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Le patient | ft. Ezekiel [FINI] :: Archives :: Bibliothèque des anciens RP :: Présent
Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Comme Gerhard s'y attendait, ses aptitudes, et surtout son diplôme, allaient être mises au service des habitants de l'île. A compter de maintenant, il en était le premier et l'unique psychologue, chargé d'écouter, rassurer et conseiller des créatures bien plus âgées que lui, et reporter tout cela à une mystérieuse personne que l'on appelait la Matriarche.

D'une certaine manière, cela ne le changeait pas de son quotidien qu'il avait quitté il y avait de cela quelques semaines. A quelques points près, cependant : il n'avait été fait mention d'aucun salaire, l'argent étant apparemment superflu à Nitescence, un concept bien étrange pour n'importe quel nouvel arrivant ; la perspective de balancer tout ce que raconteraient ses patients à quelqu'un, également, ne le seyait que peu. Gerhard tenait le secret médical en haute estime : qu'on lui demande de le bafouer sans vergogne ne lui plaisait pas du tout.

Mais que pouvait-il y faire ? Ce n'était pas lui qui dictait la loi, c'était cette Matriarche terrée dans un manoir tenu à l'écart de Lucent. Ses mots étaient reportés par des gens plus puissants que lui ; plus puissants qu'Opale, même, qui avait pourtant un rôle important dans cette petite communauté. Ce n'était pas lui, pauvre humain complètement perdu dans les rues du village, qui allait se rebeller. Il supposait que l'ordre n'était pas dénué de sens, également : les Nébuleux étaient pour la plupart puissants, et il suffisait parfois d'un seul accident pour tout faire basculer.

Cela ne voulait pas dire qu'il approuvait, mais il entrevoyait la justesse de l'argument.



On avait installé son office au centre communautaire, un endroit qu'Opale lui avait indiqué précédemment, et auquel on le conduisit pour cette journée. Toujours la même Nébuleuse, Emilia, dont le stoïcisme aurait rendu jalouse une porte de prison. Gerhard n'avait même pas essayé d'entamer la conversation ; un mur aurait eu plus de répondant, et il n'avait guère envie de passer pour un fou en discutant avec un morceau de placo.

Le centre communautaire était... sympathique. Gerhard n'en aperçu que quelques couloirs, qu'il mémorisa promptement pour les prochaines fois où il viendrait. Il avait la clé de son bureau en main, et lorsqu'il poussa la porte il ne put s'empêcher de soupirer de contentement. C'était sûrement l'illusion d'une vie privée, mais il avait enfin un espace rien qu'à lui.

Un bureau, deux chaises de part et d'autre : une lampe sur ce dernier, avec une machine à écrire à l'autre extrémité. Deux bibliothèques avaient été poussées contre un mur. Un tapis aux couleurs lavées par le temps ornait le sol aux planches grinçantes. Une ampoule à nu se balançait au plafond, assez inutilement considérant que toute la lumière rentrait par une grande fenêtre donnant sur la rue. Ils étaient au premier étage : aucun risque que les passants ne les observent, son patient et lui.

Gerhard fit son chemin jusqu'au bureau sans un bruit, sur lequel il posa son sac à bandoulière. Cette fidèle musette l'avait accompagné tout du long de ses études, et voir un objet aussi familier au milieu d'un environnement aussi étranger lui mettait un peu de baume au coeur.



Gerhard s'assit avec précaution dans la chaise et grimaça en sentant la paille du siège lui rentrer douloureusement dans les cuisses. Il ne s'était certes pas attendu à de la grande qualité, mais... Il lança un coup d'oeil désabusé à la chaise vide qui lui faisait face, celle dans laquelle s'installeraient d'innombrables patients. Ils étaient déjà traumatisés par la vie : nul besoin que son cabinet ne devienne une autre fabrique à cauchemar.

Il fallait qu'il évite de trop se projeter. Si tout se déroulait comme prévu, il trouverait son père bien assez tôt, et sans doute qu'il partirait de Nitescence aussi vite qu'il en était venu.

