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Quand on arrive en ville [Feat Gerhard] [Terminé] :: Archives :: Bibliothèque des anciens RP :: Présent
Opale Caladrius
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Opale Caladrius

Quand on arrive en ville !

Tout le monde change de trottoir

Feat Gerhard



Fantôme solitaire trainant dans les couloirs sous les premières lueurs matinales. Opale bailla, peut-être bruyamment, encore enveloppé dans sa couverture, vêtu d'un pyjama aussi blanc que lui. Ses cheveux bouclés étaient emmêlés sur sa tête et des cernes coulaient sous ses yeux opalins. Il avait mal dormi, comme toutes les nuits en réalité, celle-là n'avait pas été bien différente. Alors après quelques heures somnolentes, il lui fallait toujours un moment d'éveil. Instant où il n'était ni des plus conciliants, ni agréable. Il délaissa sa couette pour se diriger vers la porte de la salle de bain, ses pas légers craquant sur le vieux parquet. 

L'eau chaude coula un moment et il en sortit, chignon négligé au dessus de sa tête, sa chemise ouverte et son pantalon encore débraillé. Pieds nus, car il en était souvent ainsi, il descendit dans le salon en chantonnant pour suivre son trajet habituel jusqu'à la cuisine. Une tasse, de l'eau, un thé mérité et il attendit que l'eau bouillonne sur la gazinière. Ses deux mains s'étaient posées sur le rebord de sa fenêtre, observant au travers des carreaux colorés. Il cilla, tentant de distinguer la couleur du ciel. Le gargouillement du liquide brûlant le sortit de ses pensées et il chercha le manche de sa casserole en tâtonnant un peu avant de la verser dans sa tasse. 

Pas très prudemment, surement. A l'instant où il releva la tête, il vit une silhouette immense et sombre se tenir dans l'encadrement de la porte de la cuisine. Un cri surpris s'échappa de ses lèvres et il failli échapper l'eau, la retenant de justesse. Sa tasse, cependant, prit le choc de sa hanche contre la table et s'éclata au sol dans un bruit sourd. Opale ne lâcha pas la casserole mais passa l'une de ses mains devant son visage en protection, reculant de quelques pas, le coeur battant. 

Il n'était pas encore bien réveillé. Et cette silhouette... Un flash sous ses paupières lui avait rappelé, l'espace d'un instant, un bien lointain souvenir. Un bruit sourd vrillait dans ses oreilles et il lui fallu quelques secondes pour revenir à l'idée que non, ce n'était pas lui. Il inspira et baissa doucement le bras avec un sourire maladroit, cet éclat de peur n'avait duré qu'un très bref instant avant de disparaître. Et Gerhard se tenait devant lui, même s'il ne le voyait pas, il imaginait très bien son expression. Il n'était pas encore bien habitué à sa présence, humaine, il devait le dire.

-N-N'avancez pas ! 

S'écria Opale en reposant la casserole, baissant la tête sur le sol. Il ne savait pas lui-même pourquoi, mais ces mots étaient sortis du coeur. Pour protéger Gerhard, ou... lui-même ? Quelques gouttes brûlantes avaient touchées la peau de ses pieds nus, mais il ne s'en était même pas rendu compte. Bien vite, le nébuleux songea que Gerhard allait très TRES certainement culpabiliser alors il se baissa pour ramasser les morceaux de céramique. 

-Ah-ah.. Ne vous en faites pas Gerhard, je casse de la vaisselle approximativement plusieurs fois par semaine ! Je suis maladroit. 

Il ne voulait pas mettre ces accidents sur le seul compte de sa cécité. Il était maladroit de nature, sursautait au moindre bruit trop fort ou a la moindre ombre, y voir flou n'avait fait qu'empirer la chose. Heureusement, il y avait des cartons de vieille vaisselle entassés dans les combles de la maison. Il se concentra un instant sur les tremblements de ses doigts serrant un morceau blanc et fragile, comme un coquillage brisé.

-Vous vous faites à la maison ? J'espère ne pas faire trop de bruit le matin... Ah, mais c'est vrai qu'aujourd'hui c'est le grand jour. 

Opale était encore débraillé, mais il venait de se souvenir que oui, aujourd'hui il emmenait Gerhard visiter Lucent et son cabinet. Quelque part, il était soulagé qu'ils ne doivent pas partager le même bureau et était très heureux de le présenter à certains habitants. Voilà deux jours que Gerhard avait emménagé ici, il espérait qu'il soit un peu plus à l'aise. Se rendant compte de sa tenue, le caladre se sentit rougir, fermant sa chemise d'un geste, le coeur encore battant et le souffle court de sa surprise précédente. Bon sang, il devait se calmer. Et sourire était décidemment sa meilleure arme. Il espérait que ce petit accident n'allait pas trop perturber le jeune homme. 

-Aaaalors ? Prêt à démarrer votre poste ? 

notes
Dim 18 Fév 2024 - 0:32
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Après un bref tour du propriétaire, Gerhard était resté enfermé dans sa chambre. Son isolement n'avait été qu'à moitié volontaire : le premier jour, il l'avait passé à roupiller dans des draps qui, s'ils étaient un peu vieillots, étaient sacrément confortables. Il avait eu la pensée fugace, entre deux accès de sommeil, que le matelas allait l'avaler tout entier, non pas qu'il soit profondément opposé à l'idée.

Hélas pour lui, cette journée de sommeil avait suffit à recharger ses batteries, et il s'était éveillé à huit heures du matin le lendemain, prêt à l'emploi. Si seulement il en avait un ; la perspective de passer ses journées à ne rien faire si ce n'est se tourner les pouces dans cette grande maison l'avait quelque peu agacé, à dire vrai, et Gerhard s'était alors concentré sur ses objectifs. Il n'en avait, à dire vrai, pas beaucoup.

Retrouver son père. S'intégrer sur l'île. En partir ? Sans doute. Être un peu plus poli avec Opale, que Gerhard avait entendu s'affairer plus haut dans sa serre, ou plus bas dans la cuisine. Il l'avait évité comme la peste, pas par peur ou par dégoût, mais par désir de ne pas déranger le Nébuleux dans son quotidien. Quoiqu'il ne soit pas certain que son geste ait été pris ainsi. Le doute demeurait : il n'était pas sorti de sa chambre pour aller demander.

Ses craintes, en tout cas, avaient trouvé quelque réponse probante ; puisqu'en fin d'après-midi, on avait toqué à la porte d'entrée. Comme Opale avait paru absorbé, Gerhard s'était porté volontaire et était allé ouvrir. Il avait descendu l'escalier à pas mesurés, se sentant comme une proie se faufilant entre les herbes d'une grande plaine.

La moue stoïque d'Emilia avait manqué de lui causer un infarctus. Il avait manqué de défaillir quand elle avait tendu une main dans sa direction : pas pour le poignarder comme il l'avait pensé, mais pour lui tendre une enveloppe contenant lettre et clé.



Et aujourd'hui encore, il était réveillé aux aurores. Il n'avait même pas osé lire ce que disait cette lettre ; était parti du principe que puisqu'il était toujours ici, ou en vie, c'était que le contenu était positif. Les mos lui demeuraient inconnus, en revanche, et puisqu'il avait du temps à tuer avant de passer sa tête dans la cuisine, pourquoi ne pas en prendre connaissance maintenant ?

Gerhard déchira l'enveloppe sans aucune grâce, mais eut la décence de la poser sur sa table de chevet. Il y avait, comme il l'avait deviné, une clé, qui tomba sur les couvertures. Elle lui rappelait celle de la lourde porte d'entrée du manoir, ou de l'appartement dans lequel il avait vécu avec sa mère. Il la tourna et retourna entre ses doigts tout déchiffrant avec peine la lettre. L'écriture était élégante, toute en courbes et arabesques. L'encre brillait presque à la lumière, et le papier était doux sous la pulpe de ses doigts. L'objet tout entier paraissait sorti d'une autre époque : Gerhard se serait davantage attendu à des mots tapés à la machine à écrire, mais cette "Matriarche" qui s'adressait à lui au travers du papier avait apparemment tenu à apposer sa propre signature.

Il finit par comprendre, à grand renfort de patience, ce qui était attendu de lui. Ses réponses avaient été examinées - quoique cela voulait dire - et son profil, étudié avec le plus grand soin - il ne voulait même pas penser à toutes les implications contenues dans cette phrase -, correspondait à quelque besoin que rencontrait la population de Nitescence.

Félicitations, concluait la lettre en des termes laconiques. Vous êtes désormais employé comme psychologue à notre charge, et voici la clé de votre bureau, trouvable au centre communautaire. Gerhard ne pouvait empêcher sa gorge de se nouer à la lecture de ces mots, pour une raison ou une autre. C'était une bonne chose, d'avoir enfin quelque chose à faire, n'est-ce-pas ?

Il repoussa son cynisme non sans difficulté et se leva finalement du lit. La fraîcheur qui frappa ses chevilles lui fit lâcher un sifflement contrarié, et il s'empressa d'aller s'habiller pour la journée. Sa valise contenait quelques affaires de rechange : toujours les mêmes chemises, un pantalon noir, deux paires de chaussettes hautes, et encore plus de sous-vêtements. Ils avaient tous été utilisés, à un moment ou un autre, lors de son voyage en bateau ; mais il n'avait pas le temps de les laver avant d'entamer la journée, le test de l'odorat devrait suffire. Gerhard essaya de ne pas se sentir trop sale alors qu'il reniflait ses vêtements pour déterminer lesquels puaient le moins.



Une fois habillé à peu près convenablement, et la honte encore pulsante dans son estomac, Gerhard descendit les marches deux par deux. Il avait vite pris le pli - ça demeurait un escalier, après tout - et il jeta à peine un coup d'oeil aux tapisseries avant de poser pied au rez-de-chaussée. Il entendait Opale s'affairer dans la cuisine et était déterminé à le trouver aujourd'hui. Puisqu'il avait maintenant une affectation, il ne pouvait plus rester les bras croisés. Son isolation prenait fin maintenant, qu'il le veuille ou non - et il le souhaitait, à n'en point douter.

Gerhard surgit dans l'encadrement de la porte de la cuisine et resta un temps immobile en apercevant Opale, les mains appuyées sur le rebord de la fenêtre, en pleine contemplation du monde extérieur. Il lui semblait que ses cheveux étaient légèrement humides - il avait cru l'entendre utiliser la salle de bain tout à l'heure, il en avait maintenant la confirmation - et ses vêtements, à peine mis. Le rouge colora ses joues avant qu'il ne puisse s'en empêcher : devait-il s'annoncer, ou laisser à Opale le temps de... se réveiller ?

Le choix lui fut arraché avant qu'il ne puisse le prendre : le Nébuleux, sorti de sa contemplation par les gargouillis qui s'échappaient d'une casserole, tâtonna, se retourna, écarquilla les yeux. Il eut un formidable mouvement de recul ; si la casserole survécut, la table encaissa de plein fouet le choc de son corps et la tasse fut délogée et alla s'éclater en mille morceaux sur le sol. Gerhard sursauta : tout s'était passé si vite qu'il en était quelque peu abasourdi, mais sûrement pas autant qu'Opale, qui avait jeté une main devant son visage comme pour se protéger d'une attaque.



- N-N'avancez pas ! 

Il esquissa un pas malgré tout, avant de se raviser. Cette réaction n'était pas normale, mais celle d'un homme apeuré. Ce n'était pas alors qu'il était encore tremblant que Gerhard allait s'imposer à Opale.

Il eut un pincement au coeur, cependant, en voyant le Nébuleux s'accroupir pour ramasser les restes de son mug brisé.

- Ah-ah.. Ne vous en faites pas Gerhard, je casse de la vaisselle approximativement plusieurs fois par semaine ! Je suis maladroit. 


