousse. Le souvenir des rires de ses camarades alors qu'il surgissait, à moitié noyé, dans les bras de l'homme, colorait aujourd'hui encore ses joues d'un rouge écarlate.


Quelque chose lui disait que cette mémoire serait recouverte par ce moment, cependant. Après tout, le cerveau retenait bien les échecs mais se confortait dans les réussites ; et quand bien même Opale le soutenait à moitié, et que Gerhard ne voulait pas découvrir le résultat si jamais le médecin venait à les reprendre pour lui, il comptait ça comme une victoire. S'il la regardait sous le bon angle. Et soyez assuré qu'il le faisait.




- Une fois que vous vous sentez flotter, battez doucement des jambes pour avancer. Ne vous en faites pas, je suis avec vous.




Oh, pour flotter il flottait. Son corps, évidemment, et ses pensées, qui nageaient dans une mélasse qui s'était comme infiltrée dans sa tête. Le mouvement des vagues était presque... soporifique.


La réflexion le frappa comme un coup de tonnerre et il eut un spasme. Il serra les dents. Non, hors de question de s'endormir ici : c'était autant stupide que dangereux, et il était là pour apprendre à nager, pas à se noyer. Ca, il savait déjà comment faire : il n'aurait qu'à se mettre en tonneau pour ça.


Comme pour répondre à cette crispation, la main d'Opale malaxa un temps sa nuque avant de cesser brusquement. Trop tard, cependant : le geste avait révélé à son attention le noeud qu'il sentait y résider, et il se résolut de la masser avant de dormir ce soir.



- Le ciel est-il beau ? Vous pouvez fermer les yeux, si vous vous sentez assez en confiance.



Ah oui, le ciel. A dire vrai il n'y pensait plus trop. Oui, il était bleu, c'était assez joli. A défaut de se noyer, Gerhard aurait pu s'y perdre, si seulement mille pensée ne tournoyaient pas dans son crâne.


Avec application, il ferma les yeux. Ce n'était pas lui l'élève, après tout, il suivait bien tout ce qu'on lui disait de faire. Oui, le ciel était beau, mais il préférait être en vie pour pouvoir le contempler plus tard.

Testant par petits gestes la stabilité qu'il avait, Gerhard la jugea convenable et commença à battre des jambes. Son corps tout entier se mouvait contre le courant, plus efficacement qu'il ne l'aurait cru possible à dire vrai. Il avait le sentiment d'être une planche à la dérive ; s'il était ridicule, il était certain que l'image n'était pas si éloignée que ça de la vérité.

A la différence que quelqu'un suivait : Opale, fidèle à sa promesse, qui l'aurait certainement suivi jusqu'à avoir la tête sous l'eau. Au bout de quelques secondes, essoufflé par ces mouvements rendus difficiles par son pantalon qui n'avait de pantalon que de nom, Gerhard grogna et se redressa. Il pensa, distraitement, qu'il sonnait davantage comme un animal, à renâcler, gronder et souffler à chaque mouvement un peu brusque qui envoyait une multitude de gouttelettes contre son compagnon d'infortune. Il faisait beau aujourd'hui, sauf si on se trouvait à côté de lui.

A force de gesticulations, Gerhard parvint à remettre les pieds sous son corps et se leva de toute sa hauteur. Il constata, avec une certaine alarme, que l'eau lui parvenait aux clavicules.


- Oh, dit-il stupidement. Pardon. Je ne m'étais pas rendu compte que je m'étais... que je nous avais autant éloignés du rivage.



Opale n'avait pas l'air particulièrement dérangé ; pour autant, il les guida tout de même à un endroit où l'eau était moins profonde. Le courant les escorta, facilitant leur lente marche jusqu'à ce que Gerhard soit satisfait de constater qu'elle atteignait maintenant son nombril. Alors seulement il lâcha Opale, se frotta distraitement la nuque là où sa main l'avait brièvement serré. Il grimaça en sentant le muscle quasiment froissé. Ooooh oui, il allait s'en donner à coeur joie ce soir.


- Merci de m'avoir accompagné, dit-il ensuite en laissant retomber sa main dans l'eau. Après la planche, la brasse ?



Maintenant qu'il avait goûté à la mer - figurativement, pas littéralement, heureusement pour lui - Gerhard rechignait à la quitter. Il voulait savoir comment s'y débrouiller, et la météo était si bonne, le temps était si clémente ; s'il partait de la plage maintenant, il n'était pas certain d'y revenir avant un bon moment.
Jeu 14 Mar 2024 - 17:18
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Opale Caladrius
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Opale Caladrius

Children of the storm

Foam in their veins, ashes in their mouth

Feat Gerhard



Une vague frappa contre ses épaules et Opale frissonna, l’eau dégoulinait sur son visage, s’agrippait froidement à ses boucles. Il avait de l’eau dans les oreilles, tous les bruits lui parvenaient étouffés. Cela lui fit froncer les sourcils ; il n’allait pas devenir non plus, si ?! Il secoua la tête en la penchant d’un unique côté et ravala un sursaut en sentant ses pieds quitter le fond. Gerhard nageait, ça, c’était certain. Un peu trop même. Ses longues jambes élancées battaient la cadence contre le courant et les entrainait plus loin. Mais le médecin veillait, il connaissait cet endroit comme sa poche et c’était bien le seul avec sa maison. Il n’irait pas se baigner seul à d’autres endroits de l’île, par exemple.


Et puis, comme prit de nervosité, Gerhard se redressa. Il soufflait comme un gros animal et l’image fit sourire Opale qui s’écarta pour lui laisser de l’espace et éviter de se prendre un coup de coude ou de pied. Il l’avait lâché presque à regret, se sentant toujours légèrement désorienté lorsqu’il quittait ses repères. Le psy en était devenu un bien malgré lui, comme l’ancre jetée en bout de poupe. Le caladre passa brièvement la tête sous l’eau pour ramener ses cheveux vers l’arrière qui lui chatouillaient les joues, se laissant guider jusqu’à la berge. 


-Allons bon, ce n’est rien. Ici, c’est agréable car la forme de la crique nous protège des courants. Il ne faut pas dépasser les rochers… Par... Heu. 


Opale regarda autour de lui en plissant les yeux, passant sa main en éventail. L’eau lui arrivait jusqu’à la poitrine.



-Là. Je crois. Enfin, pas de risque pour vous.


A se demander comment il s’était débrouillé toutes ces années en apprenant seul. Il avait bien failli rejoindre les crabes et les huitres plus d’une fois. Alors il était à la fois extrêmement chanceux, un poil suicidaire et surtout sans peur.


-Allons-y pour la brasse ! Ventre dans l’eau, cette fois.


Il y avait quelque chose d’attendrissant à tout ça. Ce matin encore il l’évitait et les voilà à présent, instructeur et élève. Opale ne voulait pas l’interroger plus que cela sur le pourquoi du comment il ne savait pas nager. Il était déjà assez heureux qu’il se tourne une nouvelle fois vers lui comme un enfant bien sage en attente de consignes. Alors le caladre ne cessait de sourire, le regard lointain. Il reprit doucement ses mains, une nouvelle fois et le guida de nouveau. Ils étaient face à face à présent, même si Opale ne distinguait que la forme vague de son visage.


-Tendez vos bras… Voilà. Imaginez un cercle, qui s’étend du bas de votre dos jusqu’à vos talons. Démarrons… Jambes tendues. Pieds vers l’extérieur. Vous allez traverser ce cercle, pensez à vos talons qui remontent jusqu’à votre nombril puis qui suivent ce cercle. Répétez ce mouvement, je vous suis. Si c’est trop difficile, imaginez la nage d’une grenouille !... Servez-vous de moi, pour vous appuyer. 


Le médecin reculait tout en parlant, pour le pousser à avancer. Ce qui n’était pas simple avec la brasse, c’était la coordination des mouvements. Opale n’avait jamais été très sportif puisque son corps se maintenait seul dans son état d’origine, alors cela n’avait pas été si simple pour lui. Lui préférait le crawl, il y avait quelque chose de plus naturel, rapide, qui permettait de mieux appréhender le mouvement des vagues. Ils avançaient de nouveau, parallèles à la plage. Il voulait éviter de trop s’éloigner, pour ne pas perturber son élève. 


Un rayon de soleil aveugla un instant Opale qui leva les yeux vers le ciel. Il entendait le cri d’un albatros, mais ne pouvait pas le voir. Il désespérait souvent d’apercevoir ses ailes filant dans les courants d’airs. Il avait un nid niché dans un creux juste en dessous de chez eux. Avant de perdre la vue, Opale était un véritable passionné de volatiles. Les observer, les dessiner, c’était tout un art, un vrai ornithologue en herbe. A présent, il devait se contenter de les écouter.


-On va pouvoir essayer avec les bras maintenant. Tiens mais, c’est l’alba-hA !


Le cri qui s’échappa de sa bouche fut englouti dans un gargouillis informe alors qu’une vague plus grande que les autres frappa le dos d’Opale. Surpris, celui-ci se sentit partir vers l’arrière, avalé par les eaux. Satané rouleau ! Il sentit son corps mince cogner contre celui de Gerhard, il se rattrapa là où il le pouvait. Serré un instant contre lui, la vague les entraina de nouveau vers la berge et son jambes frottèrent contre le sable. Ils avaient plus que pied, même quasiment allongés ils touchaient terre ! Ses mains s’enfoncèrent dans le sol meuble et mou, sa tête creva la surface et il toussa, les yeux écarquillés de surprise. Erk ! Le sel ! Il collait au palais, ça brûlait l’œsophage, il avait définitivement bu la tasse. Désorienté, il se racla la gorge en éclatant de rire.



-Oh- Pardonnez-moi j’ai... manqué de... prudence.


Il s’interrompit en se rendant compte qu’il était sans doute un peu proche. La vague l’avait envoyé valdinguer sur Gerhard comme une vulgaire brindille. Il ne recula pas pour autant, bien accroché à son colocataire, comme de peur de le perdre.


- Oh je dois être très froid, excusez-moi. Vous n’avez pas bu la tasse, vous ? Remerciez votre grande taille.