Malgré tout cela, Gerhard ne pouvait s'empêcher d'imaginer toutes les manières qui lui permettraient d'améliorer cette petite pièce qui était pour l'instant la sienne. Mettre un abat-jour à l'ampoule, remplacer les rideaux en dentelle décrépie, rajouter quelques meubles de bureau où il pourrait ranger ses affaires et ses dossiers, changer le papier peint franchement déprimant...



Il chassa ces préoccupations de son esprit d'un geste de la main agacé. Ce n'était pas le moment de se faire un emploi du temps des prochains jours. D'ici quelques minutes, il aurait quelqu'un devant lui, et il devait se tenir prêt : c'était, en tout cas, ce qu'avait affirmé Emilia.

Il y avait quelque vérité dans ce qu'elle avait dit : un dossier en papier avait été négligemment posé sur son bureau, tenu fermé par l'élastique de la pochette en carton. Gerhard le frôla doucement, grimaça en sentant la poussière rouler sous son doigt. Tout dans cette île puait le vieillot et le vivant tout à la fois, une sensation quelque peu déroutante. Gerhard ouvrit la pochette, capta quelques informations du premier coup d'oeil - Ezekiel Oldenbourg, Nébuleux, professeur - mais surtout, la mission qui lui avait été confiée : Assurez vous que cet homme soit apte à enseigner.

Gerhard leva un sourcil consterné en déchiffrant ces mots - son anglais se dérouillait petit à petit, mais les lettres cursives rendait le décryptage compliqué - et soupira, dégageant quelque peu le col de sa chemise pour se permettre de respirer plus facilement. Comment ça, "assurez vous" ? On confiait donc des enfants à des personnes dont on ignorait l'aptitude à enseigner ? Gerhard ne put s'empêcher d'y voir une certaine ironie : on l'avait fait poireauter des jours durant, à l'en faire se ronger les sangs, avant de lui confier la moindre tâche, mais certains n'avaient apparemment pas eu le droit à cet "égard" ? Quelle chance...



Il expira lentement pour se redonner une certaine contenance. Comme à chaque fois qu'il tentait quelque chose de nouveau, son coeur s'était mis à battre à tout rompre dans sa poitrine. C'était son épreuve du feu : il avait quelqu'un à évaluer, d'ici peu de temps, il le sentait. Et gare à lui s'il échouait ; mais c'était une éventualité à laquelle il préférait ne pas penser.
Sam 17 Fév 2024 - 22:56
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Ezekiel Oldenbourg
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Ezekiel Oldenbourg
 

Le (meilleur) patient


Ezekiel fut éperdu d'étonnement lorsqu'un doux matin on lui intimait l'ordre de consulter un psychologue. Au début, une nervosité terrible s'empara du dragon, cherchant ardemment la raison de cette prescription. Il ne tarda cependant pas à comprendre que la démarche visait à s'assurer de sa capacité à enseigner. Non pas en raison de son expertise pédagogique, car il avait été engagé sans la moindre hésitation malgré l'absence de diplôme. Leur préoccupation profonde résidait plutôt dans son âge vénérable, témoin des affres de la maladie, de la guerre et de la famine, et toujours vaillant.

Il avait souvent médité sur la possibilité que la matriarche redoutât qu'un jour, pris d'une pulsion incontrôlable, il ne tente d'engloutir l'île au cœur d'une étendue d'eau majestueuse, incarnation même de son don. Se demanda-t-il s'il existait une stratégie réfléchie pour contrer une telle éventualité. Ezekiel, malgré la puissance de son être, avait ses propres vulnérabilités soigneusement gardées en réserve.
 
Conscient de cela, et peut-être dans l'empressement de le considérer comme un allié plutôt que comme un adversaire potentiel, l'intérêt pour sa capacité à évoluer parmi de jeunes créatures influençables semblait surgir après plusieurs jours. Un souci tardif, peut-être, mais nécessaire pour déterminer s'il était véritablement apte à guider ces âmes en devenir, entre la sagesse et la tempête intérieure qui animait son être.
 