Il ne put s'empêcher de lever un sourcil circonspect à cette annonce. Quelqu'un de plus direct aurait osé dire "c'est seulement de la maladresse, ça ?", ou bien quelque chose d'un peu plus assassin dans ces eaux-là. 
Il n'était pas direct, cependant, et s'il avait appris quelques trucs pendant ses années à l'université, c'était de ne pas presser quelqu'un qui ne voulait pas parler. Opale ne ferait que se braquer ; et après tout, il avait bien raison. Il ne lui devait pas la moindre explication. Gerhard espérait seulement qu'il serait capable de vivre avec lui sans sursauter à chaque bruit dans le couloir ; parce qu'il ne doutait pas un seul instant que cette réaction ait été de son du.


- Vous vous faites à la maison ? J'espère ne pas faire trop de bruit le matin... Ah, mais c'est vrai qu'aujourd'hui c'est le grand jour. 



Ce n'était que maintenant qu'il remarquait qu'Opale était pieds nus. Il serrait la céramique dans ses paumes, nues également, et Gerhard l'imaginait sans mal se couper sur ces petits morceaux blancs, les teinter de son sang. Etait-il rouge, comme celui d'un humain ? C'était une question à laquelle il ne voulait surtout pas avoir de réponse, songea-t-il, et il avança résolument pour aider le Nébuleux dans sa tâche.
Peine perdue, cependant : Opale avait réarrangé un sourire éclatant sur son visage, qui masquait mal la nervosité qui devait encore parcourir son corps. Il s'était rendu compte dans la même seconde de son habillement, et avait fermé sa chemise en un geste vif.

- Aaaalors ? Prêt à démarrer votre poste ? 

Il n'était pas étonné qu'il soit au courant. Après tout, il vivait ici. On avait dû le prévenir de la nouvelle avant même que Gerhard n'en soit averti. C'était... juste, il supposait. Il était nouvellement arrivé ici, après tout, et à peine un locataire dans cette immense demeure. Il en voulait pour preuve que, lorsqu'Opale l'avait aperçu, il avait éclaté une tasse au sol. Pas franchement encourageant, mais c'était après tout de sa faute : il avait passé les deux jours précédents dans sa chambre, à dormir et ruminer.

- Je ne sais pas si "prêt" est le bon mot, grommela-t-il, mais ce n'est plus l'heure de reculer en tout cas. Permettez ?


Il présenta ses paumes jointes à Opale, et attendit que le Nébuleux ne verse les fragments de tasse dans ses mains avant d'aller les jeter dans la poubelle qu'il avait aperçu lors de la visite deux jours plus tôt. Il y avait au moins une consolation, c'était que l'autre n'avait pas menti : parmi les déchets, Gerhard apercevait d'autres morceaux de vaisselle cassée. Pas énormément, mais quelques-uns.

S'époussetant les mains sur son pantalon, Gerhard se redressa de toute sa hauteur et balaya la cuisine du regard. Il n'avait absolument aucune idée d'où se trouvait la moindre chose. Opale avait posé la casserole après cette brève catastrophe, mais l'eau qui y avait bouilli avait dû refroidir depuis le temps. Gerhard ne pouvait guère lui préparer un thé pour se faire pardonner.

- J'aurais un service à vous demander, dit-il en s'adossant contre le mur, les mains jointes derrière son dos. Il se sentait nerveux comme un enfant qui n'avait pas appris sa leçon, une sensation peu agréable qui le ramenait bien des années en arrière. On m'a assigné un bureau au centre communautaire. Bien évidemment, ajouta-t-il avec un sourire désabusé, je n'ai aucune idée de quoi il s'agit, ni même d'où il se trouve. A dire vrai, je ne connais pas du tout Lucent.

Ce n'était sûrement pas aussi étonnant qu'il voulait le faire croire, mais il demeurait quelque sentiment de honte à l'idée de ne pas être familier avec les lieux dans lesquels il vivait pourtant. Et ce, même si cela ne faisait que deux jours. Gerhard se gratta l'arête du nez, sentant sous ses doigts les reliefs de la cicatrice qui en ornait un côté.

- Pourriez-vous me faire visiter le village ? Et en contrepartie, je vous promets d'être un peu plus... évident les prochaines fois que je débarque dans la cuisine.


Il disait cela à moitié comme une blague. Il devait apprendre à travailler sur sa discrétion ; quoique la maison s'en chargerait pour lui, à n'en point douter. Après tout, le plancher craquait sous ses pas, comme un chien de garde fidèle qui avertissait son maître du danger qui approchait. Encore quelque chose qu'il lui fallait apprendre. Décidément, la liste s'allongeait. Il craignait de ne jamais en voir la fin.
Dim 18 Fév 2024 - 23:12
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Opale Caladrius
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Opale Caladrius

Sometimes you think you want to disappear

when you really wish to be found

Feat Vynce



Les yeux brûlants posés sur sa tête penchée le paralysaient alors qu’il était encore accroupis au-dessus des morceaux de sa tasse brisée. Il craignait de relever complètement le visage, car il ne voyait pas suffisamment celui de Gerhard pour y lire quoique ce soit. Il s’en voulait d’avoir réagi aussi violemment, il devrait avoir l’habitude pourtant. Peut-être avait-il sous-estimé l’idée qu’un inconnu habite chez-lui. Oh, lui, ça ne le gênait pas, mais son corps encore frissonnant lui sifflait méfiance. Il réunit soigneusement les morceaux au creux de l’une de ses paumes, secouant son autre main pour chasser la nervosité qui l’agitait encore. Qu’est-ce qu’il avait cru voir, au juste ?

Opale était un homme de nature enjouée, douce, conciliante, mais il avait des… Jours. Comme tout le monde, après tout. Mais parfois, durant ces heures cruciales, il était tendu, nerveux, agité. Déclenché par des petits événements qui électrisaient son corps entier, l’enfermait dans des cercles vicieux ou il était à la limite du paranoïaque. Il espérait que ce n’était pas l’un de ces jours.

Il devait se montrer gentil et avenant avec Gerhard qui n’avait pas quitté sa chambre depuis qu’il était arrivé. Avait-il mangé ? S’était-il lavé ? Changé ? Opale n’osait pas le questionner, ni toquer à sa porte pour le savoir. C’était un homme adulte qui prendrait soin de lui assez vite, pas vrai… ? Il avait été dans cet état aussi pourtant, en arrivant sur l’île pour la première fois. Terrassé et mortifié par la peur, au fond de ses draps dans l’obscurité, il s’était tiré vers le haut tout seul mais… Dans cet instant, peut-être aurait-il souhaité qu’on lui tende la main.

Alors Opale contint un léger mouvement de recul lorsque Gerhard se pencha au-dessus de lui, tendant ses mains ouvertes. Le Caladre après un instant d’hésitation, accepta l’aide en versant les morceaux entre ses doigts. Souriant, il croisa les bras en l’observant se tourner et retourner autour de lui. Ah, c’était ça de ne pas descendre explorer la maison. Il allait mettre un moment à trouver les objets utiles. Heureusement pour lui, Opale avec sa vue désastreuse, avait tendance à tout poser en évidence. Trop d’objets disparaissaient ici.

Le médecin tendit l’oreille à sa demande, cillant. Enfin il osait lui demander de l’aide. Ses grands yeux pâles se levèrent dans les siens, discernant quelques traits qu’il tentait de repérer comme distinctifs. Mais sans toucher, jamais il n’aurait les aspérités, les marques caractéristiques de son visage. Il fut distrait quelques secondes, songeant qu’il ne poserait sans doute jamais les doigts dans ses cheveux ou sur ses joues, car ce n’était pas poli même si important pour Opale. S’il mettait un âge, ce serait sur sa voix, grave et plutôt douce. Bon, même en rêvassant, le caladre revient sur tête en comprenant l’essentiel de la demande. Sa hanche s’était appuyée contre le rebord de la table et il observait intensément Gerhard.


-Bien sûr. Et deal.
 
Il tendit la main pour sceller l’affaire. Il savait que Gerhard blaguait, lui aussi d’ailleurs. Ils apprendraient à vivre ensemble, il en était certain… Ou du moins, positivement assuré. En même temps, il se hissa légèrement sur la pointe des pieds pour murmurer d’une voix amusée, sa main toujours dans la sienne.

-Ah et- la nourriture se trouve dans le deuxième placard du haut, à gauche. Ne me tombez pas dans les bras, je ne suis pas certain de parvenir à vous rattraper.

Murmura-t-il avec un clin d’œil avant de s’écarter, ses mains doucement ramenées a creux de ses reins.


-Je vous attends dehors ! Je dois voir un patient ce matin, nous en profiterons pour faire un détour, si vous êtes d’accord.

Pas comme s'il lui laissait le choix, ah ! Opale s’éloigna comme un spectre, rattachant ses cheveux pâles à l’arrière de sa nuque, se recoiffant rapidement en boutonnant plus soigneusement ses vêtements. Ses larges bottes enfilées, il attrapa un manteau bleu foncé à chaperon, sa mallette de travail et sortit à l’extérieur. Matin irlandais. Ciel gris, venteux.

Il souffla et sortit un paquet de cigarette, tabac de troupe. Le briquet cliqua et il se l'alluma en l’inspirant dans l’air frais. La chaleur dans sa gorge le réchauffa et il exhala la fumée en même temps que la buée de ses lèvres. Il dégagea discrètement sa main de son chaperon pour observer les tremblements qui agitaient encore ses doigts. Cela ne le quittait pas. Il essayait de recoller dans les morceaux de sa mémoire centenaire ce qui avait pu faire ressurgir un tel acte… 
Le bruit de la porte d’entrée grinçante, tintant sur les quelques carillons accrochés sur le parvis se fit entendre. Opale ne se retourna pas, esquissant un mince sourire.


-Vous avez mangé quelque chose, j’espère ? Ordre du médecin Gerhard, vous n’y couperez pas.

Il avança de quelques pas sur le petit chemin en pierre teinté de boue et d’herbes sauvages. Après des secondes d’hésitations, il écrasa la cigarette au sol et se retourna en direction de son colocataire.

-C’est surement une demande un peu étrange mais… Puis-je prendre votre bras ? Habituellement je fais sans, mais je n’aime pas prendre une canne, ça me vieilli terriblement. Bon, je sais que je fais plus jeune que mon âge mais cela me rassurerait de savoir que je ne tomberai pas aujourd’hui.

Et que ma collection de bleus ne s’allongera pas. Il était nerveux de cette demande, espérant qu’elle ne serait pas mal prise. Après tout, plus le temps passait et plus il était à l’aise avec cette idée de savoir demander de l’aide, mais c’était toujours un effort pas très évident pour un être aussi indépendant. Il tendit le bras, se mettant à ses côtés. Cela pouvait-il l'aider à se détendre quelque peu ? A se recentrer sur sa vision à lui ? Qui sait. Il n'avait aucune prétention à calmer la nervosité de Gerhard qui semblait être très handicapante au quotidien, mais peut-être pouvait-il le soulager quelques brefs instants.


-Vous savez, si vous ne savez pas quoi dire, vous pouvez me décrire ce que vous voyez pendant que nous marchons. Ou user de ce temps pour me poser toutes vos questions sur Lucent et l'île. Hop hop. 

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Lun 19 Fév 2024 - 15:52
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Gerhard faillit sursauter en constatant qu'Opale le regardait. Ses yeux avaient beau être incertains, flottants entre différents points de son visage sans savoir sur lequel se focaliser, ils paraissaient le percer au plus profond de son âme. Il se sentait étrangement exposé face à cet homme qui pourtant ne devait voir de lui qu'une vague tache blanche et noire sans relief ni creux.
Il se sentit stupide d'être intimidé à ce point, mais les yeux des autres sur sa personne l'avait toujours tendu, surtout quand ils traînaient ainsi, comme pour cataloguer le moindre petit défaut qu'on pourrait lui reprocher ensuite. L'observation d'Opale, pourtant, n'avait pas cette qualité mesquine qu'il prêtait à tant d'autres personnes. Lui, pour une raison ou une autre, Gerhard avait envie de lui faire confiance. Il avait beau être une créature millénaire qui pouvait sans doute lui tordre le cou en un claquement de doigt ; quand il était adossé ainsi à la table, la figure même de la tranquillité, Gerhard en oubliait tous ces détails.

- Bien sûr. Et deal.