S’exclama-t-il amusé en levant la tête vers lui, les cheveux en désordre sur le dessus de sa tête, son front et ses épaules avec ce qui ressemblait à une algue accrochée dedans. En réalité, la tête lui tournait un peu. Il était toujours sensible aux pertes d’équilibre, il lui fallait quelques instants pour se situer correctement dans cet espace aux frontières floues et mouvantes. Il n'espérait ne pas dégouter Gerhard, avec son corps aussi peu... Humain. A cette brève pensée, la large cicatrice dans son dos le tirailla, tirée par le sel. Elle était répugnante, il le savait même sans la voir. L’eau continuait d’effectuer ses légers va et vient contre son échine, lui arrachant des frissons. 


-Allons un peu par-là, les vagues seront moins fortes.


Il avait effectué un vague mouvement de tête. Et puis, il y avait un endroit qu’il voulait lui montrer. Une large fente dans la falaise, éventrée par des siècles de passage des eaux violentes. Une… Grotte. Comme tout le réseau qui longeait l’intérieur des côtes de Nitescence, elle ne faisait pas exception. Peut-être pourrait-il lui dévoiler l’endroit, car lui n’y allait plus depuis quelques années. Un peu égoïstement, il aurait aimé y remettre les pieds, grâce à lui. Serait-il un explorateur chevronné ou un badaud des plages ? 


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Mar 19 Mar 2024 - 1:17
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Gerhard Speckmann
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Gerhard se sentait chanceux d'avoir un tel professeur à ses côtés. Opale avait beau être médecin, il avait une sacrée carrière dans l'éducation, si jamais il voulait s'y tenter. Loin de s'offusquer de ses manières de buffle, il souriait, riait ouvertement ; il se mouvait si bien avec les flots que Gerhard avait l'impression de le découvrir sous un nouveau jour. Il avait la couleur de la mer et, en cet instant, la gentillesse. Les flots les ballottaient doucement, mais ils tenaient bon : contre le courant, leurs pieds des ancres immuables dont les orteils s'enfonçaient dans le sable mou.

Opale s'enfonça de nouveau dans l'eau et en ressortit les cheveux trempés, collés à son front, son cou, serpentant sur sa peau comme un animal paresseux. Gerhard avait envie d'approcher les doigts de ces mèches blanches, de les écarter, de toucher ; mais même lui reconnaissait la stupidité de ce souhait, alors même qu'il peinait toujours à accepter le contact physique sans flancher les genoux. C'aurait été injuste pour Opale que de se permettre une telle action.

Ces choses viendraient, il n'en doutait pas, mais il aurait simplement souhaité qu'elles viennent plus vite.


- Allons bon, ce n’est rien. Ici, c’est agréable car la forme de la crique nous protège des courants. Il ne faut pas dépasser les rochers… Par... Heu... Le Nébuleux scruta tout autour de lui, et Gerhard suivit son regard, ne vit que des rochers et des courants lointains qui lui paraissaient totalement normaux ; mais sans doute était-ce là le piège, après tout. Là. Je crois. Enfin, pas de risque pour vous.


Gerhard huma simplement. Une bourrasque plus forte qu'une autre le fit frissonner. L'eau perlait sur sa peau pâle, il la sentait dégouliner de ses épaules jusqu'à rejoindre l'océan dont il l'avait arraché ; il lui tardait de s'y replonger, galvanisé par cette petite victoire qu'il avait arraché à la nature. Il lui en fallait peu, il supposait : faire la planche suffisait à lui donner le sourire ! Sans nul doute que, si Opale l'avait su plus tôt, il l'aurait balancé dans la mer sans hésiter.

Mais enfin, il ne servait à rien de tergiverser sur des suppositions. Ils étaient là, c'était tout ce qui comptait, et le médecin se tournait de nouveau vers lui, volontaire au possible.


- Allons-y pour la brasse ! Ventre dans l’eau, cette fois.


Oh, cela devait beaucoup l'amuser ; et cette bonne humeur était contagieuse, puisque Gerhard se sentait gagner par un sourire. Ne manquait plus qu'Opale mette les mains sur les hanches pour faire de lui un véritable général.


Le Nébuleux lui reprit les mains. C'était un geste auquel il pouvait s'habituer, il supposait ; déjà, son corps se détendait plus rapidement, reconnaissant dans ces paumes froides celles d'une personne digne de confiance. Face à face, Gerhard pouvait détailler à loisir son visage, sa peau vierge de toute impureté, celle qui mentait sur l'âge qu'Opale avait, les tourments qu'il avait affronté. Parce qu'il n'était pas idiot : tout n'était pas rose sur Nitescence, il demeurait des êtres meurtris qui parcouraient les terres de cette île isolée, quand bien même leurs blessures étaient invisibles à l'oeil nu. Celles d'Opale étaient bien cachées, dans son dos qu'il ne pouvait voir sous cet angle. Celles des autres...

Il ne voulait pas penser à Ezekiel maintenant. La défaite avait un goût amer, et s'il n'avait pas quelqu'un accroché à ses poignets, Gerhard aurait bu la tasse simplement pour en chasser le goût. Sa débâcle était d'autant plus âcre qu'il savait qu'elle était de son dû, et qu'il avait laissé échapper quelqu'un qui avait besoin d'aide. Quand bien même son ego avait été atteint, il avait mal joué ses cartes. Un professionnel de santé ne devait pas laisser ses sentiments contrôler ses actions, et il avait échoué, comme un bleu.

Non, assez. S'il y pensait trop, ce serait la honte qui prendrait le dessus, et aucun d'eux deux n'avaient besoin de ça en cet instant. Tout en parlant, Opale reculait, l'incitant à se laisser submerger par les flots une nouvelle fois. D'ennemie jurée, la mer était devenue une connaissance réticente que Gerhard voulait apprendre à connaître.


- Tendez vos bras… Voilà. Imaginez un cercle, qui s’étend du bas de votre dos jusqu’à vos talons. Démarrons… Jambes tendues. Pieds vers l’extérieur. Vous allez traverser ce cercle, pensez à vos talons qui remontent jusqu’à votre nombril puis qui suivent ce cercle. Répétez ce mouvement, je vous suis. Si c’est trop difficile, imaginez la nage d’une grenouille !... Servez-vous de moi, pour vous appuyer.


Son estomac toucha l'eau, centimètre par centimètre. Par réflexe, il ploya ses muscles contre cette sensation fantôme qui caressait sa peau. La voix d'Opale, douce mais assurée, incitait à l'écoute : si seulement il ne l'avait pas vu se déplacer sur la terre ferme, Gerhard l'aurait cru sirène. C'était fascinant, cette manière qu'avait l'esprit humain à s'enfermer dans une bulle, à oublier le monde extérieur, laissant l'enveloppe charnelle si fragile à l'inconnu extérieur.

Les images qu'invoquait Opale dans son esprit le faisait sourire, mais elles avaient la qualité d'être efficace. Gerhard ne se sentait peut-être pas grenouille - il était trop grand pour ça - ni n'en avait la prestance, mais au moins en avait-il l'efficacité. Ses mouvements étaient patauds - il regrettait la simplicité de la planche - mais le maintenaient à flot. Il esquissait de minuscules gestes des bras, de manière à ne pas déranger la prise qu'Opale avait sur ces derniers ; le médecin les accompagnait sans broncher et Gerhard, qui avait les yeux fixés sur ses abdominaux inexistants, n'osait pas les relever. Ses longues jambes, elles, battaient une cadence désordonnée, mais qui avait le mérite de le faire flotter.
Inspirant profondément, Gerhard se laissa quelques secondes ballotter par les flots, puis lentement guida ses jambes et ses bras dans deux arcs de cercle semblables, qui auraient pu alors donner à cette nage le nom de brasse. Il était ravi de constater qu'il se débrouillait plutôt bien, et ouvrit la bouche pour demander à Opale d'au moins lui lâcher une main.


- On va pouvoir essayer avec les bras maintenant. Tiens mais, c’est l’alba-hA !


Frappant de nul part, une vague plus vigoureuse que les autres déstabilisa le médecin. Gerhard poussa un début de cri en se sentant suivre Opale... et but immédiatement la tasse, l'eau en ayant profité pour s'infiltrer dans sa bouche. Crachotant et toussant, il n'était plus qu'un corps à la dérive que la mer baladait jusqu'au rivage, immergé si ce n'est pour deux ou trois cheveux qui devaient avoir échapper à l'assaut des vagues.

Il avait fermé les yeux par réflexe, et les rouvrit dès lors qu'il sentit l'air lui frapper de nouveau les joues. Quelque chose lui pesait sur le corps. La tête lui tournait légèrement, conséquence du roulis qui les avait emmené s'échouer quasiment sur la plage : s'il se levait, Gerhard savait que l'eau lui arriverait à peine jusqu'au milieu du mollet. Le sel lui brûlait la gorge et le nez. De manière bien peu distinguée, il toussa ses poumons sur le sable, jusqu'à ce qu'ils en deviennent douloureux. Opale, à ses côtés, faisait de même ; puis perça son rire au milieu de ses raclements :


- Oh- Pardonnez-moi j’ai... manqué de... prudence.


Gerhard toussa en seule réponse, une dernière fois, et papillonna des paupières pour en chasser les résidus d'eau salée qui les collaient ensemble, hélas sans trop de succès.

Ce fut à cet instant là qu'il se rendit compte qu'Opale était à moitié étalé sur lui, accroché comme une moule à son rocher, bien loin de leurs touchers timides de ces derniers jours. Opale avait un sourire qui lui donnait un air détendu, plus jeune que ce qu'il n'était réellement ; ou bien...? Peut-être que son espèce, il était encore juvénile. Les années ne s'appréhendaient pas de la même manière quand on en avait des milliers devant soi, après tout.


- Oh je dois être très froid, excusez-moi. Vous n’avez pas bu la tasse, vous ? Remerciez votre grande taille.


Pas plus froid que l'eau, à dire vrai, mais Gerhard le sentait frissonner contre lui et se demandait si Opale, parfois, n'était pas glacé par sa propre peau. Lui-même appréciait la fraîcheur de l'hiver, surtout quand il pouvait s'enrouler dans un plaid et se recroqueviller sur lui-même pour conserver la chaleur naturelle de son propre corps. Comment Opale le percevait-il ? Bouillant, ou à peine plus échauffé que la moyenne ?