Ainsi fut désigné à Ezekiel un psychologue chargé de vérifier son aptitude, un choix qui lui avait été imposé sans possibilité de manœuvre, probablement pour écarter tout soupçon de fraude. Cependant, au regard de la facilité déconcertante avec laquelle il avait embrassé une carrière initialement étrangère à ses compétences, le dragon commençait à émettre des doutes persistants quant à la légitimité de ce psychologue, imaginant qu'il avait peut-être acquis son diplôme dans une pochette surprise. Une ironie comique, pensa-t-il, que deux imposteurs se croisent en toute conscience.
 
Ce qui le fit sourire, c'était la situation cocasse qui se dessinait. En mille cent ans de vie, le dragon n'avait aucun souvenir d'avoir eu recours à un psychologue, trouvant le concept aussi ridicule qu'essentiellement humain. La fragilité de l'humanité s'étendait donc bien au-delà de leur physique peu avantageux. Le besoin de payer quelqu'un pour écouter les méandres de leur existence, de leurs angoisses et de leurs soucis, lui paraissait tout simplement déconcertant. Qui, après tout, avait le temps, si peu d’ennui dans sa vie et l'envie d'endurer les tourments d'autrui tout au long de la journée ? Cette constatation seule suscitait en lui une méfiance naturelle. Un dragon millénaire, pensait-il, n'avait nul besoin de l'aide de quiconque pour affronter les défis d'une existence prolongée, surtout lorsque personne ne pouvait véritablement le comprendre. Cependant, aujourd'hui, on ne lui laissait guère d'autre choix. Malgré la façade mielleuse de l'individu qui était venu lui annoncer cette nouvelle réalité, Ezekiel s'était résigné, se soumettant à cette épreuve imposé, conscients que c'était probablement ce que désiraient ses maitres : qu'il se plie aux tests nécessaires pour demeurer sur cette île.
 
Ainsi, Ezekiel comprit qu'il ne pouvait se permettre de montrer le moindre signe de mécontentement, conscient que cela risquerait de ternir irrémédiablement l'image qu'il projetait. Surtout que le psychologue désigné était incontestablement un proche de la matriarche, une figure de confiance dont la loyauté pourrait être exploitée pour plaire à la dirigeante. Tout indice de réticence de sa part pourrait se transformer en une arme pointée contre lui à la moindre suspicion.
 
Dans son esprit, ce psychologue représentait un ennemi supplémentaire à affronter. Cette conviction l'incita à rechercher davantage d'informations sur cet individu, révélant finalement qu'il était humain. Cette simple découverte apaisa quelque peu Ezekiel, bien qu'il demeurât profondément prudent. Bien qu'il soutînt fermement le contexte de cette évaluation psychologique, il ne voyait en cet homme qu'une acceptabilité suffisante pour ne pas devoir l'éliminer. En d'autres termes, il n'avait pas de plan B en cas de déroulement contraire à ses désirs.
 
Revêtant son manteau, Ezekiel coiffa soigneusement sa longue chevelure récalcitrante, réticente à toute tentative d'aplatissement. Puis, refermant la porte derrière lui, il se dirigea vers le centre communautaire où il serait attendu. Demandant quelques renseignements en cours de route pour éviter tout détour malheureux, il s'achemina vers un rendez-vous qui s'annonçait plus complexe qu'il ne l'avait initialement imaginé.
 
La nervosité s'emparait inévitablement d'Ezekiel, une réaction parfaitement normal face à l'inconnu qui l'attendait. Cependant, était-ce bien logique ? Que devrait-il révéler de lui-même ? Serait-ce une sorte d'interrogatoire déguisé visant à s'assurer de sa loyauté envers les directives établies ? Peut-être tout le monde était-il soumis à un tel examen ?
 
Incapable de déterminer s'il devait s'attendre à être convoqué ou s'il devait prendre l'initiative de se présenter, il se retrouva devant une porte dont l'emplacement lui avait été vaguement indiqué. Il murmura alors pour lui-même, tentant de trouver un certain réconfort dans l'auto-apaisement :
 
-        Verdammt, chum zerou, du heissisch Kieleze... nei! Ekeziel Oldäburg. EZEKIEL, ach, und wo isch mini Portemonnaie, i hani i mim Mantele gleit! *
 
Ezekiel, en proie à la nervosité, avait une fâcheuse tendance à basculer dans la mauvaise langue, un trait qu'il avait fort heureusement réussi à éviter avec Monsieur Miaou. L'embarras de cette situation aurait été difficile à surmonter, mais il en était sorti indemne.
 