Et il acceptait génialement de l'aider comme si de rien n'était, en lui tendant la main pour sceller ce marché. Gerhard en dégagea une des siennes de sous ses fesses et serra celle que lui offrait Opale. Sa peau était fraîche. Contre la sienne, sa pâleur ressortait d'autant plus violemment que sa poigne était douce.

- Ah et- la nourriture se trouve dans le deuxième placard du haut, à gauche. Ne me tombez pas dans les bras, je ne suis pas certain de parvenir à vous rattraper.

Gerhard rougit. Dieu merci, Opale ne pouvait pas s'en apercevoir : autant parce qu'il était profondément myope, que parce qu'il s'était hissé sur la pointe des pieds pour lui murmurer cette information dans le creux de l'oreille. Gerhard sentit sa prise se raffermir, heureusement pas assez longtemps pour déranger le médecin, qui s'écarta de lui avec un clin d'oeil.

- Je vous attends dehors ! Je dois voir un patient ce matin, nous en profiterons pour faire un détour, si vous êtes d’accord.

Avant de pouvoir le chambrer sur le manque de choix - ce n'était pas comme s'il allait le laisser en plan pour aller gambader dans un village qu'il ne connaissait absolument pas - Opale s'en était allé, guilleret. Gerhard eut à peine le temps de le voir rassembler ses cheveux avant qu'il ne disparaisse dans le couloir ; et, si les bruits qu'il entendait étaient une quelconque indication, dans les escaliers, pour avaler les marches quatre à quatre à n'en point douter.


Il souffla et se toucha distraitement la main, les yeux dans le vide. Le contact n'avait duré que quelques secondes mais sa paume lui brûlait comme s'il l'avait passé sous l'eau chaude de longues minutes durant. La secouant pour en chasser la - pas si désagréable - sensation, il décida de suivre les conseils voilés du Nébuleux et de se mettre quelque chose dans l'estomac. Cela faisait deux jours qu'il n'avait pas avalé quoique ce soit, mine de rien, et si sa longue nuit de la première journée avait suffi à contenter son estomac, il avait passé hier avec ce dernier dans les talons, et pas assez de courage pour s'aventurer dans la cuisine.

Gerhard ouvrit le-dit placard sans grande conviction. La politesse instillée par sa mère lui hurlait de ne rien prendre qui ne soit pas à lui ; même sans ça, il avait quelques scrupules à dévaliser le pauvre Opale. Mais ce dernier se vexerait sûrement de cette timidité qui n'avait pas lieu d'être... Non, mieux valait se retenir, tout en se sustantant. Un compromis entre eux deux, voilà bien qui réglait la question.

Il prit un des petits pains qui se trouvaient dans une assiette creuse et, trouvant une tasse, la remplit d'eau afin de se désaltérer. Il lui suffit d'une bouchée pour que son ventre ne se réveille et ne signale ses protestations en de longs gargouillements ; et une gorgée pour qu'il se rappelle qu'il mourrait de soif. Gerhard entendit à peine Opale redescendre les escaliers et claquer la porte derrière lui, trop occupé qu'il était à se resservir de l'eau, à un tel point qu'il craignit un instant qu'il ne viderait l'océan. Pensée stupide, crainte de petit enfant ; mais ce n'était pas naturel, de boire six verres d'eau à la suite, n'est-ce-pas ? En tout cas, songea-t-il avec un certain amusement, ce repas de pain et d'eau s'apparentait davantage à celui d'un forçat ; mais il se connaissait, il serait incapable d'avaler quoique ce soit d'autre pour l'instant.


Il rejoignit Opale après avoir revêtu son manteau. Le vent soufflait, encore. Toujours. Il n'avait pas arrêté depuis que Gerhard était arrivé ici. Une des conséquences de la vie au bord de mer, il supposait. Les nuages s'amoncelaient dans le ciel, mais il était incapable de déterminer s'il pleuvrait plus tard. Opale n'avait aucun parapluie : c'était sûrement bon signe.

- Vous avez mangé quelque chose, j’espère ? Ordre du médecin Gerhard, vous n’y couperez pas.

Là encore il n'attendit pas sa réponse. Il lui tournait le dos et Gerhard, qui n'avait pas l'habitude de ne pas lui parler en face - n'avait pas l'habitude de lui parler tout court, certes - fut un instant désarçonné. Le Nébuleux esquissa quelques pas sur le chemin qui s'ouvraient devant eux, avant de s'arrêter. Ce ne fut que lorsqu'il jeta sa cigarette au sol pour l'écraser que Gerhard se rendit compte qu'il fumait. Une habitude qu'il avait lui-même, de temps à autres, apprise à l'université et dont il n'avait pu se départir entièrement. Il avait un paquet dans sa valise. Sans doute pourrait-il le proposer à Opale une autre fois ?

- C’est surement une demande un peu étrange mais… Puis-je prendre votre bras ? Habituellement je fais sans, mais je n’aime pas prendre une canne, ça me vieilli terriblement. Bon, je sais que je fais plus jeune que mon âge mais cela me rassurerait de savoir que je ne tomberai pas aujourd’hui. Vous savez, si vous ne savez pas quoi dire, vous pouvez me décrire ce que vous voyez pendant que nous marchons. Ou user de ce temps pour me poser toutes vos questions sur Lucent et l'île. Hop hop. 

Sorti de sa stupeur maintenant qu'il apercevait le visage souriant d'Opale, Gerhard rejoignit le médecin et lui présenta son coude de bon coeur, quoiqu'avec un peu de nervosité. L'aider à marcher, c'était la moindre des choses, mais il ne pouvait s'empêcher de craindre le faire trébucher. Ils ne faisaient pas vraiment la même taille, après tout, et même en se courbant Gerhard restait grand... Peut-être même trop.
Ce serait des doutes qu'il lui faudrait garder pour lui, cependant. Il ne devait pas laisser des suppositions aussi stupides le mener en bateau : si son bras suffisait à Opale, alors c'était ce qui importait.


- Je vous le prête volontiers, dit-il non sans humour, mais j'espère bien que vous resterez notre guide. Je n'ai absolument aucune idée d'où aller.

Lucent n'était pas loin et, dans l'absolu, n'était pas grand. Rien à voir avec Berlin, dont l'envergure vertigineuse avait manqué de lui faire tourner de l'oeil les premières fois qu'il s'était aventuré dans ses rues. Ce n'était pas pour autant que Gerhard tenait à jouer au touriste pour son premier vrai tour dans ce village qui était maintenant le sien.

Ils commencèrent à marcher. Gerhard se tordit la tête dans tous les sens pour trouver quoi diable dire. Des mots sortaient presque spontanément de sa bouche, sans queue ni tête :


- Ce que je vois ? La mer. Toujours la mer. Vous savez, je ne pensais pas que la mer était aussi grande, ce qui est un peu stupide certes, mais j'ai toujours grandi en ville, dans un appartement. J'ai le mal de mer, vous le saviez ? Ah... Il se gratta l'arrière du crâne de sa main libre. Il avait les cheveux gras. Une douche ne serait pas de trop. J'imagine que maintenant, oui. Je... ne recommande pas vraiment.

Une pensée lui traversa l'esprit et il s'en saisit avant qu'elle ne puisse s'envoler :


- Sans indiscrétion, quel âge avez-vous ?

Qui trompait-il ? Evidemment, que c'était indiscret. Sa mère n'avait eu de cesse de lui répéter qu'on ne demandait pas son âge à une dame. Opale n'était guère une dame - pas à sa connaissance, en tout cas, ou alors il avait une prescription ophtalmologique à dégoter - mais c'était un conseil qu'il avait décidé d'appliquer à n'importe quel individu qui croisait sa route. Mais Opale avait eu l'air si avenant, à l'encourager ainsi à la manière d'un père qui aidait son enfant : Gerhard voulait lui montrer qu'il était un adulte responsable et surtout, réceptif. C'était son colocataire, nom de Dieu ! Il était temps qu'il se montre un peu curieux, et qu'il chasse l'anxiété qui le suivait comme une ombre particulièrement téméraire. Il ne doutait pas qu'ils s'en porteraient tous les deux pour le mieux.
Lun 19 Fév 2024 - 22:06
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Opale Caladrius
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Feat Gerhard



« Volontiers ». Ah ! Parfait, Opale ne se gêna pas pour se glisser à son bras, calant son pas sur le sien comme si c’était naturel. Son épaule touchait son bras et le médecin prenait la juste mesure de cet homme dont la taille le surprenait toujours. S’il levait les yeux vers lui, il ne distinguait que ses cheveux et son visage obscur se découper dans le ciel gris. Pourtant, Opale n’était pas petit, il était même d’une taille largement respectable. C’était plutôt amusant, ça l’attendrissait presque de voir un humain aussi imposant se faire plus discret qu’un mulot des champs. Ou une grande chouette un peu curieuse, mais trop prudente.

Après tout, il aurait été aisé pour Gerhard de se rendre seul au village pour lui-même en faire le tour. En quoi, à peine une heure ? Mais il avait préféré venir vers lui, lui demander la visite. C’était mignon. Il l’écouta avec un vague sourire alors qu’il… « décrivait » ce qu’il se passait autour d’eux. La mer. La mer. Encore la mer. Opale en avait bien conscience, certains jours il l’adorait, d’autres elle le rendrait presque fou. Pour lui qui voyait difficilement plus loin que le bout de son nez, le bruit incessant lui donnait parfois envie d’hurler pour le couvrir. Ou qu’on aille sur l’île, on entendait le vrombissement léger, les vibrations dans la corde, les nerfs tremblant qui maintenaient l’île à flot toujours.

-Je ne sais pas grand-chose de vous, Gerhard.

Murmura Opale d’une voix à peine audible alors que l’autre mentionnait son mal de mer. Il pouvait le comprendre, cela dit. Lui aussi avait expérimenté les joies et les malheurs de découvrir ce que son organisme repoussait ou adulait. Et puis, il lui demanda son âge. Surpris, le Caladre avait écarquillé les yeux en les levant vers Gerhard. Il le sentait plus apaisé, c’était un plus, mais en voilà une question délicate ! Un rire léger le secoua

-Mon… âge ? Hé bien…

La prise de son autre main se serra légèrement sur sa mallette. C’est vrai, il essayait de mettre de côté que Gerhard était un humain, mais à trop l’éloigner il en oubliait les questions ls plus importantes. Malgré tout, ils restaient rares sur Nitescence alors il avait peu l’occasion de discuter de cela. Ce n’était pas une question que l’on se posait réellement lorsque l’on était Nébuleux, bien qu’Opale ne soit pas si différent des diurnes puisqu’il était bel et bien mortel. Il avait appris à tenir sa langue, lorsque la seule chose qu’il recevait c’étaient des coups. Ah, voilà une chose que ces maîtres avaient implantée en lui comme une graine insidieuse et ce, il y a bien longtemps.

-Devinez, mon ami. Voilà un indice ; moi, le premier mal des transports que j’ai eu, c’était en mettant les pieds dans une automobile ! Avant il y avait… Hé bien, un moyen plus animal.

L’âge d’or industriel et ses merveilles. Un siècle aimé de tous, détesté d’Opale. Tout allait trop… Vite. Puait. Fumait. Crissait. L’huile, les nuages noirs des usines et les odeurs de graisse, c’était des choses qu’il aurait préférées évité. Et mettre les pieds dans une voiture aussi ! Elles n’allaient pourtant pas si vite, mais lui avait cru faire un arrêt, s’accrochant à tout ce qu’il était possible d’être, la sensation dans son corps le chamboulant et le retournant comme dans ces attractions de fêtes foraine qu’il avait en horreur.

-A juger par votre voix, vos cheveux et vos mains… Je dirais la trentaine.

La poigne qu’il avait prise quelques minutes plus tôt n’était pas anodine. Ne pouvait pas construire un tableau fin et précis de chaque personnalité, Opale jugeait sur les tons, les gestes qu’il percevait, la douceur ou les marques travailleuses de la peau. Les cicatrices. Les creux, les plis, les cheveux. Autant de micro-informations si précieuses et délicates qu’il annotait soigneusement dans un coin de son esprit.