Une question qui demeurerait sans réponse, du moins pour l'instant ; car le Nébuleux, sûrement lassé de barbotter dans trente centimètres d'eau salée, désigna une direction d'un geste du menton.


- Allons un peu par-là, les vagues seront moins fortes.


A regret, Gerhard se sépara d'Opale et entreprit de se remettre sur pieds. Oui, une promenade, voilà qui lui disait bien. Ce serait sans doute l'opportunité de se sécher un peu, et de se remettre de cette brève frayeur qui les avait tous les deux pris.

Il grimaça en sentant son pantalon tomber lourdement autour de sa taille, entraîné vers le sol par l'eau qui le gorgeait. Sans ceinture ni bretelles pour le retenir, il aurait découvert toute la délicatesse de son fessier ; Gerhard l'agrippa d'une main et résolut de ne pas le lâcher. Il regrettait ses hanches étroites autour desquelles aucun vêtement n'allait.

Ainsi harnaché, Gerhard se tourna vers Opale et tenta d'oublier le ridicule de sa position. Offrant une main au médecin, il l'aida à se relever et dit :


- Une promenade me paraît être une bonne idée, ne serait-ce que pour me faire oublier la piscine d'eau salée que j'ai avalé.


Il grimaça et s'humecta les lèvres, en ressentant toute la salinité sur sa langue. Bleh. Pas très agréable, mais surmontable.

Reprenant sa position de piquet guide de malvoyant, Gerhard prit la direction qu'Opale avait désigné, le médecin une présence constante à ses côtés. Avant qu'ils n'abandonnent totalement leurs affaires, il réussit à récupérer le chapeau qui, miraculeusement, ne s'était pas envolé, et le tendit au Nébuleux. Leurs pieds frappaient l'eau comme en rétribution au sale coup qu'elle leur avait porté auparavant. Les vagues léchaient la plage, se retiraient et revenaient en force dans un rythme qui n'avait ni queue ni tête, mais qui aurait pu le bercer si seulement Gerhard s'était allongé. Une sieste... Il n'en était pas très friand, mais sa tête lui tournait encore un peu, et parfois pour faire passer cette sensation un somme était nécessaire.

Mais se reposer ç'aurait été louper cette exploration tranquille que lui proposait Opale, dont le bord du chapeau lui frappait parfois l'épaule comme un rappel de son existence. Il accusait le "coup" sans broncher, regardant stoïquement devant lui ; d'Opale, il n'aurait vu que la paille du chapeau et le joli ruban qui l'ornait.


- C'est un bel endroit, s'entendit-il dire. Je vous suis reconnaissant de m'y avoir conduit... tout comme de m'avoir appris quelques techniques pour ne pas couler.


Il ignorait si les leçons resteraient inscrites dans son cerveau, mais on pouvait toujours espérer : avec la mer à portée de main, il aurait tôt fait de s'entraîner toutes les semaines, et avec la pratique viendrait la perfection.

Il y avait tant d'autres choses pour lesquelles il voulait remercier Opale, mais il craignait de briser le moment en étalant à leurs pieds toute la reconnaissance qu'il ressentait envers le Nébuleux. L'avoir accueilli, supporté, s'être confié à lui... Opale avait une patience semblerait-il infinie, et il se demandait ce qui pouvait bien l'ébranler. Sûrement rien. Ce n'était pas quelque chose, à dire vrai, qu'il tenait à découvrir.


Les falaises se précisaient à chaque pas qu'ils prenaient dans leurs directions, et bientôt ils arrivaient au bout de la plage, là où le sable rencontrait les rochers, tranchant comme des lames finement aiguisées par les éléments. Gerhard se tordit le cou et grimaça en se rendant compte de la hauteur de la falaise qui les surplombait : une seule chute et c'était la mort, et même Opale ne pourrait sauver le malheureux de ce destin funeste.

Avec un frisson, Gerhard se détacha de cette vue pour rediriger son regard vers de meilleurs augures, à hauteur d'yeux en plus de cela. Toute cette nature lui était inconnue, mais il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'il fallait faire attention à où on devait mettre les pieds. Il regretta un instant de ne pas leur avoir laissé le temps d'enfiler leurs chaussures, mais sûrement que cela n'aurait rien changé : aucune semelle, aucun cuir n'aurait résisté à cette marche ardue qui les attendait. Ou, du moins, il supposait : Opale n'avait fait que pointer une direction du menton, et il l'avait emprunté sans se poser davantage de question. Son obéissance était admirable, ou bien stupide, au choix.


- Eh bien, je m'en remets encore à vous, avoua-t-il avec un mi-sourire gêné. Je n'ai absolument aucune idée d'où nous sommes censés aller, mais je vous fais confiance.


Le plus étonnant, sûrement, était de constater qu'il pensait réellement ces mots. C'étaient des sentiments qu'il lui faudrait explorer plus en détail plus tard. Cette nuit, peut-être : après tout, il avait l'habitude de contempler le plafond en réfléchissant à mille problèmes sans parvenir à trouver une solution.

S'avançant prudemment, Gerhard posa le bout de son pied sur un rocher et testa la prise que ce dernier avait sur sa peau. Il fut étonné de constater que la pierre ne pénétra pas dedans : à peine un picotis, mais sans plus. Il ne doutait pas que le chemin serait difficile, mais la destination en valait le coup, non ? Et au pire du pire, il se jetterait dans l'eau : la mer frappait encore doucement ici, il pourrait s'y perdre si seulement l'envie lui en prenait.


- Allez, je me laisse guider, dit Gerhard en reposant son pied sur le sable, profitant une dernière fois du réconfort de sa mollesse. Après vous, mon bon monsieur.


A la guerre comme à la guerre, et à l'aventure comme à l'aventure : cette petite, qui leur tendait les bras, il lui tardait de la découvrir.
Dim 24 Mar 2024 - 13:51
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Opale Caladrius
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Le cœur encore battant de cet instant de contact entremêlé, Opale fixait ses pieds projetant des gerbes de sable à chacun de ses pas. Non pas que cela le gêne lui, mais Gerhard était si pudique depuis le début de leur rencontre qu’il l’aurait cru plus… Dérangé par ça. Mais non, pas une réelle once de gêne peignant l’air. Ni de méfiance. Était-il en train de gagner sa confiance… ? Le mot était sans doute fort pour un si bref échange. Le médecin commençait même à songer qu’ironiquement, le fait qu’il ait besoin de lui pour se déplacer lui conférait une forme de pouvoir. Si cela leur permettait de se rapprocher… Il le tolérait.

Opale détestait qu’on le prenne en pitié pour sa vue ou ce qu’il dévoilait, de temps à autre, de sa personne. Parfois, les gens profitaient de ces instants de faiblesse pour gagner l’ascendant et c’était une chose que le médecin évitait comme la peste. Gerhard était… Différent. Il ne semblait pas vraiment chercher à le protéger à tout prix, mais peut-être accordait-il de la valeur à ce bras que lui tendait Opale lorsqu’il sentait le besoin de se reposer sur lui.

Tiens. D’ailleurs. Il se proposait de lui-même à présent, comme le fidèle gardien de ses pas. S’il pouvait être ses yeux, rien que le temps d’une promenade, c’était déjà une chose remarquable. Le caladre avec les années, commençait à redouter le jour où il se trouverait totalement dépendant des autres. Et même s’il continuait de repousser le moment, la Matriarche savait ce qu’elle faisait en envoyant le jeune humain sur son domaine. Le vent souffla et Opale posa son autre main sur le chapeau qui avait regagné sa tête, le ruban virevoltant contre son poignet. Quelques mèches venaient lui barrer le visage tantôt, leurs pas se rapprochèrent de nouveau des eaux jusqu’à que le frisson familier vienne les effleurer.

Gerhard était reconnaissant. Cela avait quelque chose d’attendrissant… Le caladre lui sourit, levant les yeux vers lui en se serrant contre son bras fin. Ils longèrent la plage, leurs empreintes laissant un sillon sur leur passage. Opale frissonnait, mais appréciait chaque minutes de cet instant frappé par le rare soleil de l’île. Même la brise était clémente. Il commençait à se familiariser au contact avec Gerhard et à son odeur qu’il, à présent, saurait reconnaître entre mille. Le mystère restait son visage. Il était tenté de lui demander. Mais c’était sans doute un peu tôt pour cartographier ce que le psychologue semblait s’évertuer à dissimuler. Tout comme le reste de son corps.

Je vous fais confiance.


Cette simple phrase avait laissé un sourire flotter sur les lèvres d’Opale, toujours dissimulé dans l’ombre de son grand chapeau. Ils étaient sur la bonne voie. Gerhard s’était avancé sur les rochers menant à la grotte. Le nébuleux se détacha doucement de son bras, quittant sa chaleur pour glisser sa main dans la sienne. Il s’y appuya légèrement en posant les pieds sur les rochers.

-Je ne vous décevrais pas, Gerhard. Tenez, là-bas, vous devriez la voir, il y a une grande entaille dans la falaise.

Il avait désigné l’endroit d’un signe de tête, incertain de ce qu’il devait pointer. Il aurait l’air bien ridicule à montrer une chose invisible ! Les deux partenaires se mirent à avancer sur les roches froides, encore glacées de la marée. Ils devaient parfois sauter, ou grimper, évitant les trous et les roches trop glissantes ou coupantes.

-Ah, attendez, je veux vérifier quelque chose !

S’exclama-t-il soudainement en avançant un peu plus bas dans les roches, trempant les chevilles dans l’eau froide et mousseuse. Dans le lointain, le bruit des vagues frappant contre la falaise éprouvée. Il se pencha en avant, ses cheveux suivirent le mouvement et il trempa sa main dans l’eau, sentant le remous caresser son avant-bras et ses mollets. Bon… Le niveau n’était pas trop haut. Il ne voulait surtout pas se laisser surprendre par la marée car ici, aucun moyen de remonter sur la terre ferme. Il s’en sortirait sans problème, mais Gerhard n’était sans doute pas prêt pour ce genre d’expériences à compte à rebours.