Après une fouille minutieuse au fond de ses poches, il retrouva son porte-carte. Ignorant complètement les modalités de paiement ou la nécessité d'une pièce d'identité, il se présenta à la porte, comptant sur la personne qui l'accueillerait pour le guider.
 
-        Grüezi... Bonjour, pardon, balbutia-t-il, oscillant entre les langues. Je suis... Ezekiel Oldenbourg. On m'a annoncé que je devais venir vous voir aujourd'hui pour... euh... je ne sais pas trop. Ah, si ! Enfin, pour que je puisse exercer mon métier?
 

*Traduction:  bon sang, , calme-toi. Tu t'appelles Kieleze...non! Ekeziel Oldenbourg. EZEKIEL, rah et où est mon porte-carte, je l'avais mis dans mon manteau!
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Dim 18 Fév 2024 - 16:05
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Il s'était à peine calmé que des pas avaient retenti de l'autre côté de la porte, des pas qui venaient assurément dans la direction de son cabinet. Gerhard se redressa un peu plus, repassant mentalement son apparence : col ajusté, pantalon enfin propre grâce à Opale, et chaussures vernies. Ses cheveux étaient quelque peu en pétard, mais ça c'était comme d'habitude.
Son patient n'entra pas tout de suite. Gerhard l'entendit murmurer dans une langue dont les accents lui rappelaient son allemand natal, avec cependant quelques menus changements, un accent différent. Il regretta de n'avoir pas eu davantage de temps pour feuilletter ce dossier qui, s'il n'était pas très rempli, devait néanmoins contenir bien assez d'informations sur la personne qu'il allait rencontrer. Il savait que c'était un Nébuleux, et avait son nom ; le reste était un parfait mystère dont la solution allait promptement se présenter à lui.

Car la poignée tournait, le dénommé Ezekiel ayant achevé de prendre son courage à deux mains, et choisi d'en libérer une pour finalement rentrer dans ce cabinet désuet.

- Grüezi... Bonjour, pardon. Je suis... Ezekiel Oldenbourg. On m'a annoncé que je devais venir vous voir aujourd'hui pour... euh... je ne sais pas trop. Ah, si ! Enfin, pour que je puisse exercer mon métier ?

Gerhard se leva. Il n'avait pas envie de paraître trop froid en restant planté sur sa chaise, fort peu confortable au demeurant. Il garda ses mains jointes bien en évidence devant lui et inclina légèrement la tête. Il ne se permit pas un sourire - ce n'était pas le moment de faire peur à un nouveau patient - mais espéra que son amabilité se lisait dans sa posture.

- Vous êtes au bon endroit. Asseyez-vous, je vous en prie.

Le Nébuleux s'exécuta, et Gerhard eut tout le loisir d'observer à quoi exactement il ressemblait. 

La plupart des Nébuleux qu'il avait croisé en Union Fédérale Centrale avaient une posture, une silhouette, relativement humaine. Cet homme ne faisait pas exception à la règle ; il lui tardait de croiser un jour quelqu'un qui serait bien différent en apparence. C'était autant de la curiosité que de la fascination, et les deux ne seraient pas satisfaits aujourd'hui.

Ezekiel Oldenbourg était moins impressionnant que l'image qu'il s'en était construit dans sa tête. Sûrement parce qu'il était si petit ; mais à dire vrai tout le monde était minuscule pour Gerhard, dont la tête frôlait les embrasures de chaque porte qu'il passait.