Le rythme de leurs pas était tranquille, le vent s’était apaisé alors qu’ils approchaient de Lucent, entrant dans le bassin. Bientôt, ils tourneraient en direction d’un petit bois qui menait au village. Mais pour le moment, ils longeaient soigneusement le sentier côtier. De soigneuses barrières en bois avaient été érigées, en sachant qu’un aveugle habitait quelques mètres plus haut. Opale dérapa à plusieurs moments mais la prise de Gerhard le rattrapait toujours, il se raccrocha plus fermement à son bras en rigolant. Autant dissiper sa gêne par ce biais, sinon il se serait reclus depuis longtemps. 


-Vous me sauvez la mise, et l’état de mon manteau pour aujourd’hui, Gerhard. 

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Mar 20 Fév 2024 - 23:19
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Gerhard Speckmann
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Il ne relâcha sa respiration que lorsqu'Opale rit : la question l'avait peut-être pris de court, et en tout cas l'avait amusé. C'était bien : ils avaient encore quelques heures à passer accrochés au bras de l'autre, et Gerhard n'aurait pas aimé qu'elles soient remplies de ce silence gênant dans lequel personne n'osait rien dire, rien faire, où les non-dits s'installaient confortablement alors qu'ils dérangeaient tout le monde, goujats qu'ils étaient.

- Mon… âge ? Hé bien…

Il parut réfléchir. Le chiffre était-il si grand que ça ? Gerhard ne voyait qu'un homme dans sa trentaine, plus sur le début que sur la fin : il dévisageait Opale et les siècles d'Histoire que le Nébuleux avait connu se cachaient savamment sur sa peau lisse, son visage encore jeune. Il avait les cheveux blancs, quoique le mot le plus exact soit "argentés" : ce n'était pas l'âge qui les avait pâli mais bien une caractéristique de son espèce. 

Etait-ce difficile ? De se regarder tous les jours dans le miroir, et de voir la même personne, tous les jours, pendant des siècles ? Gerhard s'était observé grandir ; vieillir, à la vitesse de l'éclair pour les Nébuleux, et pour sa mère qui n'avait pas supporté qu'il quitte l'appartement familial. Elle avait espéré qu'il reste enfant pour toujours, il l'avait vu dans ses yeux. Quelque chose chez elle s'était attendue à ce qu'il ne grandisse pas, et elle avait été soulagée et horrifiée tout à la fois de le voir pousser. Quand Gerhard se regardait dans la glace, il croisait parfois le regard d'un inconnu. C'était à la fois grisant et terrifiant. Il ne savait pas qui il serait demain. Dans un mois. Dans dix ans. Aurait-il préféré cette permanence des Nébuleux ?

Impossible de le dire. Il était humain. Il jouait avec les cartes que la vie lui avait donné. Cela ne servait à rien de se poser de pareilles questions, qui n'auraient jamais de réponses. Il en avait d'autres qui lui trottaient dans la tête.

- Devinez, mon ami. Voilà un indice ; moi, le premier mal des transports que j’ai eu, c’était en mettant les pieds dans une automobile ! Avant il y avait… Hé bien, un moyen plus animal.

"Mon ami" ? En étaient-ils déjà à ce point-là ?

Non. C'était simplement qu'Opale paraissait avoir l'amitié facile. C'était un trait d'esprit admirable, si ce n'est un peu inquiétant : le jour où quelqu'un lui voudrait du mal... Mais non, Nitescence filtrait les entrées avec tellement de zèle. Difficile de penser que quelqu'un de mal intentionné pourrait se faufiler sur l'île. Sans nul doute que la stoïque Emilia aurait tôt fait de les renvoyer d'où ils venaient, elle ou cette "Matriarche" qui avait signé sa lettre de sa belle plume.

Gerhard préférait se concentrer sur un autre détail. Un "moyen plus animal" ? Il n'avait bien connu que les voitures à moteur. Il avait vu de temps à autres une calèche à Aix-la-Chapelle, sans trop qu'il ne sache ce que l'animal et son maître faisaient là. Comme des figures anachroniques s'étant trompés d'époque. Qu'Opale soit assez vieux pour avoir connu la transition entre voitures animales et voitures à moteur était assez vertigineux. Comment un cerveau pouvait avoir assez de place pour retenir tout ça ? Qu'avait-il connu d'autre ?

Gerhard peinait assez à se remémorer ce qu'il avait mangé au petit-déjeuner. Qu'Opale ne soit pas terrassé par des migraines tous les matins était, à son humble avis, un véritable miracle.


Le Nébuleux raffermit sa prise sur son coude. Gerhard accusa le coup sans broncher. Il se sentait maigre sous ces mains millénaires qui tâtaient ses articulations sans mot dire. Etrange sensation : de son temps à Berlin, il avait aimé parcourir les antiquaires à la recherche de bibelots d'un autre temps. Il avait parcouru le dos de livres centenaires avec révérence. C'était là une partie de l'Histoire à laquelle il n'avait pas pris part, et qui pourtant s'offrait à lui aujourd'hui.

- A juger par votre voix, vos cheveux et vos mains… Je dirais la trentaine, dit Opale l'air de rien, et Gerhard fut transfixé par ce rapport de force aujourd'hui inversé. Ce n'était plus lui qui admirait un testament du passé, mais l'inverse qui le découvrait avec précaution. La longévité d'Opale l'émerveillait : sa propre mortalité, sa vie si courte et fragile, devait estomaquer le Nébuleux. L'horrifier, peut-être ? 



Il autorisa son regard à se perdre dans cette forêt qui bordait les environs de Lucent. Ils l'avaient parcouru avec Emilia il y avait deux jours. Le vent soufflait moins fort entre les arbres, mais les feuilles chantaient toujours pour les aventuriers qui mettaient un pied entre ces racines millénaires. Qui était le plus vieux, elles ou Opale ?

Une question à laquelle il n'aurait sûrement pas la répondre. Opale devait lui-même l'ignorer. Et pourquoi cela l'intéresserait-il ? Gerhard devait cesser de faire une fixette sur son âge. Certes, il avait eu une mini crise identitaire... Qui devait s'en tenir là. Tout ceci importait peu. Ils étaient vivants tous les deux : ça, c'était ce qui comptait.

- Vous me sauvez la mise, et l’état de mon manteau pour aujourd’hui, Gerhard. 

Ce dernier jeta à peine un regard au docteur. Il avait la démarche assurée de celui qui parcouraient ces chemins depuis des années, mais ses pieds trahissaient parfois sa cécité. L'environnement n'était pas idéal pour quelqu'un en passe de devenir aveugle, mais Opale devait préférer sa tranquillité à son confort, et c'était tout à son honneur après tout. Le manoir, en plus de ça, était plutôt douillet.
Ils pénétrèrent dans le bois, quittant le chemin côtier pour quelques heures au moins. Ils arriveraient à Lucent dans quelques minutes, et Gerhard retrouverait ces rues inconnues qu'il lui faudrait apprendre avec Opale à ses côtés.

- Vous vous en sortiez très bien sans moi avant, murmura-t-il en regardant devant lui. Mais si j'ai pu vous épargner une lessive supplémentaire, vous m'en voyez ravi.



Une lessive. Voici bien quelque chose qu'il devrait prévoir de faire. Ce n'était pas qu'il se sentait sale à côté d'Opale - après tout, leurs vêtements étaient chacun froissés par les bourrasques qui parcouraient les plaines côtières de Nitescence - mais il n'avait pas l'impression d'être très digne actuellement. Il se sentait même un peu honteux, de se présenter à un patient d'Opale dans cet état. Il espérait que les Nébuleux qu'ils croiseraient auujourd'hui - car ils en croiseraient, c'était inévitable - n'aient pas l'odorat trop développé. Il était désolé pour eux si c'était le cas.



Gerhard se racla la gorge alors que les premiers murmures de Lucent parvenaient à leurs oreilles. Comment un si petit village pouvait être aussi énergique ? Sa lassitude pouvait autant être due à son introversion qu'à de l'anxiété. Sûrement un peu des deux.


- Vous n'étiez pas loin du compte, dit Gerhard alors que les bois cédaient leur place à Lucent, que le village se dévoilaient devant leurs yeux, un spectacle sûrement banal pour Opale, et qui le serait un jour pour Gerhard. J'ai vingt-sept ans.



Il avait un peu honte de ces trois ans qu'il s'enlevait. Il devait être un bébé aux yeux d'Opale. Sa hantise ; que le docteur ne le prenne plus au sérieux serait un des clous de son cercueil.

Assez stupidement, Gerhard tapota les doigts que le Nébuleux avait noué autour de son coude. Il fourra aussitôt cette main coupable dans la poche de son pantalon. Un pan de sa chemise s'en échappa. Il était mortifié.


- Où allons-nous d'abord ? Chez votre patient ?

Ils foulaient enfin des pavés au lieu de la terre. Gerhard dut réfréner un mouvement de recul. La civilisation leur ouvrait les bras et les engloutissait tout entier, et il s'y laissait conduire volontiers. Comme une bête à l'abattoir ; ou, de manière plus réaliste, comme un nouveau venu dans une île mystérieuse. Il regretta qu'Opale se soit accroché à lui et pas l'inverse, mais c'était sans doute pour le mieux : il ne doutait pas, en cet instant, que s'il avait agrippé le bras du Nébuleux, il aurait manqué de le broyer sous le stress.
Mer 21 Fév 2024 - 23:08
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Opale Caladrius
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Feat Gerhard



Mettre de côté que Gerhard avait sciemment ignoré sa devinette était facile. L’avait-il tant troublé, avec ces histoires d’automobile ? Voilà bien longtemps qu’il n’était pas monté à cheval. Sur les terres de ces anciens maîtres, il observait souvent par la fenêtre les chasses à cours qui se faisaient encore, les chiens hurlants, jappant au-devant des hommes à cheval, comme une armée infernale. Pour lui qui avait toujours été enfermé, il s’était souvent prit à s’imaginer à la place de l’un de ces lièvres, dont la course effrénée ne s’arrêtait que lorsque les mâchoires impies se refermeraient sur sa gorge. Un lièvre blanc.

Peut-être aurait-il du se tenir de faire cette réflexion et répondre franchement. Les voilà à présent tous les deux pensifs. Les graviers, galets et racines roulaient contre sa semelle et la rumeur de la mer était remplacée par celle de Lucent. S’en sortait-il bien avant Gerhard ? Bien certainement. Il était loin d’être dans le besoin d’une aide à domicile. Mais c’était rassurant. Peut-être même qu’en sa présence il pourrait courir, car cela lui manquait. L’idée lui plaisait et son cœur s’emballait à la pensée de sentir le vent fouetter son visage qui bataillerait vaillamment tout contre.

Mais ne nous hâtons pas. Gerhard et lui étaient loin du compte. Cependant, l’humain semblait plus détendu, il le sentait, sa main effleurait la sienne à chaque choc dans la marche. Opale avait ouvert un œil curieux en l’entendant énoncer son âge. Vingt-sept années… Un bel âge. Et cela amena le médecin à enfin y songer. Pourquoi Gerhard était-il venu à Nitescence ?

Il avait levé les yeux vers lui, tentant de percer l’obscurité de son visage, de ces mèches brunes qui dansaient dans le contre-jour. Opale, s’il n’était pas intéressé, se posait bien peu la question du comment ou du pourquoi. Et puis, il suffisait d’un déclic. D’un petit quelque chose qui attise sa curiosité. Et voilà que ses pensées s’aventureraient surement à rêver du passé de cet homme sans vraiment le connaître.

Tout le monde venait pour fuir ici. C’était bien le seul point commun qu’avaient tous les habitants de Nitescence.