-Je vérifiais le niveau de la marée. Elle est basse, donc tout va bien. C’est une chose à laquelle vous devez prendre garde, lorsqu’elle remonte, cela peut aller très vite. Si vous voulez, nous avons un très beau livre illustré sur le cycle des marées dans notre bibliothèque, sentez-vous libre de l’emprunter.

Il secoua la main, projetant quelques gouttelettes contre sa cuisse presque dénudée, son bas étant remonté un peu plus haut.

-ça, ou le reste d’ailleurs. Les livres ne me servent presque plus.

Ajouta-t-il pensivement en massant ses doigts engourdis, se décidant à avancer de nouveau. Parfois il attendait Gerhard, parfois c’était l’inverse. Mais voilà qu’ils arrivaient à la grotte. Superbe crevasse creusée par des millénaires de flots ininterrompus. Les rochers étaient rendus plus lisses à force de passages, roulis et rouleaux polissant la moindre des aspérités. Opale s’assit avant de glisser dans l’eau, qui lui arrivait au bas de la taille. Quelques algues lui caressèrent les chevilles mais il n’y prêta pas garde, avançant jusqu’à entrer dans les semi-ténèbres. La cavité était grande et bientôt, ils rejoignirent un petit lopin de sable à l’intérieur.

Ah… Que le bruit était agréable. Le sourire du caladre s’élargit et il plaça ses mains en coupole autour de ses oreilles, tournant sur lui-même. Les sons de l’extérieur étaient plus étouffés et le moindre bruissement d’étoffes prenait de l’ampleur. Les échos des gouttes de quelques stalactites résonnaient dans un bruit clair et il lâcha un petit rire.

-Cet endroit est merveille-Aïe !

Il venait de buter contre un rocher surprise, basculant vers l’avant avant de se rattraper sur un autre. Plus de peur que de mal. Il grimaça en sentant la brûlure familière sur sa cheville.

-Ouh-n’approchez pas !

S’écria t-il, pas vraiment autoritaire mais avec un soupçon d’appréhension dans la voix. Gerhard ne devait absolument pas s’approcher de son sang, sous aucun prétexte. S’il était dangereux pour les nébuleux, il pouvait être léthal pour un humain. Il contenait des siècles de putréfaction, d’infection, il était répugnant et toxique. Sa couleur violacée, presque noire en était témoin et un filet coula au bas de sa jambe. Opale grommela et s’assit, passant son pouce contre la plaie avant de la porter à sa bouche, le coinçant entre ses lèvres avec une grimace. Le goût était toujours aussi puissant.

-Pardonnez ma réaction. Il faut que vous le sachiez, mais mon sang est toxique pour les humains. Même le toucher pourrait vous brûler. Des années à soigner et absorber les maux changent sa composition. Plus j’utilise mon don, plus il se putrifie. Ahah, tous les dix ans à peu près, je dois me transfuser du sang sain, au risque de m’empoisonner moi-même ! Ironique, non ? Mon corps est vraiment décidé à ne pas me laisser perdurer.

Entre ça et ses yeux, il avait parfois du mal à continuer. Il réitéra l’opération plusieurs fois jusqu’à que le saignement s’arrête et passa de l’eau de mer dessus en soupirant. Les picotements ne lui faisaient pas grand-chose, la douleur était si banalisée pour lui. Opale avait une main posée sur la poitrine. Il ne savait pas pourquoi, mais une légère angoisse y était née.

-Il y a beaucoup de choses que je devrais vous dire, sur moi, sur mon espèce. Mais c’est sans doute le détail le plus… Enfin, j’espère que vous n’êtes pas trop dégouté.

Il avait rigolé. C’était un rire un peu fragile, plus bancale qu’habituel. Il se releva, époussetant les grains de sable sur sa peau en gardant une certaine distance avec son compagnon. Ils pouvaient s'enfoncer un peu plus loin, des galeries peuplées de ce monde étrange se dessinaient dans le noir. Des petits bassins remplis d'eau étaient tout aussi agréable pour s'y baigner. Le lieu avait quelque chose de profondément apaisant.



notes
Mer 27 Mar 2024 - 0:33
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Gerhard Speckmann
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Opale prenait les devants avec un plaisir non dissimulé ; du moins, c'était ainsi que Gerhard choisit d'interpréter le sourire qui orna son visage pâle, que l'ombre portée de la falaise escarpée obscurait partiellement, séparant net en deux ce rictus joyeux qui étirait les lèvres du médecin.

Avec une prévenance toute particulière, ce dernier délaissa son bras. Gerhard étouffa bien vite la pointe de déception qui le traversa. Déjà habitué, visiblement, à servir de support, tant et si bien que ne plus l'être le laissait pantois. C'était pour mieux le retrouver, cependant : Opale glissa leurs paumes ensemble, un toucher d'autant plus insistant que le Nébuleux prit appui sur sa main pour mieux se hisser sur les rochers, jetant derrière des paroles qui mirent un peu de baume à son coeur.


- Je ne vous décevrais pas, Gerhard. Tenez, là-bas, vous devriez la voir, il y a une grande entaille dans la falaise.


Il avait désigné un endroit d'un signe de tête ; c'était sûrement bienheureux que Gerhard soit incapable de le quitter du regard, ou bien autrement il aurait manqué la direction que l'homme lui indiquait. Comme il l'avait dit, une entaille crevait la surface de la falaise, assez pour y creuser un trou dont, à cet angle, on ne pouvait voir le fond. Gerhard ne l'avait pas vu avant qu'Opale ne la pointe à son attention : engloutie dans l'obscurité ambiante, la grotte que devait évider l'entaille était discrète, se cachant timidement des yeux indiscrets.

Une pointe d'appréhension le traversa en remarquant le chemin qu'il leur faudrait parcourir pour y parvenir. Ses leçons avaient porté quelques fruits, mais il était bien trop tôt pour se qualifier de nageur hors pair. Il barbotait, c'était tout ; les flots qui s'ouvraient devant eux, léchant les rochers et les engloutissant parfois à quelques endroits, ne lui disaient rien qui vaille. Opale, cependant, s'était mis en marche, et Gerhard avait dit lui faire confiance : assez, en tout cas, pour savoir que le médecin ne chercherait pas à le noyer. Pas délibérément, en tout cas.


Ils progressèrent cahin-caha. Opale avançait avec une assurance gagnée par la force de l'habitude, ses pieds connaissaient visiblement le chemin par coeur et accrochaient toujours les bons rochers, les bonnes prises. Ses mains adroites pavaient la route, à s'agripper aux prises naturelles les plus sûres ; s'ils ne parlèrent pas de toute la courte l'ascension, un silence valait mille mots, et Gerhard suivait tacitement son guide jusqu'à cet endroit qu'il avait daigné digne de sa présence. Il en était... touché n'était peut-être pas le mot, et reconnaissant non plus. Un mélange des deux, sans doute ; il était difficile de réfléchir correctement quand tout votre corps était focalisé sur sa survie immédiate.

Arrivant dans le ventre mou du trajet, Opale s'exclama :


- Ah, attendez, je veux vérifier quelque chose !


Le Nébuleux trempa son pied dans la mer. Celle-ci finissait sa route dans une espèce de cuvette et cognait doucement les bords rocheux de sa prison, paresseuse maintenant, sûrement endiablée à un autre moment. Gerhard le regarda faire, le coeur battant. Ses cuisses le brûlaient, à force de les crisper à chaque fois qu'il posait le pied sur une pierre qui lui paraissait tranchante mais qui ne l'était, en fait, pas. En plissant les yeux, Gerhard parvenait à distinguer le fond sableux. Il aurait estimé que l'eau lui arrivait à la taille, mais il n'avait pas l'oeil pour ce genre de détail. Il se trompait probablement.


- Je vérifiais le niveau de la marée, expliqua Opale en se redressant. Elle est basse, donc tout va bien. C’est une chose à laquelle vous devez prendre garde, lorsqu’elle remonte, cela peut aller très vite. Si vous voulez, nous avons un très beau livre illustré sur le cycle des marées dans notre bibliothèque, sentez-vous libre de l’emprunter.


Comme en arrière-pensée, il ajouta :


- Ca, ou le reste d’ailleurs. Les livres ne me servent presque plus.


Et il s'en alla, laissant Gerhard les bras ballants face à une telle information délivrée sur un ton détaché. Il lui fallut quelques secondes pour sauter à la suite du médecin, l'esprit tournoyant follement sous son crâne.

Cela semblait logique, qu'Opale ne puisse pas lire. Si sa vision était aussi mauvaise que Gerhard pensait qu'elle l'était - il avait remarqué ses yeux vaguement laiteux, la manière dont ils se perdaient parfois dans le vide comme à la recherche d'un détail qu'ils étaient incapables de percevoir - alors la lecture était effectivement compliquée, si ce n'est impossible. Peu de livres étaient pensés pour les malvoyants, surtout les anciens que Gerhard avait vu prendre la poussière dans l'imposante bibliothèque du manoir. En avait-il quelques-uns en braille ? Sûrement, au vu de la collection démentielle qu'Opale avait accumulé... Ou peut-être pas, s'il avait rejoint Nitescence anciennement. Quel âge avait Opale ? Quel âge avait cette île ? Deux questions qui demeuraient sans réponse, quoiqu'il ait eu un indice le jour d'avant lorsqu'ils se rendaient à Lucent.

Peu importe. Opale n'arrivait plus à lire, et cela peinait Gerhard. Lire était une activité qu'il appréciait particulièrement les rares fois où il s'y était adonné. Enfant et adolescent, il avait épluché la bibliothèque de sa mère jusqu'à pouvoir citer certains romans de tête, les yeux fermés comme pour évoquer un rêve qui lui échappait. Ces pages jaunis par le temps avaient été sa seule échappatoire d'un appartement étouffant. Puis les études avaient pris le relai, et il avait perdu l'habitude de se perdre des heures durant dans un récit qui le coupait d'un monde bien réel. Cela lui manquait un peu, pour dire vrai, et Gerhard se surprit à penser comment il pourrait proposer à Opale de lire pour lui, avec tact bien évidemment.