Il se rendit compte qu'il le toisait, et s'efforça d'adoucir son regard. Chose toujours difficile quand vous n'aperceviez guère que le haut du crâne des gens, Ezekiel Oldenbourg ne dérogeant pas à la règle. La seule chose qui l'élevait à son niveau étaient ses deux cornes bleutées qui lui procuraient quelques centimètres supplémentaires, et que Gerhard n'hésitait pas à ignorer dans le calcul de sa taille. C'était, quelque part, rassurant - ou en tout cas, il se rassurait comme il le pouvait avec ce qu'il avait à sa disposition - qu'un Nébuleux certainement aussi ancien qu'Ezekiel soit aussi... banal en apparence. Homme svelte, avec des cheveux d'une teinte normale, une taille normale, bref, sans ses cornes on aurait pu le confondre avec un humain.

Gerhard évita de le lui dire. Certains Nébuleux prenaient leur nature très à coeur et n'auraient pas aimé qu'on l'efface en cet étrange compliment. Et de toute façon, là n'était pas la question.


Il esquissa une grimace en se rasseyant dans cette chaise décidément très inconfortable, et partagea dans un murmure qui sonnait presque comme un secret :

- A dire vrai, cela ne fait pas longtemps que je suis sur Nitescence, et encore moins depuis que l'on m'a octroyé ce bureau. Nous ne serons pas très bien assis, et j'en suis désolé.

Il faudrait qu'il demande à Opale où diable on pouvait trouver des meubles sur cette île : changer au moins les chaises pour des fauteuils serait primordial, et s'il pouvait ramener d'autres éléments de mobilier, il ne s'en porterait que mieux. C'était certes son bureau, mais pas encore le sien, pas tout à fait, pas entièrement, pas encore.
Posant une main sur le dossier d'Ezekiel, Gerhard le balaya du bureau jusqu'à ce qu'il soit à moitié glissé sous sa machine à écrire. Il ne voulait pas que l'autre croit qu'il ne se reposait que sur des mots écrits par d'autres, et qu'il démarrait ce rendez-vous avec des préjugés. Mettre en confiance le patient, c'était la première chose qu'on leur avait appris durant leurs cours à l'université ; et quand bien même Gerhard regrettait de ne pas pouvoir lire tel ou tel détail dans ces pages qui lui avaient été précieusement confiés, son confort importait peu face à celui d'Ezekiel, qu'il devinait stressé malgré son apparence stoïque. Son hésitation devant sa porte avait été une preuve suffisante, mais Gerhard ne lui jetterait certainement pas la pierre.


- Bien, dit-il toujours sans un sourire, mais le ton léger malgré tout. Vous n'avez rien à craindre, ne vous inquiétez pas. C'est simplement une visite de routine, de ce que j'ai compris, et après ça vous n'aurez plus à voir ma tête, sauf si vous le souhaitez.

Il noua ses mains et les posa à l'évidence devant lui sur le bureau, se voûtant quelque peu au passage. Son dos lui hurlerait sa douleur ce soir, à n'en point douter. L'un des nombreux désavantages d'être grand : vous n'aviez jamais la bonne posture. Gerhard ne doutait pas qu'il terminerait sa vie rabougri, un fait avec lequel il avait fait la paix depuis bien longtemps.


- Pourquoi ne commenceriez-vous pas par me parler un peu de vous ? intima-t-il doucement, choisissant ses mots avec soin. Il avait cru entendre de l'allemand tout à l'heure mais ne voulait pas s'avancer et risquer de se tromper, et s'exprimait donc dans cet anglais halté mais correct qu'il avait appris à l'université. J'ai lu que vous étiez professeur. Comment se passe le quotidien avec les enfants ? 

Malheureusement il n'avait pas plus d'informations - ou s'il en avait, il n'avait pas eu le temps de les lire - et ses premières questions seraient donc bateau au possible. Tant pis, ils feraient avec, ils n'avaient pas le choix. Ses yeux parcoururent son bureau à la vitesse de l'éclair. Pas de stylo, évidemment ! Un fugace agacement le traversa, mais il le chassa pour se focaliser sur Ezekiel. Ces ajustements viendraient plus tard : en attendant, il se devait d'être à cent pour-cent pour son patient. S'autorisant un bref sourire qui disparut bien vite de son visage, Gerhard ouvrit grand les oreilles.
Lun 19 Fév 2024 - 19:45
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Ezekiel Oldenbourg
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Ezekiel Oldenbourg
 

Le (meilleur) patient


Ezekiel se retrouvait face à une situation aussi étrange qu'embarrassante. Dans l'ombre d'une porte, il se murmurait des pensées inaudibles, se demandant s'il ne s'était pas fourvoyé dans cette démarche-s’il pouvait encore espérer qu’on lui ait laissé le choix-. L'idée de paraître comme un intrus, voire pire, un stalker à marmonner des mots incompréhensibles, le taraudait.