Les doigts de Gerhard tapotèrent distraitement les siens et Opale ne le remarqua qu’à peine jusqu’à qu’il range sa main dans sa poche. Tiens donc… De quoi pouvait-il avoir honte ? Il était celui qui le touchait en premier lieu, accroché à son coude comme à un bâton de berger, espérant qu’il le guide assez pour ne pas perdre pieds dans les chemins escarpés. Il resserra doucement sa main contre son bras, sourire aux lèvres en sentant la nervosité de l’humain monter en flèche. Il avait cette agitation interne, presque indiscernable à l’œil nu, mais qu’Opale percevait. Peut-être que ce n’était pas lui, qui se tenait à Gerhard, mais bien l’inverse. Et voilà, ils étaient arrivés à Lucent. Le médecin resserra sa prise sur sa mallette et se décida à sortir de sa rêverie.

-C’est exact, c’est sur le chemin.

Il n’osa pas le dire, mais il n’avait plus besoin de Gerhard. L’autre se cramponnait tant à lui qu’il n’eut pas le cœur de le repousser et prit discrètement les devants de la marche pour les guider.

-C’est un nébuleux, il y a quelques jours il est tombé malade. Il est malheureusement sujet à des détresses respiratoires, alors je dois vérifier que sa fièvre est bien tombée. 

Enonça-t-il machinalement. La famille Milriens. Des tritons ! Mais aussi pêcheurs, ils faisaient d’excellents commerçants. Même s’ils passaient beaucoup de temps dans l’eau, ils étaient aussi plus sensibles aux afflictions humaines et un rhume pouvait rapidement s’aggraver. Leurs poumons n’étant pas constitués de la même façon et leurs peaux étant particulièrement poroses, Opale avait préféré surveillé leurs cas. Ils croisèrent quelques individus qui ne prirent pas vraiment attention, lâchant des salutations, des sourires à Opale qui y répondait avec franchise.

Et voilà qu’il sonnait à la porte. Une jeune nébuleuse l’ouvrit avec un sourire soulagé, invitant le praticien à passer l’entrée. Le médecin, que Gerhard n’avait pas lâché la remercia et se tourna vers son nouveau colocataire.


-Suivez-moi. Mais ne vous en faites pas, vous ne gênez pas, ils ont l’habitude.

Il avait dit ça dans un murmure, se rapprochant de lui pour ne pas parler trop fort. Il était vrai que les Milriens étaient particulièrement accueillant. Leur maison était pleine de coquillages, filets, cosses de crabes et trophées marins accrochés aux murs et sur les étagères. Leur apparence n’était pas humaine, les tritons ont des oreilles particulières, des écailles colorées qui leurs couvrent des parties du corps, des mains et des pieds palmés et des prunelles très larges. Opale lâcha tout doucement Gerhard avant de monter les escaliers à la suite de la cadette.

-Je vous présente Gerhard Speckmann. Nous avons enfin un psychologue à Lucent, il s’installe aujourd’hui !

Enonça gentiment le Caladre en entrant dans la chambre, sous les regards curieux de la mère, la sœur et enfin, le frère allongé dans un lit. Tous se saluèrent avec des sourires, des gestes, de légers applaudissements pour Gerhard. Ah. Il avait oublié de préciser, mais cette famille était presque mutique. Seule celle qui les avait fait entrer parlait mais les autres signaient.

Il avança prudemment pour ne buter sur rien et on lui tira un tabouret. Il s’assit au chevet du malade, ouvrant sa mallette sur le bord du lit pour en sortir différents ustensiles médicaux. Opale l’examina sciemment, l’air concentré malgré ses yeux légèrement dans le vague. Sa mine se pinça en écoutant sa respiration. Sa fièvre était tombée, mais il respirait mal, encombré et sifflant. Souffrant au niveau du thorax et des côtes. 

Le médecin avait prévu le coup, une bonne nuit de sommeil et il était d’attaque pour l’ainé Milrien. Il l’invita à se redresser sur le lit, soulevant son t-shirt pour poser doucement sa main à plat contre son dos. Exerçant une pression, paume plaquée et doigts écartés, il ferma les yeux. En l’espace d’un instant, une légère lueur bleutée émana de sa main, illuminant ses veines pour s’étendre contre les cotes, les omoplates et la colonne du jeune nébuleux. Opale cessa de respirer, inclinant la tête vers l’avant. Une vive douleur naquit dans sa poitrine avant de se diffuser. Cela aidait pour deux choses ; identifier le mal, puis soulager la douleur. Ce genre de maladie nécessitait un traitement long, mais désengorger les poumons aiderait. Aussi rapidement que son pouvoir s’était activé, il retira sa main, la secouant, fermant et rouvrant son poing engourdit avant de tendre un mouchoir à son patient qui était prit d’une quinte de toux. Sa main vient doucement caresser son dos puis sa tête en l’encourageant.

Opale observa la situation quelques instants avant de se relever, penchant légèrement vers l’avant. La tête lui tournait toujours après coup, il mettait quelques instants à se rééquilibrer. Toujours un peu groggy, il fallait imaginer une bulle de savon qui gonfle, l’enveloppe et éclate. Un voyage à l’intérieur du corps, et de soi-même, puis soudain l’extérieur ! Un choc presque agressif. Il attrapa plusieurs fioles dans sa mallette, expliquant à la mère quoi lui donner et quand. Et puis, se tournant vers Gerhard, il énonça un simple « Allons-y ». Avant d’arriver dans les escaliers étroits, il attrapa discrètement sa manche, histoire de se tenir à quelque chose.

-Excusez-moi, je me permets, Gerhard.

Lâcha-t-il distraitement sans lever la tête vers son colocataire. Une fois sortis et après avoir largement salué la cadette, il prit une large inspiration. Erf. Les maladies respiratoires, c’était désagréable à soigner. Elles lui laissaient toujours une vague sensation dans les poumons.

-Je suis certain que vous avez des questions.

Sourit-il en réarrangeant son manteau et ses cheveux, passant les mèches blanches d’un seul geste dans son dos. 
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Sam 24 Fév 2024 - 2:08
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Gerhard Speckmann
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- C’est exact, c’est sur le chemin.


Si sur le chemin, Opale l'avait laissé les guider, c'était désormais lui qui prenait la tête de leur humble cortège. Gerhard ne le soutenait pas plus qu'il était entraîné à la suite du Nébuleux, qui naviguait dans ces rues avec un pas assuré ; bien loin de l'hésitation qui avait été sienne alors qu'ils vagabondaient entre herbe, mer et forêt. Il choyait sa tranquillité bien plus que son confort, quelque chose que Gerhard pouvait comprendre, et compatissait même. Comment ferait-il, cependant, le jour où sa vision serait trop catastrophique pour naviguer dans les collines sauvages de Nitescence ?

Il secoua la tête. Ce n'étaient pas ses affaires, après tout. Il s'inquiétait juste... pour cet homme qu'il ne connaissait que depuis trois jours, et qu'il avait côtoyé pour autant moins d'heures. Mais si Opale dépendait déjà d'un parfait inconnu aujourd'hui, alors qu'en serait-il de demain ? Dans dix ans ? Cent ?

Il songea, non sans un certain fatalisme, qu'il ne serait plus là pour s'en soucier. Depuis longtemps enterré et oublié. C'était bien pour ça que ces questions devaient rester de sobres balbutiements. Les prononcer à voix haute ne servirait à rien.


A l'évidence, Opale était quelqu'un d'apprécié, et surtout de respecté. Quelques personnes les saluèrent - ou plutôt, le médecin, seul centre de leur attention - sans même adresser un regard à Gerhard. Il y avait un certain soulagement dans cette solitude paradoxale dans laquelle il fut plongé. Personne ici ne s'inquiétait de qui il était, et personne n'était intéressé à le découvrir. Il n'était pas certain que ses nerfs auraient tenu le coup autrement : c'était déjà bien assez que de balbutier en anglais avec Opale, nul besoin de rajouter d'autres inconnues dans l'équation. Le Nébuleux lui expliquait tout en échangeant sourires et gestes de la main avec d'autres :


- C’est un nébuleux, il y a quelques jours il est tombé malade. Il est malheureusement sujet à des détresses respiratoires, alors je dois vérifier que sa fièvre est bien tombée. 



Gerhard inclina légèrement la tête, nonobstant qu'Opale ne le vit pas. Avec sa main pendante dans le vide, il se sentait idiot. Mais il ne pouvait pas reprendre son bras, ç'aurait été malvenu. 

Ils s'arrêtèrent devant une maison coincée entre deux autres, à la façade en pierres délavée et aux rideaux tirés. Opale sonna et attendit patiemment sur le porche, ses instruments dans chaque main. Gerhard tenta désespérément de remettre sa chemise dans son pantalon, sans grand succès. La porte s'ouvrit soudainement, manquant de le faire sursauter. Il eut à peine le temps de distinguer un sourire, une longue chevelure, avant qu'Opale ne le tire quasiment dans les entrailles de la demeure.



- Suivez-moi. Mais ne vous en faites pas, vous ne gênez pas, ils ont l’habitude.



Il aurait voulu avoir l'assurance du médecin qui l'entraînait à sa suite dans un embroglio de couloirs sombres, d'escaliers et de pièces aux portes entrouvertes ; mais alors que celle de l'entrée se refermait, son coeur battait à mille à l'heure, et il aurait donné n'importe quoi pour rester dans l'entrée.

Trop tard. Il était là, incapable de se dépêtrer de cette prise douce et ferme à la fois, et de toute façon ils arrivaient dans une chambre où se trouvait toute la petite famille du patient, et c'était Opale lui-même qui le lâchait. Gerhard essaya de ne pas analyser de trop près ce froid qui prit la place de cette main désormais absente ; puis de ne pas rougir lorsque le Nébuleux s'exclama, avec la fierté d'un paon :



- Je vous présente Gerhard Speckmann. Nous avons enfin un psychologue à Lucent, il s’installe aujourd’hui !


On l'applaudit avec enthousiaste. Il déglutit, inclina la tête deux ou trois fois pour signifier sa gratitude, et tenta de ne pas regarder de trop près les écailles qui parsemaient les corps de ces Nébuleux, leurs yeux globuleux, leurs oreilles étranges. Ici c'était lui, l'intrus, le différent, et Gerhard le sentit au plus profond de son être alors que les Nébuleux signaient entre eux, émettaient des bruits compréhensibles que par les patients et leur médecin.



En désespoir de cause, il jeta un coup d'oeil circulaire. La décoration reflétait le genre d'espèce qui logeait dans ces murs : coquillages et filets de pêche se succédaient dans une danse grâcieuse, invitant parfois entre eux quelque objet d'origine aquatique qui devait avoir une signification particulière pour cette famille. Si Gerhard avait cru pouvoir échapper à la mer en pénétrant dans l'enceinte de ces épais murs, il s'était profondément fourvoyé : l'odeur de l'océan n'avait jamais été aussi forte qu'ici, et emplissait ses narines d'un parfum entêtant. Heureusement que ses vêtements étaient déjà sales ; l'odeur mettrait bien des lavages à partir, mais en attendant, il était parfaitement à sa place alors qu'il trimballait dans son sillage l'odeur des embruns.

Son attention fut attirée par le bruit du tissu que l'on ôte : le Nébuleux malade, dont l'espèce lui échappait, était désormais courbé en avant ; et Opale, les yeux fermés, avait posé une main entre ses omoplates. Gerhard n'y voyait pas grand chose si ce n'est l'air d'intense concentration du médecin, et...


Il prit une respiration hachée. Sa main brillait, il n'y avait pas d'autres mots pour qualifier ce qu'il voyait : une lueur bleutée éclairait doucement la peau translucide d'Opale, et la lumière s'étendait, dans ses veines, ses cotes, son corps tout entier. Son être tout entier se révélait sous la moindre couture, de la plus discrète à la plus vulnérable, et personne ne bronchait, et Gerhard avait l'impression d'être à moitié fou. Transfixé par la concentration de son colocataire, il ne manqua pas la manière dont ce dernier étouffa une plainte de douleur ; ses mâchoires brièvement contractées avant que, tout à coup, tout ne cesse.

Opale offrit un mouchoir à son patient. La douceur colorait le moindre de ses gestes quand il encouragea l'autre entre ses quintes de toux ; et parmi toute cette tendresse, Gerhard sentit poindre une jalousie qui manqua de le faire chanceler.