Leur escapade prit finalement fin lorsqu'ils posèrent pied à la lisière de la grotte. Accaparé par ses réflexions, Gerhard avait parfois dépassé le médecin, qui l'avait rattrapé séance tenante ; c'était ensemble qu'ils franchissaient cette barrière naturelle. Opale se laissa glisser dans l'eau qui tapissait le sol rocheux. Gerhard le suivit sans broncher, comme il en avait pris l'habitude, et frissonna en sentant une algue lui frôler la jambe. Vivement qu'ils arrivent ; ce n'était pas qu'il n'aimait pas la mer, mais il n'aurait pas dit non à un peu de repos. La sensation de plantes près de ses chevilles manquait de le faire grimacer. Voilà bien un endroit où la végétation n'avait pas sa place. Ses chaussettes lui manquaient. Il aurait préféré de l'herbe à ces frôlements d'algues humides et visqueuses.

La lumière les abandonnait sur le pas de la porte, et bientôt Gerhard se retrouva plongé dans une semi-obscurité face à laquelle ses yeux d'humain mirent quelques secondes à s'habituer. La silhouette d'Opale était une constante devant lui : le Nébuleux progressait avec assurance, une main crevant légèrement les flots comme si saluant un vieil ami. Heureusement qu'aucun d'eux deux n'était claustrophobe : la paroi en roche se refermait sur eux comme une main prête à les saisir à tout instant.

Au milieu du bruit des gouttes perlant dans l'eau et de leurs corps en troublant la quiétude, un banc de sable surgit, son apparition presque surnaturelle. Avec un rire, Opale tournoya sur lui-même ; il fallut quelques secondes à Gerhard pour comprendre qu'il captait tous les bruits de la grotte à la fois, y joignant les siens.


Puis le médecin trébucha, poussa un cri de surprise, et manqua de s'étaler de tout son long sur le sable qu'ils venaient de gagner. Gerhard inspira sèchement, sursauta tant l'action était inattendue. Le Nébuleux avait commencé à dire quelque chose, des mots qu'il avait eu du mal à capter avec la réverbération de l'endroit, et voilà qu'il avait failli bouffer le sable ! Gerhard commença à s'approcher, soucieux de vérifier son état, mais le médecin l'arrêta net :


- Ouh-n’approchez pas !


L'urgence dans sa voix le figea sur place. Il observa l'autre s'asseoir, récolter le sang qui coulait le long de son pied avec un pouce, et le lécher avec une grimace. Il n'aurait su dire si c'était un jeu de lumière, mais le sang du Nébuleux lui paraissait noir, noir comme l'encre qu'il utilisait pour rédiger ses rapports.


- Pardonnez ma réaction, finit par dire le Nébuleux. Il faut que vous le sachiez, mais mon sang est toxique pour les humains. Même le toucher pourrait vous brûler. Des années à soigner et absorber les maux changent sa composition. Plus j’utilise mon don, plus il se putrifie. Ahah, tous les dix ans à peu près, je dois me transfuser du sang sain, au risque de m’empoisonner moi-même ! Ironique, non ? Mon corps est vraiment décidé à ne pas me laisser perdurer.


Il avait une main sur la poitrine et les yeux mi-clos, ces derniers mots prononcés avec une ironie mordante qui donnait envie à Gerhard de l'approcher malgré ses avertissements. Ca n'aurait pas été judicieux, et sûrement qu'Opale l'aurait rabroué pour son manque de prudence, mais Gerhard peinait à employer ses mots correctement et voulait le rassurer, de n'importe quelle façon possible. Son propre être le lâchait parfois, au pire moment, mais jamais n'avait-il activement essayé de l'achever. Le don d'Opale était une bénédiction pour les autres, mais un malheur pour lui, et Gerhard ne comprenait pas comment il lui restait encore une once de compassion pour le monde quand ce dernier le poussait vers une lente agonie.


- Il y a beaucoup de choses que je devrais vous dire, sur moi, sur mon espèce. Mais c’est sans doute le détail le plus… Enfin, j’espère que vous n’êtes pas trop dégouté.


C'était trop. Faisant fi de sa mise en garde, Gerhard le rejoignit alors que le Nébuleux achevait de se relever, ses mains encore tremblantes chassant les grains de sable qui devaient lui coller au corps. Il se moquait, en cet instant, du peu d'habits que portait le médecin, du danger qu'il représentait pour sa personne : il y avait quelque chose dans ce rire qui lui était insupportable, et si les mots lui manquaient, les gestes devraient les compléter.


- Je n'ai pas peur de vous, dit Gerhard avec conviction, tentant de capter ses yeux dans l'obscurité de la cavité. Il ne regardait pas où il mettait les pieds, il se fichait éperdumment de se brûler sur le sang de celui qui soutenait, en cet instant, tous les maux du monde ; ils en étaient coupés, il n'y avait qu'eux et la mer, et une peau, cela cicatrisait, devenait plus forte. Les émotions, les sentiments, eux, se fracturaient d'autant plus aisément qu'ils ne se remettaient jamais vraiment. Je n'ai pas peur de vous, et je me fiche de la couleur de votre sang. Ce qui importe, c'est que vous alliez bien. Il se permit là de jeter un regard appuyé à la cheville précédemment éraflée d'Opale ; mais la plaie était à peine perceptible, le sang ne coulant déjà plus et se mettant à son travail, à coaguler cette blessure comme si s'excusant d'en causer d'autres au médecin.


Se rendant soudainement compte de leur proximité, Gerhard fit quelques pas en arrière, balbutiant une excuse en allemand qui fut sûrement étouffée par l'eau gouttant des stalactites. Ses vêtements mouillés émettaient le bruit d'une grenouille au bord de la noyade. Il se sentait ridicule. Dans un soudain accès de courage - une part de son inconscient décidant, sans doute, que la situation ne pouvait pas être "pire", quoique tout soit relatif - il défit le bouton de son pantalon. Ce dernier tomba à ses chevilles, n'ayant guère besoin de davantage pour abandonner ses hanches étroites. Ignorant ses instincts qui lui hurlaient des invectives à bout de bras, Gerhard se pencha pour le ramasser et le fourra en boule sous son bras.
Ca ira, se disait-il. Il faisait sombre. Bien assez, en tout cas, pour cacher la maigreur quasiment maladive de ses cuisses, les muscles rendus noueux par le temps et pas par l'exercice.


- Enfin bref, dit-il. Par là ?


Il n'attendit pas la réponse, prenant la direction d'un des nombreux couloirs rochers qui creusaient de multiples chemins aux destinations inconnus. Pourquoi celui-ci en particulier ? Il l'ignorait, mais si jamais il en avait pris un mauvais, Opale l'aurait arrêté aussi sec. Le Nébuleux, après quelques secondes, le suivit. Gerhard entendait ses pas frapper le sable fin. Enfin, un peu d'initiative de sa part ! Même si c'était dans une cave sombre.

Cette dernière serpentait sans discontinuer, à moins que ce ne soient les ténèbres qui dérèglaient son horloge interne. Elles calmaient en tout cas son coeur battant, ne le réduisant qu'à un murmure que Gerhard sentait à peine souffler dans sa poitrine. Tout dans cet endroit appelait à l'introspection et au calme ; isolés du monde extérieur, nul bruit ne leur parvenait de ce dernier, à moins que ses oreilles d'homme ne soient tout simplement pas assez sensibles pour les percevoir. C'était, pour lui, une bénédiction : pouvoir échapper au tumulte de l'île le détendait plus que n'importe quelle balade ou leçon de nage, quoique ces dernières avaient déjà bien amorcé le travail.


- Merci de partager tout ça avec moi. La plage, la grotte et... tout le reste.


Sa voix crevait le silence de manière peu appropriée, mais s'il devait dire ça en faisant face à Opale, Gerhard se trouverait incapable d'aligner trois mots sans en remettre un seul en question. Avec le médecin dans son dos et l'inconnu devant lui, Gerhard pouvait s'imaginer parler seul, et aligner les platitudes sans discontinuer.


- J'ai...


Il voulait trouver un moyen de faire comprendre à Opale que, sous un certain angle, il compatissait. Leurs vies étaient bien différentes, tout autant que le destin qui les attendait, mais Gerhard avait déjà entendu ces petits rires dépréciatifs que le médecin avait parfois, pour les avoir lui-même sorti de sa bouche. Comment expliquer tout cela sans passer pour un rustre ? Pour ne pas lui faire croire qu'il tirait sur lui l'attention ? C'était sûrement impossible ; ou bien il se posait trop de questions, tout simplement. Mais à confession, confession égale ; Gerhard ne voulait pas quitter ce havre de paix en donnant à Opale l'impression qu'il était insaisissable.


- Je ne sais pas... cohabiter... vivre avec les autres. Ma mère, et il lâcha ce mot avec autant d'amour et de rancune qu'il contenait en lui, m'a toujours gardé à l'abri des autres. Elle avait peur, tout le temps, alors je me suis mis à avoir peur. Du monde, et d'elle.


Son inspiration tremblante se réverba tout le long du couloir rocheux qu'il suivait du bout des doigts.


- Je suis parti étudier, et tout le monde me paraissait si... étranger. Comme s'ils parlaient une langue dont je ne comprenais que trois mots. J'ai dû apprendre les gens, et je suis devenu psychologue grâce à ça, mais en dehors du travail, les gens et moi, ça fait... Il souffla. Pas deux, mais bien six milliards : autant de Nébuleux et d'Humains qu'il y avait sur Terre, et lui seul contre tous. Ma mère est morte, confia-t-il, il y a trois mois maintenant. Sûrement. Nous nous sommes disputés au téléphone, et elle est morte peu de temps après. Gerhard haussa les épaules. Vous n'êtes pas le seul à être empoisonné. C'est juste que le mien se déclare quand je ne suis plus là pour observer les dégâts.