 
Prêt à se dégonfler, il se tenait devant la porte, une tension palpable le saisissant. Les battements de son cœur résonnaient dans le silence. Pourtant, il franchit finalement le seuil, déposant le fardeau de ses appréhensions pour se révéler dans la lueur tamisée de la pièce.
 
À sa grande surprise, un homme s'était levé, déployant une stature imposante qui le força à lever le regard. Les yeux azur d'Ezekiel avaient croisé les siens, mais la nature de l'expression restait insaisissable. L'homme en face de lui évoquait étrangement une figure à la fois mystérieuse et bienveillante, un mélange étrange rappelant Gomez Adams.
 
Comparaison amusante.
 
Bien que son apparence ne trahissait ni hostilité ni sympathie évidente, Ezekiel se sentit soudainement vulnérable. Encouragé par le…psychologue , il s'assit, obéissant presque mécaniquement, tandis que la créature posait délicatement ses mains sur ses cuisses.
 
Un sentiment d'observation minutieuse l'enveloppait, comme si chaque détail de son être était scruté par le regard impassible du géant vouté. Malgré son aspect en apparence ordinaire, sans une aura distincte de bienveillance ou de froideur, l'homme débuta la conversation dans l'espoir probable de détendre Ezekiel. Cependant, ce dernier demeurait figé, campé droit comme un piquet, semblable à un adolescent pris en faute, sur le point d'être renvoyé de son établissement.
 
Absurde. Totalement absurde pour cette créature millénaire qui se préoccupait subitement de son sort, se demandant de quelle manière il serait traité.
 
Lui, qui avait déjà goûté aux nébuleux et aux humains, n'était que l'exécutant des autres, ou le pantin de ses propres pulsions insaisissables. Se dédouaner en rejetant la faute sur autrui était devenu un art, une manière plus agréable de survivre. Cependant, alors qu'il était scruté par le regard « inquisiteur » de l'humain, toutes ces rationalisations semblaient s'effriter.
 
Ezekiel avait choisi le mutisme dans un premier temps, préférant observer et réfléchir aux réponses qu'il pourrait offrir à l'homme. Le problème résidait dans l'impossibilité d'anticiper les réactions de son interlocuteur, ne pouvant que les suggérer. Pour pallier à cette incertitude, il s'était tourné vers certains de ses élèves qu'il jugeait « faibles », cherchant des informations sur leurs expériences chez le psychologue et comment se déroulaient leurs séances.
.
Il apprit donc que l'art de la consultation résidait souvent dans l'exploration de soi, une introspection profonde où l'on extériorisait les méandres de ses pensées, ses ressentis, ses angoisses. Le psychologue se présentait comme un auditeur « bienveillant », offrant des lignes directrices ou des objectifs à atteindre. Il entrevoyait le processus comme une sorte de travail sur soi, une réflexion approfondie basée sur des questionnements ouverts.( ?)
 
La confiance semblait être la clé, et si le patient le souhaitait, un suivi régulier pourrait être envisagé pour établir des stratégies à long terme, observer une évolution. Cependant, Ezekiel considérait tout cela comme absolument futile, éloigné de sa nature profonde et de ses préoccupations.
 
Avec une perspicacité presque attendue, le psychologue sembla entamer une tirade visant à apaiser l'anxiété palpable du dragon. Une visite de routine, une seule séance suffirait, promit-il avec un ton rassurant. Instinctivement, Ezekiel détourna son regard vers sa Longines, les aiguilles semblant s'étirer avec une lenteur délibérée dans ce moment délicat.
 