Tout leur venait si facilement. Le Nébuleux se détendait sous le toucher d'Opale, Opale souriait doucement, et dans tout cela Gerhard était si vivacement un intru que son être tout entier lui brûlait sous l'intensité de son envie. Il voulait ça, cette camaraderie qui leur venait si facilement, cette confiance qui les liait ; et savait pourtant que tout son être s'y opposerait, et qu'il ne pourrait rien y faire.


Il cligna des yeux et Opale était devant lui ; Opale lui faisait signe de le suivre, et Gerhard s'exécutait sans rien dire, sans un dernier regard pour cette joyeuse petite famille que la maladie avait daigné délaisser.

La cage d'escalier était aussi sombre, seyait à son humeur soudainement massacrante. Il jeta un regard désobligeant aux murs, faillit se boucher le nez pour cesser de sentir cette mer qui le poursuivait où qu'il aille ; seul un reste de bienséance l'empêcha, et au-devant de lui Opale chancela légèrement, s'arrêta avant de pouvoir dégringoler les marches la tête la première.



- Excusez-moi, je me permets, Gerhard.



Son tressaillement habituel lui donna envie de se jeter lui-même dans les escaliers, mais ç'aurait été entraîner Opale dans sa chute, et Lucent n'avait certainement pas besoin de perdre son seul médecin aux caprices de gamin d'un type dans la fin de sa vingtaine.

Ils déguerpirent - l'un d'entre eux, en tout cas - avec un dernier mot pour la Nébuleuse qui les avait accueilli. Elle récolta dans son esprit la fureur qu'il avait envers son paternel : Gerhard lui adressa un sourire pincé et pas davantage.



Sûrement affaibli par les pouvoirs dont il avait fait montre, Opale le laissa les déambuler dans les rues animées de Lucent. Les enfants se poursuivaient les uns les autres et prononçaient un langage qu'il ne reconnaissait pas. Ils manquèrent de les faire trébucher en leur barrant le passage, et Gerhard dut se retenir de proférer un juron qui aurait retourné sa mère dans sa tombe.



- Je suis certain que vous avez des questions.


Opale avait lâché sa manche et réajustait ses cheveux dans son dos d'un geste ample. Quelques fines mèches s'étaient échappées de l'élastique ; Gerhard les contempla durement, puis souffla et se détourna entièrement de l'homme qui venait de lui démontrer en peu d'actions et encore moins de mots à quel point ils étaient différents. Il les guidait sans but dans des rues qui ne lui disaient rien et ne parvenait pas à imprimer le chemin dans sa tête. Il aurait été incapable de les guider jusqu'à la sortie du village, et de là jusqu'à la maison qu'ils partageaient désormais.

La seule chose qu'il reconnaissait, c'était la mer. Gerhard tourna la tête, vers une rue perpendiculaire, et à l'horizon il l'apercevait, encore et toujours, il ne pourrait jamais y échapper.



- Ma maison me manque, dit-il soudainement entre eux, et se sentit infiniment stupide de manquer quelque chose qu'il n'avait même pas quitté depuis un mois. Qu'est-ce que c'était, un mois, dans une vie ? Il y retournerait un jour ; il devait y croire, ou bien la solitude l'engloutirait tout entier.

Il s'ébroua à la manière d'un chien mouillé et se pinça l'arête du nez pour stopper net les sentiments qui menaçaient de se déverser de sa gorge. Qu'est-ce qui clochait avec lui ? Pourquoi ramenait-il toujours tout à lui ? Ce... lien entre Opale et ce Nébuleux n'était rien d'extraordinaire, n'avait rien à voir avec lui, sous aucune forme.



- Pardon. Comment allez-vous ? s'enquit-il finalement. Je vous ai vu chanceler.



Il offrit sa main. Elle tremblait à peine. Si Opale la prendrait, il y serait préparé, mais il savait d'avance qu'il ne serait pas capable de réfréner son sursaut. La pensée le déprimait. Comment faisaient tous ces gens pour s'ouvrir ainsi aux autres ? Il ignorait s'il en serait capable. C'était pire que tout : savoir qu'il était condamné à une solitude de son propre fait.



- Prenez ma main, dit-il en détournant le regard. Si vous en avez besoin. Et vous pourriez me dire ce que tout ça, il fit un vague geste de la main, était. Sur le chemin. Je ne sais absolument pas où nous sommes.



Il se détourna de la mer, son regard sautant entre maisons, pavés et personnes, à la recherche d'une rue qu'ils n'auraient pas exploré, qui aurait pu les mener à ce centre communautaire dans lequel il s'établirait. Il enfouit dans le même geste toutes ces émotions qui avaient menacé de le terrasser, et dont il ignorait la provenance, seulement les conséquences. Cela ne servait à rien de tergiverser sur de l'immuable. Ils avaient un but, et en avaient atteint la moitié. Ne restait plus qu'une étape, et ils en auraient fini avec ce village que Gerhard commençait à craindre autant que les gens qui les entouraient.
Sam 24 Fév 2024 - 19:34
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Opale Caladrius
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Les épaules abaissées et la tête un peu basse, Opale était sourd à ce qui l’entourait. Sa vision périphérique bouchée, il ne voyait que les tâches floues se détacher brièvement entre les pavés. Et puis, ça le frappa. C’était avant les mots, avant cette voix si grave et si blessée. Un coup dans l’estomac qui lui fit prendre une légère inspiration. C’était… Douloureux ? Et parfois, Opale s’en voulait d’être si poreux.


Ma maison me manque.
Hein… ?


Le mélange étrange qui affluait de Gerhard siffla dans ses oreilles, remonta dans sa gorge, sa poitrine. Ça le brûlait. Qu’est-ce que c’était ? Pourquoi, si soudainement ? Confus, le nébuleux tâcha de ne rien laisser transparaître qu’un bref sourire soucieux en réponse. Sa maison… ? Ah. La vague revenait à la charge, il sentait son trouble affluer comme un ressac. L’eau tapait contre le brise-lame, éclaboussait l’empathe sur son passage. Tous ces sentiments étaient si soudain. Et habituellement, le médecin parvenait à y faire abstraction. Mais en utilisant son don, tout devenait plus clair, ses sens s’ouvraient aux autres comme une porte ouverte.


La lumière, les sons, les odeurs, les sentiments, l’agression était parfois telle qu’il tournait de l’œil. Mais pas cette fois, non. Sa tête souffrait d’un léger vertige, mais il n’avait pas a en faire tout un drame. Son poing se serra contre sa poitrine alors qu’il lui semblait plus difficile de respirer. Avait-il une crise de panique ? Venait-elle de Gerhard ? Ou de lui ? Problème récurrent sans solution, à force d’éprouver la douleur des autres, Opale était sourd à la sienne. Il était difficile pour le caladre de définir d’où elle pouvait provenir sans contact exact.


Ils s’étaient arrêtés et Gerhard lui demandait comment il allait. Opale en réponse ne put que sourire, patient. Et cette fois, il eut du mal à contenir le léger mouvement de recul en percevant la main de l’homme se présenter à lui. Se forçait-il ? Peut-être n’avait-il pas été assez précautionneux. Ou trop brutal dans son approche. Peut-être le mettait-il mal à l’aise. Peut-être qu’il retombait dans sa condition la plus méprisée aux yeux de l’humain.  Oh, comme il tentait d’y faire abstraction, mais ça le mortifiait. Il ne pouvait même pas voir son regard, deviner ce qu’il pensait de lui.
 


Et puis soudain, le poids s’envola. Ses épaules se relâchèrent dans un soupir et Opale pencha la tête vers l’avant, surpris. Que… ? Comment ? Si rapidement ? Il cilla, tentant de ne pas paraître trop étonné. Mais comment Gerhard avait-il… ? Le caladre ouvrit la bouche, se saisissant de sa main pour se rapprocher de lui de trois pas.



-Gerhard !


Il s’était exclamé fort et quelques passants se retournèrent. Opale sentit le rouge lui colorer les joues et balbutia


-Je me sens mal.


Evasif.  Il serra sa main dans la sienne, le cœur gros.



-Allons… Allons-nous asseoir quelques instants. S’il vous plait !



Il entraina le psychologue jusqu’à un banc, situé quelques mètres plus loin. Il s’y laissa tomber, prenant une large inspiration avant d’émettre un léger rire, l’expression contrite.


-Oh, pardonnez-moi.


Ses doigts passèrent vivement dans ses cheveux, poussant le désordre dans ses boucles. A quoi bon se trouver dans un si beau belvédère, lui n’en percevait pas la vue qui s’étendait sous leurs yeux.


-Pardonnez-moi car… Vous n’allez pas bien, n’est-ce pas ?


Opale se sentait nerveux. Il ne voulait pas lui mentir, il voulait être sincère, pour une fois. Ils allaient vivre ensemble, partager certainement de grands instants pour les futurs mois, voir années s’ils se supportaient assez. Il posa sa mallette et ses deux mains fines se pressèrent contre son visage, son dos s’enfonçant contre le dossier qui grinça légèrement. Une brise froide passa sur sa peau. Ses bras retombèrent sur ses jambes et il tourna la tête vers lui.



-Je vais être honnête car… Car je vous apprécie. Je sais, je sais bien, cela ne fait pas longtemps, mais vous êtes si patient. Ce qui vous arrive ne doit pas être évident pourtant, j’en suis certain mais… Je suis désolé si je vous ai brusqué. J’aurais du vous demander avant de vous entrainer chez ces gens. Ou vous présenter. Ou prendre votre manche. Je suis vraiment un rustre !


Il parlait vite, tentant de ne pas laisser les mots se bousculer dans sa bouche. Lui-même avait été dans cette posture inconfortable, ses barrières bafouées tant de fois. En voulant se montrer sympathique, en voulant rendre service, le plus grand mal était fait. Opale déglutit.


-Ou vous parler de mon pouvoir, vous dire que je…


Toutes ces émotions. Il prit une nouvelle inspiration, tentant de faire abstraction. Ses mains suivirent le mouvement, comme mettant à plat une feuille invisible face à lui.


-Je peux… Ressentir. Ce que vous… Enfin. Vos émotions.


Ses doigts tombèrent de nouveau sur ses rotules qu’il serra doucement, laissant la pression désagréable se cramponner à son propre corps.



-Ah- ! Pas... Pas tout, seulement les plus puissantes, celles qui vous font du mal.



Oh, il se sentait presque comme un enfant à se justifier. Il s’était de nouveau retourné vers lui, tentant de distinguer quelques traits de son visage. Ses yeux étaient légèrement écarquillés sur une expression sincèrement soucieuse. Il avait décidé de mettre de côté ses aprioris sur sa nature humaine. Peut-être que cela n’avait rien avoir avec ce qu’il avait pu montrer. Et s’il le… Terrifiait ?


-Puis-je… prendre votre main, Gerhard ?


Sa voix s’était adoucie et il tendit doucement la sienne. Quelques rayons de soleil perçaient les nuages, caressant avec douceur les pins qui encadraient le petit chemin menant à Lucent. Le vent les laissait bruisser dans le vrombissement lointain des vagues. La peau d’Opale était d’autant plus pâle. Ses cils à peine visible dans les éclats pâles, ses boucles en désordre encadraient maladroitement son visage, balançant contre ses tempes.
 
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Lun 26 Fév 2024 - 0:57
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Gerhard Speckmann
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Un temps prêt à aller au-devant de ces hideuses émotions qui l'avaient un temps pris, Gerhard hésita quand Opale ne se saisit pas de sa main. Le Nébuleux lui offrait un sourire qui n'atteignait pas ses yeux, et déformait son visage en un masque grossier qui manqua de le faire reculer.

Il reconnaissait cet air lointain qui dansait dans ses prunelles brumeuses : Opale était physiquement ici, mentalement ailleurs, à un endroit où Gerhard ne pouvait ne le suivre et dans lequel il avait pourtant plongé tête la première, le laissant seul dans cet endroit inconnu.