La serpentine s'élargit, devint caverne. Un bassin d'eau - douce ou salée ? Ils s'étaient tant enfoncés dans la terre qu'il était incapable de le deviner - les attendait, sans un courant pour troubler sa surface translucide. La roche accueillit ses derniers mots ; ils ricochèrent entre les parois - le plafond rocheux se perdait dans l'obscurité, tapi dans l'ombre - , sautant à la manière de farfadets décidés à le hanter indéfiniment. Gerhard leva les mains, les plaqua sur ses oreilles quelques secondes. La vérité, une fois énoncée au monde, était difficile à accepter, et il la reniait quand bien même il était celui qui l'avait invoqué au présent. Une fois certain que la quiétude était revenue, il chassa les quelques cheveux humides qui frôlaient ses oreilles et inspira profondément. Son coeur battait tranquillement dans sa poitrine. Oui, cet endroit était vraiment apaisant, et la surface ne lui manquait pas du tout. Il était à deux doigts de suggérer à Opale, à moitié ironiquement, de déménager ici : personne pour les déranger, personne à soigner, la paix perpétuelle ; en bref, la vie rêvée.
Ven 29 Mar 2024 - 22:44
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Opale Caladrius
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Une brève grimace fendit le visage d’Opale en essuyant quelques grains de sable qui collaient au sang noir et épais. Il s’était relevé, mais penché sur sa jambe, effleurant du bout des doigts la plaie pour voir si ça coulait toujours. Le caladre n’avait pas relevé un instant le visage en direction de Gerhard, de toute manière incapable de le distinguer dans la pénombre. C’est surement à cause de ça qu’il ne le remarqua pas. L’homme s’était approché, de quelques pas lents dans le froissement des tissus encore humide et le léger souffle qui accompagna son mouvement. Opale releva la tête, écarquillant les yeux. Sa respiration se coupa dans sa gorge en le sentant si proche.

Je n’ai pas peur de vous.

La voix était étonnamment claire et Opale ramena sa main contre sa poitrine, serrant le poing avec un très léger mouvement de recul. Son cœur était battant et il crut comprendre que son regard cherchait le sien.

-Geh…

Les mots se bloquèrent dans sa gorge, car son colocataire insista avec une fermeté dont il n’avait pourtant pas fait preuve jusqu’à présent. Ses orteils s’enfoncèrent dans le sable, crispés et il détourna la tête. Ses autres doigts ramenèrent une mèche humide derrière son oreille, un frisson le traversait. Ce qui était important… ? Vraiment ? Allons, habituellement, c’était au médecin de prendre soin des autres, pas l’inverse. Opale n’avait définitivement pas l’habitude qu’on se préoccupe à ce point de lui. Alors oui, peut-être que cela lui faisait quelque chose, que cet homme qui paraissait pourtant si frêle et si hostile se soucie de son bien-être. Était-ce son imagination, ou Gerhard paraissait encore plus grand dans l’obscurité ? Il était vraiment proche, c’était surement pour cela qu’il le remarquait autant.

Cette soudaine proximité lui laissait un sentiment étrange et trainant, une pointe de curiosité et de crainte qui mélangées, formaient un terrain fertile pour les questions qui fusaient dans la tête du médecin. Il avait soudainement envie d’en savoir un peu plus. Car par ces simples mots, Gerhard en disait déjà beaucoup sur lui-même. Le nébuleux inclina la tête et fit un pas, mais au même instant Gerhard recula précipitamment en balbutiant quelque chose. Le médecin cilla, l’entendit se dépêtrer avec ce qu’il devina être ses vêtements, aux froissements humides. La situation commençait à prendre une tournure pour le moins intéressante.

Et pour la première fois depuis son arrivée, Gerhard s’avança devant lui et prit les devants. Surpris, Opale le laissa faire, hochant simplement la tête à sa question. Son colocataire avançait avec une volonté soudaine. Est-ce que c’était l’obscurité qui lui donnait ces élans ? L’idée le fit sourire. Finalement, ils devaient se ressembler un peu, Opale aussi était toujours plus à l’aise la nuit. Le caladre avait beau être soulagé de ne pas le sentir plus méfiant ou réticent après la petite révélation concernant ses douces caractéristiques, il se demandait bien où ils allaient.  Opale espérait qu’ils ne s’enfonceraient pas trop profondément dans les galeries. Il s’était déjà perdu et ils ne pourraient pas compter sur ses yeux. Au bruit de la mer, peut-être… ? Perdu dans ses pensées, il sursauta en entendant Gerhard briser le silence.

Décidemment, cette escapade allait de surprise en surprise. Opale s’apprêta à répondre mais le psychologue poursuivit et ses lèvres se pincèrent, laissant le loisir du silence à ses quelques paroles. Le nébuleux écouta sa tirade en silence, plissant les yeux à la mention de sa mère, de la peur. Peur qu’elle possédât, bien ternie au fond d’elle, où qu’elle avait transmise a Gerhard. Sa main rejoignit son ventre, serrant les doigts contre la peau nue et fragile. Les études, l’apprentissage, le travail, les gens et… Sa mère. De nouveau. Elle semblait revenir, toujours plus présente. Opale tressaillit à la mention de sa mort, baissant les yeux. Trois mois, c’était peu. Instinctivement, le médecin avait levé une main pour la poser dans le dos de Gerhard, mais son geste s’interrompit.

Que… ? Pourquoi ? Il serra ses ongles contre sa paume qui retomba le long de son corps. C’était le caladre qui frappait encore. Tout pour absorber, même un peu, la douleur. Celle gorgée dans le corps, qui s’accumule et transperce toutes les failles. Il aurait utilisé son pouvoir sans s’en rendre compte, s’ils ne s’étaient pas arrêtés en entrant dans une cavité plus élargie.

La douleur ? Était-ce vraiment le cas ? Il y avait du regret. De l’amertume. De la colère. Du… Soulagement… ? Opale inspira. Il devait cesser, d’essayer de toujours lire, déchiffrer ce qu’il percevait, même si c’était tout ce qui lui restait. Les mots de Gerhard devaient lui suffire. Ils étaient assez durs pour comprendre que c’était un sujet délicat, qui lui tenait à cœur. Le nébuleux sursauta en entendant la voix de son colocataire se répercuter partout et s’avança de quelques pas surpris, lui rentrant à moitié dedans.

-Ah- désolé.

Murmura-t-il, ne se détachant pas pour autant. Il connaissait mal l’endroit et sans ses repères habituels, sa confiance fondait comme neige au soleil. Opale se retrouvait contre ce qu’il devinait être le dos de Gerhard. Encore mouillé mais déjà si chaud, si vivant. Frissonnant, le nébuleux resta quelques instants comme ça, à moitié collé contre lui et sa peau. Il n’osait pas venir à ses côtés, après tout ce qu’il lui avait révélé, il était bien comme ça.

-Je… Je suis désolé. Pour votre mère.

Des mots si banals qu’ils en étaient douloureux. Sans vraiment de sens, puisqu’à quoi bon. On n’est jamais vraiment « désolé » de la mort de quelqu’un qu’on ne connait pas. On est désolé pour la personne, celle qu’on connait, celle qui subit. Mais Opale ne connaissait pas si bien Gerhard. Pourtant, c’était idiot, mais à cause de son don et aussi proche de lui, il entrait toujours en résonnance avec les émotions, celles qui émanent sans cesse. Parce que lui et la mort avaient un rapport tout particulier.
-On choisi toujours, de s’enfermer.
Dit-il tout doucement, d’une voix très douce mais à la fois lointaine.

-Ma mère est morte, elle aussi. Et je crois que je… Comprends. Vos mots. C’était il y a bien longtemps, je ne me souviens pas très bien. Seulement de la dureté de ses mots. Elle disait que c’était ainsi, que j’étais né pour servir, que résister c’était souffrir. « Abandonne, Opale » me répétait-elle. Elle m’avait bien cerné, dès le début. Elle voulait mon bien, mais c'était étouffant.

Opale souffla du nez, se détachant légèrement.

-Elle n’avait pas tort mais… Regardez. C’est cette résistance, cette force qui m’a amené jusqu’ici et qui fait que je me tiens là, à vos côtés.

Sa main s’éleva dans l’air et il la passa dans les cheveux froids de Gerhard.

-Vous l’avez aussi. En vous. N’en doutez pas, Gerhard. Sinon, vous ne seriez pas sur Nitescence.

Le médecin recula de quelques pas, le contournant en distinguant le bassin. Des mots rares pour lui, pour un humain. Il n’avait sans doute jamais dit quelque chose d’aussi sincère à l’un d’entre eux. Une percée quelques mètres plus haut produisait un puit de lumière au-dessus de l’eau, reflétant les remous provoqués par les gouttes des stalactites. Les perles quittaient le plafond en un rythme presque harmonieux. Prudemment, Opale effleura la roche polie et glacée, il s’accroupit avant de s’asseoir au bord du bassin, y enfonçant les jambes, puis la taille. « Brrr ! » s’exclama-t-il en se secouant, tentant de laisser s’écouler la tension qui le crispait encore. Sa cheville le brûla quelques instants, mais il était soulagé d’enfin laisser filer ce sang. Dilué ainsi, il n’était plus dangereux.

-Dites-moi… Peut-être que je me trompe mais, vous n’êtes pas venu sur Nitescence seulement pour votre deuil, n’est-ce pas ? Ah, pardonnez-moi, c’est une impression que j’ai, mais vous n’êtes pas obligé de répondre… C’est seulement que… Si je peux vous aider.

La question était peut-être trop frontale, mais c’était une simple curiosité. Et puisqu’ils en étaient venus à parler famille, Opale décida d’en profiter. Il ramena ses cheveux dans son dos, les mèches en torsades collaient à sa peau, se tournant d’un même geste pour tenter de distinguer sa silhouette. La peau presque à nue, il le voyait un peu mieux, ce corps fin et cette carne pâle


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Ven 5 Avr 2024 - 0:32
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Gerhard Speckmann
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Il commençait à regretter de s'être livré ainsi. C'était un peu pathétique, quand on y pensait : ils se connaissaient depuis, quoi ? Deux semaines tout au plus ? Et déjà Gerhard déversait ce qu'il avait sur le coeur, ses doutes et ses peurs qui hantaient son esprit depuis la mort de sa mère.