Une heure. C'était le pacte tacite qui se dessinait. Ensuite, il serait libéré de tout ce vernis psychologique, n'entendrait plus jamais parler de séances de routine, de plongées introspectives, de ressentis intérieurs. Une toute petite heure à traverser.
 
Ezekiel percevait cela comme un rite de passage, une épreuve préalable à l'accomplissement de ses propres désirs et de ceux de ses maîtres. Il prit conscience du silence persistant qui l'entourait et, malgré son aspect quelque peu maladroit, il releva son regard azur sur ceux de l’homme, dévoilant toute sa nature bestiale, avant de finalement acquiescer.
 
-        D'accord, merci de me recevoir dans tous les cas.
 
Cependant, il remarqua que le psychologue semblait peu informé de la véritable raison derrière cette rencontre, probablement orchestrée par des autorités plus élevées de l'île. Ezekiel se rendit compte de l'importance de peser ses mots, car le rapport émanant de cet humain, même rédigé avec une candeur apparente, pouvait tout bouleverser. En y réfléchissant davantage, il se demanda si le choix d'un humain plutôt qu'un nébuleux pour cette tâche était réellement le fruit du hasard. Était-ce peut-être une stratégie visant à instaurer un sentiment de confiance, soulignant ainsi que certaines personnes ici connaissaient, dans une certaine mesure, son lien étroit avec les humains ?
 
Face à tant d'interrogations sans perspectives immédiates de réponses, Ezekiel comprit qu'il devait temporiser ses propres questionnements. Il y avait des enjeux plus urgents que de se révéler comme un fouineur prêt à tout découvrir dès le début.
 
Le psychologue, mains jointes, une écoute active manifeste et une machine à écrire prête à retracer chaque détail, entama la séance d'une manière qu’il jugea de lui-même comme étant un test.
 
Ezekiel ressentit un écho déconcertant de son expérience avec monsieur Miaou dans l'approche du psychologue. Une question ouverte, délibérément vagues, semblaient déclencher un processus de partage, contraignant le dragon à parler de lui dans la crainte de trop dévoiler.
 
Face à l'évidence de la difficulté d'Ezekiel à répondre à une question aussi vaste, le psychologue sembla avoir capté sa réticence.( ?) Dans tous les cas, il ajusta donc la trajectoire de la conversation vers un terrain plus défini, évoquant le rôle du dragon sur cette île en tant que professeur. Une tentative probable de guider la discussion vers des eaux moins troubles.
 
-Oh ! Plutôt bien. Probablement que je manque encore un peu de méthode. J'ai été engagé avant tout pour mon expérience de vie... Mais j'ai aussi donné quelques cours en remplacement par le passé.
 
Il remarqua un sourire fugace sur le visage du psychologue, se demandant s'il avait rêvé ou s'il s'agissait simplement d'une interprétation rapide de la situation pour se rassurer…
 
Ezekiel fit une pause, plongé dans ses pensées. L'idée d'enseigner à des jeunes ne lui avait jamais semblé prédestinée, considérant souvent les plus jeunes comme fragiles et donc dénués d'intérêt. Il avait été forgé pour la guerre et la violence, le fléau des marins, l'épée de Damoclès des habitations côtières, le caprice météorologique du mauvais temps.
 
-        Cela fait un petit moment que j'avais envie de m'investir dans l'éducation. Lorsque j'ai eu ma… enfin… peu importe. Certains événements m'ont donné envie de… partager un certains savoir que je possède.
 
Il interrompit ses propres pensées, se rendant compte qu'il devait faire preuve de prudence dans ses paroles. Certains sujets devaient être évités, notamment la naissance de sa fille, un événement qu'il avait toujours gardé secret, surtout depuis qu'elle lui avait été dérobée.
 
Elle lui avait été arrachée, et le simple fait de penser à celui qui avait osé kidnapper son enfant éveillait en lui une fureur intense. S'il découvrait l'identité du coupable, il était plus que certain qu'il le tuerait de ses propres mains, de la manière la plus lente et cruelle possible. Même une agonie lente et douloureuse ne suffirait pas à étancher sa soif de vengeance.
 