Gerhard hésita à ramener sa main à lui, tremblante qu'elle était, autant qu'une feuille agitée par le vent qui soufflait, sans pitié, sur Nitescence. Opale ne pipait mot ; et puis tout à coup, il expira profondément, se dégonfla comme un ballon crevé par un clou. Il esquissa un pas en avant - manqua de se ramasser la figure était le terme plus exact - et, enfin, se saisit de cette main que Gerhard lui présentait, paume vers le ciel et doigts tendus dans sa direction, curieux mais incapables de toucher sans autorisation.
Le contact lui coupa le souffle, comme d'habitude ; mais ce qui le fit se tendre, c'était l'urgence dans la voix d'Opale quand le Nébuleux s'exclama :


- Gerhard ! Je me sens mal.



Il aurait été incapable de dire si Opale mentait. Néanmoins il le croyait sur parole : dire de lui qu'il avait une bonne âme était sans doute prématuré, mais Gerhard lui faisait inexplicablement confiance, sur certains points en tout cas, et son honnêteté en faisait partie. Le Nébuleux était pâle par nature, et ses joues s'étaient teintées de rouge, la gêne le rattrapant alors qu'il constatait les regards qu'on leur adressait. Rien ne trahissait vraiment son mal, si ce n'est sa posture, et ce regard lointain qui l'avait afflicté quelques secondes plus tôt.



- Allons… Allons-nous asseoir quelques instants. S’il vous plait !



Non pas qu'il attendit son assentiment. Gerhard s'étonna, encore une fois, de la force de ce frêle médecin, qui était pourtant capable de le traîner à sa suite avec une facilité déconcertante. Ils étaient liés par leurs mains, et autant qu'il redoutait cet instant où leurs paumes se touchaient, il ne voulait pas laisser échapper ce contact entêtant, ni familier ni inconnu.





Opale l'attira à un banc et se laissa tomber de tout son léger poids. A l'instar de ce jour où ils s'étaient rencontrés, Gerhard craignit que le vent ne l'emporte : si près de la mer, il soufflait sans pitié, soulevant ces mèches blanchâtres négligemment ordonnées en une queue-de-cheval qui prenait petit à petit le large.

Gerhard considéra le banc d'un oeil critique. La peinture était écaillée, et le peu qu'il voyait du bois naturel ne lui inspirait pas confiance. Il ne comptait pas rester debout sans rien dire à côté d'Opale, cependant : sa silhouette suffisait à le faire paniquer, et après un tel vertige - il ne parvenait pas à trouver un autre mot pour qualifier la soudaine affliction qui avait saisi le Nébuleux - Opale n'avait pas besoin d'un épouvantail à ses côtés. Gerhard s'assit, les cuisses bandées prêtes à se relever si jamais le banc venait à s'écrouler sous leur poids combiné.



- Oh, pardonnez-moi.



Le Nébuleux tenta vainement d'arranger ses mèches avec ses mains tremblantes. Gerhard suivit le geste des yeux, les siennes posées en évidence sur ses cuisses, l'une d'entre elles considérablement plus froide que l'autre. Il se pencha légèrement vers Opale, ouvrit la bouche pour lui dire qu'il n'avait rien à faire parodnner ; le médecin, cependant, le coiffa au poteau :



- Pardonnez-moi car… Vous n’allez pas bien, n’est-ce pas ?



Il referma sa bouche dans un cliquetis avalé par les bourrasques. Cette île, décidément, lui prenait tout. C'était probablement pour le mieux : il aurait été incapable de former un mensonge convaincant, et visiblement Opale n'avait pas besoin de le voir pour comprendre que quelque chose clochait. C'était mortifiant.

Le médecin pressait ses paumes sur son visage, s'affaissant totalement contre le dossier inconfortable du banc. Gerhard sentait les lattes lui rentrer dans les cuisses, et lui qui n'avait que la peau sur les os devait se retenir de se dandiner pour chasser l'inconfort qui s'installait progressivement dans ses tendres muscles.



- Je vais être honnête car… Car je vous apprécie, dit Opale en se tournant vers lui. Je sais, je sais bien, cela ne fait pas longtemps, mais vous êtes si patient. Ce qui vous arrive ne doit pas être évident pourtant, j’en suis certain mais… Je suis désolé si je vous ai brusqué. J’aurais du vous demander avant de vous entrainer chez ces gens. Ou vous présenter. Ou prendre votre manche. Je suis vraiment un rustre !



Opale déglutit. Gerhard l'entendait à peine. Le sang battait à ses tempes comme un tambour de guerre.



- Ou vous parler de mon pouvoir, vous dire que je… Une inspiration, et puis : Je peux… Ressentir. Ce que vous… Enfin. Vos émotions.



Encore une fois il pensa, Cette île ne me laisse rien du tout. Pas son langage, pas sa liberté ; et, désormais, pas sa personne. Il y avait quelque chose de rassurant dans la contrition du médecin : il avait l'air aussi désolé que possible, son visage un vrai livre ouvert que quiconque lisait sans la moindre difficulté.

C'était sûrement se raccrocher à ce qu'il lui restait, cependant, c'est-à-dire pas grand chose. Opale était la figure même de la culpabilité : assis comme un petit enfant grondé par son maître, ses mains serrant ses genoux avec une poigne qui ne l'étonnait même plus. Gerhard les lui aurait bien manipulé pour qu'elles relâchent un peu de cette douloureuse pression ; mais pour cela, il aurait fallu qu'il soit un autre homme, plus assuré, moins couard, et il n'était que Gerhard, qui venait d'arriver à Nitescence et qui avait déjà des tas de problèmes qui trois semaines auparavant n'existaient pas.



- Ah- ! Pas... Pas tout, seulement les plus puissantes, celles qui vous font du mal.





Oh, songea-t-il avec une ironie dépréciative, il allait bien s'amuser, dans ce cas. Si seulement s'amuser voulait dire "se prendre trois coups de poing dans un plexus métaphorique". Il était médecin, cependant, il irait bien... sans doute.


Opale le scrutait. S'il s'était s'agit de quelqu'un d'autre, avec une vue intacte, il se serait senti épié, décortiqué comme un insecte dans un laboratoire. Mais c'était Opale, qui ne devait voir de lui qu'une tache aux contours informes, peut-être deux billes à la place des yeux, et guère davantage. Il ignorait l'étendue de son handicap, et à dire vrai il ne poserait pas la question. Il n'avait pas envie de découvrir qu'il s'était fourvoyé, encore




- Puis-je… prendre votre main, Gerhard ?





Il eut l'impression que leurs places s'étaient échangées : dans la rue, ç'avait été lui qui avait tendu la main vers Opale, une offre silencieuse qui avait été saisie à la première opportunité. Le médecin le regardait avec une telle honnêteté : figure éthérée maltraitée par le vent, voici que le soleil pointait à travers les nuages pour la frapper doucement de quelques timides rayons.






Gerhard prit sa main. Elle était froide, mais il ne doutait pas que lorsqu'il la lâcherait, il serait d'autant plus glacial.


Il la détailla du regard. C'était une main ordinaire. Une paume, cinq doigts ; et des pouvoirs en jaillissaient tellement naturellement qu'il sentait qu'il aurait dû être intimidé, mais il n'en était rien. Impressionné, oui, mais guère davantage. Il n'avait pas peur, en tout cas. C'était sûrement ce qui comptait le plus, en tout cas pour Opale, qui avait à coeur son confort. Gerhard percevait, sous la pulpe de ses doigts et sa paume, toutes les pores de la peau du médecin, abîmée par les années et l'usage. Souffrait-il, lorsqu'il utilisait ses pouvoirs ? Plongé dans son inexplicable jalousie, Gerhard n'avait pas pensé à tout ce qu'Opale devait ressentir en guérissant ces personnes qui dépendaient de lui.




- Pas de secret, donc, dit-il plutôt, avec une pointe de ressentiment dans la voix. Pas pour vous, en tout cas.




Ce n'était pas ce qu'il avait voulu dire. Pas en premier, en tout cas. Mais quelque chose avait mordu en lui et son premier instinct était de se défendre contre cette agression qui avait surgi d'entre les ombres, et qui y était retournée aussi sec aussitôt sa tâche accomplie.


Gerhard secoua la tête, une excuse lui échappant à mi-voix. Il devait se ressaisir. Ils n'avaient pas besoin de ça maintenant : Opale lui offrait une honnêteté à laquelle il ne pouvait répondre par des insultes. Ce n'était pas bien. Ce n'était pas juste.


Il jeta un coup d'oeil à côté d'eux, mais rien ne justifiait qu'il s'y intéresse davantage qu'à Opale : il redirigea son regard sur le Nébuleux, et constata qu'il était observé en retour. Il tressaillit, à peine, mais juste assez pour que l'autre ne le sente au travers leurs mains liées.




- Je suis désolé pour vous, souffla-t-il avec un humour qui le laissa lui-même de marbre. Je ne suis pas exactement... Mon arrivée ici m'a quelque peu... désarçonné. Je ne suis pas le plus stable de tous les habitants de cette île.




C'était tout ce qu'il pouvait offrir : des excuses, et encore des excuses. Opale en aurait trop d'ici la fin de la semaine, à n'en point douter, il pourrait débuter une collection sous quelques jours. Gerhard lui en laissait trois. C'était plutôt généreux, tout compte fait.


Soufflant doucement pour tenter d'apaiser la culpabilité qui lui tordait la gorge - après tout, si l'autre pouvait ressentir ses émotions négatives, mieux valait se maîtriser du mieux qu'il pouvait - Gerhard lui serra doucement la main. Il y avait un certain réconfort dans cette fraîcheur diffuse qui lui gelait les phalanges.




- J'imagine que votre vertige était de ma faute. Je...




Il s'humecta les lèvres.




- Dites-moi comment je peux vous aider. Ce n'est pas juste, que vous ayez à subir mes humeurs ainsi.




Il songea que, pour un psychologue, il avait de très mauvaises solutions. Mais, assis sur un banc miteux et bercé par le mistral et le soleil qui frappait doucement ses cheveux corbeaux, il s'avouait être dans une impasse. Comment aider un empathe autrement qu'en supprimant soi-même ce qui gênait ? Ils étaient visiblement coincés avec l'autre pour des mois entiers. Il s'inquiéterait de son manque d'intimité plus tard, dans sa chambre de préférence. En attendant, ils étaient dehors, et il ne voyait pas quoi faire d'autre. Il ne savait pas. Il ne savait, au final, pas grand chose.
Mar 27 Fév 2024 - 0:05
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Opale Caladrius
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Ah… Encore cette impulsivité. Sa main tendue ne tremblait pas, mais Opale se sentait profondément coupable. Les pensées hostiles qui le parcouraient encore dans le lointain de sa conscience n’étaient pas étrangères à Gerhard. Peut-être… Devait-il être plus simple. Mais Opale n’avait jamais réussi à l’être. Simple, correct, efficace, créature épurée et conforme à ce qu’on attendait de lui. Cela lui avait valu des coups par le passé et à présent, il ne voulait plus se réprimer à exister comme il l’entendait.

Les doigts francs, tendus, glissèrent doucement contre ceux de son colocataire. Sa main était chaude, rassurante. Le grain de sa peau encore tendre, teinté par la jeunesse. Opale ferma les yeux, laissant la chaleur se diffuser contre sa paume, soupesant le léger poids que l’autre mettait dans sa poigne. Les battements de son cœur s’apaisèrent progressivement et il fit l’effort de replacer ses barrières mentales. Eriger les murs qui le protégeaient de ces attaques inattendues, comme autant de vagues s’éclatant contre une falaise érodée.

« pas de secret pour vous » sonna, plein d’amertume, Opale l’encaissa. Il le méritait. Il le… Méritait. C’était la vérité, après tout. C’était son fardeau originel. Petite pièce pour grand cœur. Pas de miroirs, pas d’amour, pas d’ouvertures. Confiné dans une aile solitaire aux murs épais, le caladre était un oiseau enfermé dans sa cage, peau et vie animale. Mais il n’avait pas fini ainsi et c’était difficile de s’excuser de ce qu’il était, naturellement. Un être profondément impersonnel. Immonde, sale et peint des sentiments des autres. Le médecin rigola doucement à ces paroles, un rire piqué. Il détourna le regard pour le poser sur les mains, les fixant désespérément, comme si ces doigts emmêlés était ce qui gardait le lien.