Elle n'avait pas été si vieille. Aujourd'hui, on vivait longtemps, pour un humain en tout cas. Elle l'avait eu jeune, et Gerhard ne l'avait pas vu vieillir, pour lui sa peau était restée douce, vierge de toute ride qui aurait atteint ce visage délicat dont il n'avait pas hérité. Il n'avait rien d'elle : cheveux blonds, petite taille, visage rond, yeux bleus, tous ses traits physiques avaient été perdus en une seule génération, et Gerhard savait que cette lignée s'éteindrait avec lui. Avait-il été, pour elle, le rappel d'un homme qui l'avait quitté alors qu'elle était au plus bas ? Ces questions l'avaient taraudé, il n'avait jamais osé les poser ; après son départ de l'appartement familial, il n'avait plus eu l'occasion, la conversation trop lourde pour être eu par téléphone, et l'air trop vicié entre eux, plein de ces non-dits et de ces mots qu'ils s'étaient jetés à la figure et qu'ils ne pouvaient reprendre.

Et maintenant, elle était morte, et si les années précédentes Gerhard avait eu un semblant de paix avec lui-même, les questions revenaient au galop, entêtantes et envahissantes. C'était pour avoir des réponses, une piste, n'importe quoi, qu'il était venu à Nitescence. Pas pour inonder le médecin local de ses problèmes personnels. C'était lui, le psychologue, quoiqu'en dise son emploi du temps aussi vide qu'une rue mal famée dans les heures les plus sombres de la nuit. Pas Opale. Il ne pouvait pas mettre tout sur ses épaules ainsi. C'était injuste.

Mais diable, qu'il en avait envie, et quand bien même Gerhard voulait s'excuser de lui avoir confié des paroles aussi personnelles, de l'avoir mêlé, de loin, à des histoires qui ne le concernaient pas... Une autre partie de lui-même, plus égoïste, ne parvenait pas à le regretter. Pas totalement.


Un poids soudain l'attrapant dans le dos manqua de le déstabiliser. L'air s'échappa de ses poumons, chassé par la fraîcheur qui devenait peu à peu familière, et qui s'accrochait à sa colonne vertébrale.


- Ah- désolé.


Il s'excusait... pour quoi ? C'était lui qui aurait dû se confondre en excuses, mais les mots restaient coincés dans sa gorge, pensés mais pas prononcés, comme si une main les retenait dans sa bouche. Opale était une présence tangible de son dos, sa voix se répercutait dans la grotte parmi les myriades de goutelettes qui perlaient des parois et des stalactites rocheuses. Une bien belle symphonie, et tout à coup Gerhard crut sentir comme un début de larme, quelque chose qui lui montait aux yeux mais qui ne s'échappait pas, jamais.


- Je… Je suis désolé. Pour votre mère.


Pourquoi était-il désolé ? Oui, c'était courant de dire qu'on était désolé quand quelqu'un mourait, une politesse offerte à ceux qui restaient derrière et qui devaient vivre avec cette perte. Comme pour dire, "désolé que tu doives porter ce fardeau", ou "désolé que ça te soit arrivé". Opale était poli, attentif à respecter ces coutumes humaines - l'était-ce, de base ? Il l'ignorait. Il faudrait qu'il lui demande - et Gerhard ne savait pas quoi en dire.

Il n'était pas certain d'être désolé. C'était sûrement pire. Sa vie avait été plongée dans une torpeur, un quotidien sans histoire dont il s'était satisfait, certain de ne pas être capable d'obtenir davantage. Pour les autres c'était peu, mais pour lui c'était ô combien conséquent : apprendre à vivre de nouveau, savoir qu'il en était capable, ces petites choses l'avaient un temps comblé, si pas de bonheur alors de félicité. Comme un petit enfant satisfait d'avoir su accomplir quelque chose. Ou un idiot ; la frontière était parfois fine.

Le départ de sa mère l'avait lancé sur une voie qu'il avait été heureux de laisser de côté. Il s'engageait dans la tourmente, et entre deux tempêtes il y avait ces petits moments, ce calme guttural qui promettait qu'après les épreuves, viendrait des vents plus auspicieux. Gerhard regretterait toute sa vie, sa mère, la porterait comme tout enfant porte le fardeau de celle qui l'a mis au monde ; mais déjà, elle n'était plus qu'une vague pensée, à peine un souffle. Il était sûrement heureux que Nitescence soit sans cesse balayée par les vents : ici, sa mère y était tout à sa place.


- On choisit toujours de s’enfermer, dit Opale doucement, et dans sa voix Gerhard comprenait qu'il n'était plus vraiment là, pas totalement ; il remontait le temps, rappelait à sa mémoire quelque souvenir que les mots de Gerhard avaient dû invoquer. Ma mère est morte, elle aussi. Et je crois que je… Comprends. Vos mots. C’était il y a bien longtemps, je ne me souviens pas très bien. Seulement de la dureté de ses mots. Elle disait que c’était ainsi, que j’étais né pour servir, que résister c’était souffrir. « Abandonne, Opale » me répétait-elle. Elle m’avait bien cerné, dès le début. Elle voulait mon bien, mais c'était étouffant.


Dans un autre moment, avec quelqu'un d'autre, Gerhard aurait sûrement plaisanté. Il aurait puisé en lui les quelques restes d'un sens de l'humour qu'il avait construit auprès d'étudiants en médecine shootés au café - pas des êtres très normaux, dont - et aurait demandé à Opale s'ils avaient la même mère. Sur certains points, les deux femmes se ressemblaient, et sans doute se seraient-elles bien entendues.
La douleur contenue dans les mots du médecin le retint. Lui aussi devait vivre avec un fardeau, d'autant plus lourd que sa mère à lui avait une voix que Gerhard devinait dure, dure et implacable. C'était une chose de se battre contre un fantôme passif, mais quand l'un des seuls souvenirs que vous aviez de votre génitrice était elle vous sommant d'abandonner, ce devait être... particulièrement douloureux.


- Elle n’avait pas tort mais… Regardez. C’est cette résistance, cette force qui m’a amené jusqu’ici et qui fait que je me tiens là, à vos côtés.


Sa main froide passa dans ses cheveux. Gerhard sentit ses doigts accrocher les minuscules noeuds, son crâne irrité par le sel de la mer, et frissonna. Cela lui rappelait les moments où sa mère faisait de même, avant qu'il ne grandisse et ne se mette à ressembler à son père.


- Vous l’avez aussi. En vous. N’en doutez pas, Gerhard. Sinon, vous ne seriez pas sur Nitescence.


Opale recula sur ses mots. Le vide qu'il laissa derrière lui était plus froid que n'importe quoi d'autre, plus froid que sa peau même, mais Gerhard ne pouvait pas lui demander de rester, ce n'était pas décent. Il avait vécu vingt ans sans qu'on ose le toucher, au-delà des nuits qu'il partageait avec des hommes dont le visage se confondaient avec les ténèbres ; pourquoi réclamait-il autant, désormais ? Il ne se connaissait pas aussi revendicateur. Il fallait qu'il se reprenne.


Le médecin était parti inspecter le bassin, laissant flotter ses encouragements sans se soucier davantage de comment ils seraient pris. Gerhard l'observa - il pouvait l'observer, la lumière se diversait au milieu de l'eau en une cascade particulièrement attirante, et une partie de lui-même se demandait s'il s'agissait d'un piège, du moins autrefois - s'asseoir au bord de l'eau, s'y laisser glisser doucement. Une protestation franchit ses lèvres, se répercuta sur les parois en pierre ; la fraîcheur n'était pas assez, cependant, pour l'empêcher de poursuivre sa route jusqu'à être immergé jusqu'à la taille. La plaie sur sa cheville et le danger qu'elle représentait étaient oubliées, le médecin satisfait de se laisser porter par un courant inexistant qui le menait jusqu'au centre du bassin, là où la lumière frappait et se reflétait en une myriade d'éclats multicolores.

Gerhard s'approcha et trempa prudemment un orteil. Il blêmit en sentant la fraîcheur s'infiltrer dans son corps par ce simple point de contact et s'ôta précipitamment ; manquant, dans la rapidité de ses gestes, de glisser sur la roche polie par le temps et les éléments.

Une chute lui avait suffit, aussi préféra-t-il s'asseoir. Il hésita à garder ses jambes pour lui, mais les remous qu'Opale semait dans son sillage avaient attiré son regard, et avec eux sa curiosité : prudemment, il étendit de nouveau ses jambes, laissa reposer la plante de ses pieds dans l'eau froide jusqu'à être certain qu'il n'en mourrait pas. Alors seulement il se permit de les immerger complètement, avec ses seuls orteils dépassant de la surface.


- Dites-moi… Peut-être que je me trompe mais, vous n’êtes pas venu sur Nitescence seulement pour votre deuil, n’est-ce pas ? Ah, pardonnez-moi, c’est une impression que j’ai, mais vous n’êtes pas obligé de répondre… C’est seulement que… Si je peux vous aider.


La pierre décrivait une pente douce jusqu'à se stabiliser au milieu du bassin, où Opale pataugeait allègrement en lui présentant son dos marqué. Gerhard discernait les lignes jadis creusées dans la chair et guère davantage, ces cruelles blessures masquées par les mèches blanchâtres qui maculaient la nuque et le dos du médecin.

Il regarda ses pieds, la descente juste en dessous, comme une invitation réclamant sa présence dans ce bassin froid ; mais ç'aurait été interrompre la quiétude du moment, alors qu'Opale profitait enfin de cette après-midi. Plus d'adulte auquel il devait s'accrocher pour l'empêcher de dériver dans le lointain, plus de leçon de nage. Gerhard ne voulait pas lui enlever ce plaisir, et encore moins rediriger la conversation sur lui-même alors qu'Opale avait enfin esquissé le portrait de son propre passé, à peine quelques traits mais déjà bien assez.

C'était le Nébuleux qui réclamait, cependant, et si Gerhard rechignait de faire de son histoire celle du jour - et dont la gravité devait pâlir en comparaison à celle de son colocataire - il n'allait décemment pas refuser de répondre à une interrogation du médecin. Il verrait sûrement ça comme un signe de se taire, de ne pas insister, et le sujet ne reviendrait jamais sur le tapis, enterré pour toujours. Gerhard vivait avec assez de regrets et de non-dits : s'il pouvait les éviter, il lui faudrait passer outre son inconfort et saisir ses chances en plein vol.


- Vous avez raison, avoua-t-il à demi-mots, le regard baissé sur la surface calme du bassin, prenant bien garde à éviter le corps d'Opale de peur de passer pour un voyeur. C'est sa mort qui m'a poussé à... agir, pour ainsi dire, mais...