Gerhard murmura une excuse bredouillante mais Opale le remerciait silencieusement de son honnêteté. C’était mieux ainsi. Qu’il l’insulte. Qu’il se mette en colère. C’était… Oui, c’était mieux comme ça. Il sentit son nez le piquer et renifla, jetant son regard à la mer avant de le reporter sur la silhouette de Gerhard. Tiens… L’une de ses mèches formait une drôle de houppette sur le dessus de sa tête. Il s’excusa, de nouveau. Les doigts d’Opale se serrèrent doucement sur les siens, reposant son poignet contre sa cuisse.

-Oh, non, le vertige n’était pas…

Se justifia Opale quasi immédiatement à la fin de ses dernières paroles. Il devait choisir ses mots avec plus de soin que ça. Arrêter de parler sans réflechir. Ennuyé par ses propres manières il soupira, détendant ses épaules qui étaient crispées, une douleur irradiait dans sa nuque.


-Je vais tenter d'être clair alors... Lorsque je soigne des patients, je ressens leur douleur. La peur, la souffrance, le chagrin, la panique, toutes vos afflictions, je peux les apaiser. Les prendre en moi et les… Adoucir. 

Il réfléchit un instant, agitant la tête pour dégager une boucle qui tombait juste devant son regard, barrant son visage. L’humidité et le sel contenu dans le vent bouclait ses cheveux plus qu’a l’accoutumée.

-Il n’y a rien que vous puissiez faire, Gerhard.

C’était simple. Franc. Honnête. On ne pouvait changer les gens. Le médecin l’avait soufflé avec force et conviction. Comprendrait-il… ?

-Il y a des années de cela, je me suis ouvert au monde par une porte dérobée. C'est inimaginable ce que chacun porte en lui. Le choc m’a abasourdi, j’ai cru devenir complètement fou ! Me tuer aurait été la solution mais… Je me suis rendu compte que je pouvais soulager, juste le temps d’un instant, ces épées de Damoclès. C’est naïf, je sais, complètement idiot peut-être.

Opale s’était adouci, son expression se fit plus lointaine et il ferma les yeux, appuyant son épaule contre le dossier du banc. Pauvre homme. A peine arrivé et il déversait déjà ses problèmes sur lui. Mais ça, il n’en parlait quasiment à personne. Il n’y avait RIEN a faire, il l’avait dit et le répéterait encore et encore.  Alors, il souhaitait simplement qu’il comprenne. Ne culpabilisez pas. Ne changez pas pour moi. Les conséquences, Opale les assumait.

-Je pense que vous comprendrez mieux pourquoi je m’isole tout là-haut !

Finit-il par lâcher avec un petit rire après quelques secondes pensives. Il se secoua, parcouru de frissons le long de son dos. De froid ou de soulagement, il ne saurait trop dire.

-Vous savez écouter les gens, n’est-ce pas ? C’est facile de vous parler. Et puis, vous avez un sacré contrôle de vous-même, je ne le dis pas a tout le monde ! La nature humaine est un mystère pour moi, un jour peut-être vous m’éclairerez. Je n’ai jamais rencontré de psychologue auparavant mais vous avez quelque chose de…

Opale avait reporté son regard sur sa silhouette, semblant réflechir au terme approprié.

-Doux… Hm… compatissant.

De grands bras dans lesquels se réfugier. Si cet homme avait déjà eu une petite amie, cela avait dû être confortable. Enveloppé ainsi dans un large manteau d’incertitudes. Opale hésita avant d’ajouter avec un petit sourire attristé.

-Enfin, vous savez, je ne me vexerai pas si vous décidez de ne plus partager mon toit… Bon, peut-être un peu, mais je m’en remettrai. Et puis, c’est mon problème. 
 
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Mar 27 Fév 2024 - 1:39
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Gerhard Speckmann
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Les épaules d'Opale perdirent progressivement de la tension qui les habitaient. Les yeux fermés, le médecin inspirait profondément ; le geste avait l'air douloureux, et Gerhard se demanda si leur contact physique l'aidait ou, au contraire, le déconcentrait davantage. Ces pouvoirs qu'il décrivait devaient être handicapants au quotidien, nécessitaient sûrement un contrôle total de sa personne, surtout lorsqu'il était entouré par d'autres. Avait-il vraiment besoin de quelqu'un d'aussi imprévisible à ses côtés, dans son quotidien ?
Gerhard savait déjà que la réponse était "non". Il savait également, alors qu'Opale lançait un regard nostalgique vers la mer qui s'étendait devant eux, que le Nébuleux ne le mettrait jamais à la porte. 



- Oh, non, le vertige n’était pas…


Opale inspira profondément. Chez quelqu'un d'autre, Gerhard aurait pris ça pour de la colère ; mais du peu qu'il avait connu d'Opale, c'était une personne posée, maître de lui-même en quasiment toutes les circonstances - sa panique de ce matin n'était pas oubliée, mais considérée comme cette exception qui confirmait la règle - et Gerhard le voyait dans sa posture, alors qu'il rassemblait ses pensées et ses mots.

- Je vais tenter d'être clair alors... Lorsque je soigne des patients, je ressens leur douleur. La peur, la souffrance, le chagrin, la panique, toutes vos afflictions, je peux les apaiser. Les prendre en moi et les… Adoucir. 



C'était à la fois... pratique et terrible, il supposait. 

Regrettait-il d'être humain ? Non. Il ne jalousait pas ces existences étirées, ces créatures pour certaines chassées. Tous les pouvoirs du monde ne lui ferait pas abandonner sa vie qui avait été, jusqu'à présent, calme et sans histoire. Seul son père avait ce pouvoir, pensa-t-il, cet homme qu'il n'avait jamais connu, dont sa mère n'avait jamais parlé. Il peinait déjà à se souvenir de ce qu'il avait fait trois mois auparavant : comment charger son cerveau de milliers d'années sans exploser ? Il vivrait rapidement, la flamme sitôt allumée, sitôt éteinte, mais pleinement. Et surtout, librement.

Opale avait-il eu le choix ? Il soignait : c'était son métier, mais Gerhard se demanda si cela n'avait pas été tout simplement sa destinée. S'il avait été mis dans cette position par le seul hasard de sa naissance, pour ne jamais en sortir, sous aucun prétexte.



- Il n’y a rien que vous puissiez faire, Gerhard, dit Opale avec conviction, qui lui donna envie de le presser davantage et de le croire tout à la fois. Rien à faire, vraiment ? Etait-ce la vérité, ou simplement ce qu'Opale croyait, parce qu'il n'avait jamais trouvé de solution ?

C'était peut-être présomptueux de sa part. Opale était multi-centenaire, lui avait vingt-sept ans. Il refusait de croire, cependant... Ne pas avoir d'espoir, c'était...



- Il y a des années de cela, je me suis ouvert au monde par une porte dérobée. C'est inimaginable ce que chacun porte en lui. Le choc m’a abasourdi, j’ai cru devenir complètement fou ! Me tuer aurait été la solution mais… Je me suis rendu compte que je pouvais soulager, juste le temps d’un instant, ces épées de Damoclès. C’est naïf, je sais, complètement idiot peut-être.



Opale s'appuya contre le banc. Ses paupières s'abaissèrent. Gerhard l'aurait cru endormi si ce n'est pour la teneur de la conversation, qui lui l'électrisait. Réfléchir autant, à la traduction de ces mots prononcés avec douceur, à comment il pouvait y répondre sans mettre les pieds dans le plat, surchauffait son cerveau. Il aurait voulu lui dire qu'il n'était pas un idiot ; que c'était honorable, puissant, mais pas idiot. Ou juste à peine. Mais comment le formuler d'une manière qui soit convenable, qui n'empiète pas sur les fines limites qui s'étaient instaurées entre eux à leur rencontre ?

Le médecin, inconnu à ces troubles, rit, dit :

- Je pense que vous comprendrez mieux pourquoi je m’isole tout là-haut ! Oui, et Gerhard regrettait d'avoir été mis dans la position de l'intrus, l'inconnu qui mettait tout sens dessus-dessous. Regret, et colère pour le Nébuleux. A quoi pensait cette Matriarche en soumettant son médecin à ce traitement ? Vous savez écouter les gens, n’est-ce pas ? C’est facile de vous parler. Et puis, vous avez un sacré contrôle de vous-même, je ne le dis pas a tout le monde ! La nature humaine est un mystère pour moi, un jour peut-être vous m’éclairerez. Je n’ai jamais rencontré de psychologue auparavant mais vous avez quelque chose de…



Il le dévisagea de haut en bas. Gerhard dut se retenir de gigoter. Malvoyant ou non, le regard d'Opale était étrangement inquisiteur quand il le voulait.



- Doux… Hm… compatissant.



Cette fois-ci, il rougit. Les compliments - en était-ce ? - venaient tellement de nul part que son cerveau cessa de cogiter dans un grand bruit de pneus crissant sur la route.



- Enfin, vous savez, je ne me vexerai pas si vous décidez de ne plus partager mon toit… Bon, peut-être un peu, mais je m’en remettrai. Et puis, c’est mon problème. 



Son sourire dépréciatif monta à la tête de Gerhard. Il ne bondit pas, mais ce n'était pas loin, alors qu'il disait avec fermeté :



- Ne dites pas n'importe quoi.



Il souhaita instantanément avoir une machine à remonter le temps, si ce n'est pour dix secondes, pour se frapper lui-même avant que ces mots n'aient le temps de sortir de sa bouche. C'était bien ce qu'il disait : comment s'exprimer correctement sans passer pour un rustre ? Cette conversation nécessitait soudainement un certain doigté qu'il ne possédait pas, en tout cas dans cette langue. Quoiqu'il n'était pas certain d'être plus subtil en allemand.

Ce n'était pas le moment de tester. Gerhard imaginait déjà l'air contrit d'Opale s'il lui sortait des du bist ein bisschen dummrede keinen Unsinn et ich kann dich nicht verlassen, ich hätte keine Ahnung, wohin ich gehen soll.



Gerhard inspira. C'était toujours mieux d'inspirer avant de dire quelque chose. Une inspiration, c'était la différence entre une connerie et une remarque intelligente.



- Je suis là depuis trois jours, expliqua-t-il lentement. Et il y a beaucoup de choses que j'ignore. Vous êtes...



Il lui serra doucement les doigts. Habitué à la fraîcheur de la peau, elle était à une température que son corps avait jugé comme étant acceptable ; et si ses doigts étaient légèrement bleuis par ce contact prolongé, eh bien cela ne concernait que lui.



- Vous êtes familier, conclut-il. Autant que quelqu'un puisse l'être en trois jours. Si vous voulez toujours de moi chez vous, ce serait un plaisir de... Enfin, de rester.


Un plaisir, et un soulagement. Gerhard n'avait pas envie de contrevenir aux ordres qui lui avaient été directement donnés par une figure qu'il n'avait encore jamais rencontré, et qui planait au-dessus de l'île telle la déesse souveraine qu'elle était. Gerhard ne croyait pas en Dieu, et le patronyme de la Matriarche le laissait de marbre. Ce n'était pas pour autant qu'il allait commencer à faire n'importe quoi dès à présent. 

Il attendrait quelques semaines, au moins. Juste pour leur laisser le temps de baisser leur garde, qu'ils passent à autre chose ; et ensuite, il pourrait bien faire ce qui lui chantait. Comme chercher son père, par exemple.

Ce n'étaient pas des choses qu'il dirait à Opale. S'il ne pouvait pas garder ses émotions pour lui, ses buts, eux, resteraient secrets. Du moins, pour l'instant. Plus tard... Il aviserait lorsque plus tard viendrait. Rien ne servait de tergiverser sur des hypothétiques : le présent était ici, avec Opale en face de lui, leurs mains jointes, leur conversation avec la mer comme témoin.
Mer 28 Fév 2024 - 17:18
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