Il déglutit et ramena ses pieds à lui, plaquant ses cuisses contre son torse. Il devait avoir l'air... ridicule, un adulte qui se prétendait tonneau immobile mais parlant. Il frissonnait - de froid ? de ce qu'il avouait ? - et se rabougrit davantage sur lui-même, jusqu'à en avoir mal aux articulations.


- Je cherche mon père. Ou un semblant de père, je ne sais pas, je ne l'ai jamais connu. Ma mère est morte et j'ai retrouvé dans ses affaires ces vieilles lettres, d'elle et de lui... Il avait sauté quelques étapes, réalisait-il, et expliqua promptement : Je ne l'ai jamais connu. Je ne sais même pas à quoi il ressemble. Elle n'avait aucune photo pour me le montrer, et aucun mot pour me le décrire. Juste des regards qu'elle me lançait parfois, qui voulaient tout dire.


L'inanimité, tout à coup, lui était insupportable. Il se releva, se frotta les cuisses pour y ramener un peu de sang, et entreprit de faire les quatre cent pas dans l'obscurité de la caverne. Opale ne devait voir qu'une ombre aller et venir, mais entendre ? Oh, ses pieds battaient une cadence furieuse, un tel sentiment réveillé par l'indignation de sa situation. De temps à autres, cela le prenait : que sa mère lui ait refusé son héritage le frustrait au plus haut point ; non, plus, il lui en voulait, avec la culpabilité qui venait d'en vouloir à quelqu'un qui était mort.


- Je ne sais pas qui est cet homme qui lui a adressé ces mots. Si c'est un humain ou un Nébuleux. Il renifla et se corrigea : Enfin, c'est mon père, donc c'est un humain. L'autre option est impossible. De toute façon, l'information ne sert à rien, je sais que c'est mon père. Je ne lui connais pas d'autre homme. Et si ce n'est pas lui, alors peut-être qu'il pourra m'aiguiller sur la piste à suivre... Peut-être.


Il souffla ; le bruit se répercuta dans toute la caverne, pendant un temps il fit partie du paysage, accompagnant le concerto de gouttes qui donnaient la mesure sans tarir.


- Enfin, c'est une quête un peu utopique, concéda-t-il finalement. Je n'ai même pas son nom complet, juste ses initiales. Mon seul espoir, c'est de croiser un humain un peu vieux qui parle allemand. Peut-être que je devrais me promener dans Lucent en poussant la chansonnette, ironisa-t-il.


C'était une idée comme une autre. S'il tombait à court, il se laisserait peut-être tenter. Pas certain que les habitants de Lucent apprécient le concerto, cependant, et que lui aime davantage se donner en spectacle.
Enoncer ainsi les possibilités lui rappelait désespérément qu'il n'avait pas l'ombre d'un plan, seulement une supposition qui l'avait conduit sur cette île. Il regarda en direction d'Opale pour se rappeler que du bon était sorti de cette expérience, mais quoi d'autre ? Le chemin, il le sentait, allait être long, et si tout cela aboutissait sur rien, alors... Alors il ne savait pas ce qu'il ferait. Comment il accuserait l'échec. Il ne voulait pas y penser maintenant. C'était un problème pour le Gerhard des jours prochains... comme bien d'autres qui lui tombaient au coin de la gueule.
Dim 7 Avr 2024 - 14:56
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Opale Caladrius
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Children of the storm

Foam in their veins, ashes in their mouth

Feat Gerhard




Le deuil de Gerhard l’avait bel et bien traversé, quelques infimes secondes. Mais Opale était comme les roches millénaires de cette grotte aux parois obscurs. Les gouttelettes tombaient, glissaient sur lui, lissaient son être, l’érodait lentement. Peut-être était-ce aussi ce qui l’avait poussé à quitter l’étreinte qu’il offrait à cet humain, collant son visage à sa peau froide et humide, à ses os pointus qui perlaient sous son épiderme. Il avait craint de trop ressentir.

Car lui, le deuil, il ne l’avait jamais réellement vécu. Oui, sa mère était morte. Son père aussi. Tout ce qu’il avait connu s’était retrouvé être un infime monticule de poussière éparpillé dans l’univers. Mais il en était de même de tout ceux qu’il avait tenté de soigner. Il ne ressentait pas la mort de la même manière que les humains. Le cycle s’éparpillait en lui, comme un milliard d’atomes. Cela lui rappelait cette question qu’un poète lui avait posé, alors qu’il trainait encore dans les cercles baudelairiens du XIXe.

Qu’y a-t-il après la mort, Opale ?
Je parle pour moi ? Pas pour les autres ?


Un grand problème, le mot « moi ». Moi. Mon moi. Son moi. Non, non, ce n’est pas le bon mot, il a quelque chose d’injuste. Quand oublie-t-on qu’il n’y a pas de « moi ». Médicalement parlant, de sa vision parfaitement éloignée du cœur, le corps s’arrête, cellule après cellule, seul le cerveau continue d’alimenter les neurones. Des artifices, des éclairs à l’intérieur de l’être éclatent, se dispersent. Peur ? Désespoir ? Tous ces sentiments s’abandonnent. Il n’y a rien, car le cerveau est trop occupé à se souvenir. Chaque petit atome du corps est formé dans une étoile, si blanche. La matière du corps est, surtout et toujours, un espace vide. Une énergie qui vibre. Il n’y a pas de « moi ». Et il n’y en a jamais eu.

Les électrons du sol s’entremêlent dans une danse infernale et tendre, se lient avec ceux du sol, de l’air qui n’entrera plus dans les poumons. Il n’y a plus aucune limite. Où ça finit ? Ou ça commence ? Être énergie, non mémoire, pas un nom, ni une personnalité, on est avant eux, avant tout, le reste sera simplement des rêveries fugaces imprimées sur le tissu d’un cerveau qui se meurt. Une goutte d’eau, tombée sur la roche. Une goutte d’eau qui retombe dans l’océan dont elle a toujours fait partie. Tout, absolument tout, lui, sa mère, son père, ses amants, ses amis, la mer, le ciel et les étoiles, tout. C’est de cela dont Opale parle, quand il pense « dieu ».

Son éducation religieuse a su trouver sa place à l’instant où il a ressenti la mort le transpercer au premier être qu’il n’a pas su soigner. Depuis, peut-être, tout n’a paru être qu’un rêve pour lui, un rêve qui retourne à lui-même. On finit par toujours oublier ses rêves.

La vie, comme un rêve, comme un vœu. Mais lui, le vœu qui a été fait, n’était pas pour lui-même. Il s’est toujours senti brisé, tiraillé, car il était un vœu fait pour les autres. Alors, oui. Il ne ressentait pas la mort de la même façon que tout le monde. Elle ne lui faisait pas moins peur, mais quelque part, cela lui permettait de ne pas trop en vouloir. Aux autres et à lui-même.

Opale se retourna en sentant les yeux de Gerhard bercer ses épaules. Pas qu’il ne puisse réellement voir son regard, mais depuis le temps, il avait appris à les sentir. Ses doigts s’agrippèrent à ses propres épaules dans un frisson et il fixa la silhouette dispersée loin des rayons de lumière. Il la devinait recroquevillée sur elle-même et le médecin espérait ne pas le braquer, alors qu’il s’ouvrait enfin. Un « semblant » de père. Voilà des termes curieux, qui prirent sens en entendant la suite. Comme il était difficile, de ne pas connaître les traits de celui qui nous avait donné vie. Enfin, il supposait. Si Opale avait parlé de sa mère en des termes qui auraient pu laisser transparaître de l’affection, en réalité il n’en avait pas tant souffert. C’était propre à son espèce, tout comme les oiseaux élevés au plus vite et jetés dans le vide, capable ou non d’étendre leurs ailes. Il y avait peu de place pour la tendresse, mais ce n’était pas une souffrance. Il avait trouvé l’amour autre part, dans d’autres destins.

« Peut-être » cristallisait tout le doute et la douleur qui accompagnait la révélation. Ce peut-être qui avait su le guider jusqu’ici, la moindre conviction sur laquelle il fallait, sans peur ni précaution, se raccrocher. Opale nagea, se rapprochant de Gerhard. Arrivé à sa hauteur, il laissa ses doigts parcourir les pierres aux algues glissantes, s’y tenant pour s’accouder au bord du bassin. Sa tête s’inclina doucement contre son avant-bras et il dit doucement

-Voilà une aventure précieuse et qui vient du cœur.

Il sourit, ramenant une mèche trempée derrière son oreille pour qu’elle cesse de lui chatouiller la tempe.

-Vous semblez croire que vous manquez de courage, mais tout délaisser et partir à la recherche de son identité c’est un acte brave. Je vous admire.

Frissonnant, il décida de s’extirper de l’eau, ramenant ses cuisses sur le bord en s’y hissant, l’eau dégoulinant le long de son corps jusque sur la pierre en léger fracas.

-Si vous l’acceptez, je peux vous y aider. Voilà un demi-siècle que je suis ici alors… Même si je ne suis pas parvenu à creuser les moindres secrets de Nitescence, il y a des choses que mon poste me permet.

Et il songeait aux archives. Car c’est bien là que les réponses pouvaient se trouver. Le problème étant qu’il ne pouvait y aller seul, avec sa vue décadente cela risquerait d’être difficile de trouver des réponses. Mais si Gerhard l’accompagnait… C’était une quête innocente et sincère, après tout. Qui pourrait y voir un inconvénient ?

Il invita Gerhard à se relever, s’accrochant de nouveau à lui pour éviter de glisser, trempé comme il était. Le cœur pleins de questions et désireux d’y répondre, ils quittèrent la grotte et ses secrets. Le seul endroit ou personne ne pouvait les atteindre, ni les entendre. Opale venait de partager et d’ouvrir un peu plus son cœur à cet humain. Montrer ses lieux secrets, c’était comme s’offrir sur un plateau. Un léger doute planait en lui, alors qu’ils parcouraient la plage pour revenir au manoir. Avait-il bien fait de se dévoiler aussi facilement… ?


notes
Dim 21 Avr 2024 - 15:11
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