Convaincu que le responsable ne pouvait être qu'un nébuleux, ayant su faire preuve d'audace en abaissant la vigilance d'un père et de ses maîtres, ainsi que les gardes présents, Ezekiel se sentait condamné à errer seul. C'était un autre fardeau que les nébuleux avaient ajouté à sa vie, après lui avoir enlevé ses parents.
 
Pourtant, avant de devenir un souvenir douloureux, sa fille avait été une ouverture vers un monde doux et innocent, celui de l'enfance et de l'apprentissage. Elle lui rappelait ses propres rêves et désirs, suscitant en lui le désir d'être présent pour elle, afin qu'elle ne ressente pas l'absence et la perte profonde qui avait marqué son existence, privé qu'il avait été de cette chance aux côtés de sa propre famille.
 
-        Il y a seulement quelques jours que je suis arrivé, donc il est difficile d'avoir le recul nécessaire pour déterminer un véritable quotidien, mais cela se passe bien. Ils me taquinent beaucoup, évidemment, ils sont bien plus à la page que moi et ça les fait rire. Et puis, généralement, quand je leur dis que j'ai participé à la création d'un pays, traversé plusieurs épidémies, déterminé l'issue de quelques guerres, rencontré Léonard de Vinci ou Louis XIV, ça les calme un peu.
 
À travers ce récit, Ezekiel tentait de créer des ponts entre son passé bien rempli et le monde plus simple et contemporain de l'éducation, cherchant peut-être une forme de rédemption dans le partage de son expérience avec les élèves.
 
Ezekiel haussa humblement les épaules, ses paroles décrivant une vie remarquable mais prononcées sans réelle conviction. Les méandres de ses pensées l'entraînèrent ensuite vers des souvenirs, des histoires que ses élèves trouvaient fascinantes et qui avaient le don d'apaiser même les esprits les plus rebelles, laissant derrière eux des expressions du type "quel genre de fossile venait-il d'avoir en face d'eux ?!"
 
Ezekiel possédait toute une panoplie d'histoires à raconter, un véritable kaléidoscope de souvenirs. Lorsque les flashbacks de son passé surgissaient dans son esprit, il prenait la peine de les consigner dans un carnet, préservant ainsi des fragments lointains de sa vie. Récemment, un souvenir particulièrement amusant avait émergé : son amitié avec Guillaume Tell.
 
Un jour, dans un élan de bravade, Ezekiel avait fait un pari audacieux avec Guillaume Tell, affirmant que ce dernier était bien trop maladroit pour réussir un tir aussi précis. Un défi qui avait abouti à la pose d'une pomme sur la tête du dragon. Confiant en sa propre dextérité, Ezekiel n'avait rien eu à craindre. S'il devait y avoir une erreur, la flèche aurait été immédiatement tranché en deux par les dons du dragon. Mais Guillaume Tell était lui aussi un nébuleux, alors, il était très habile. Le défi réussit, et en fin de compte, le dragon se retrouva à offrir son agneau, Seraphin, à celui qui avait triomphé de son audacieux défi. Une anecdote riche en ironie alors que l’histoire avait légèrement modifié les faits… puisque Guillaume Tell n’avait jamais eu de fils. Il n’y connaissait rien, en fille et succédait les râteaux monumentaux.
 
-        Sinon, hum… que voulez-vous savoir d’autre ?..Je n’ai franchement rien d’intéressant à raconter.
 

La déclaration était fausse, bien sûr. Avec plus de mille ans de vie, Ezekiel possédait certainement un trésor d'histoires à partager. Cependant, il n'était pas certain de comprendre ce que le psychologue cherchait à découvrir. L'idée d'introspection sur sa vie ne l'enchantait guère alors… autant que l’homme le guide un peu…
KoalaVolant
Dim 25 Fév 2024 - 9:48
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
Le silence persista, entêtant, et Gerhard désespéra d'arracher quelque réponse à cet homme qui n'en était pas un. Ce dernier avait braqué sur lui un regard inquisiteur - Gerhard pouvait presque apercevoir les rouages qui tournaient à plein régime sous son crâne - et il crut voir, au plus profond de ces prunelles bleues, une lueur qui n'avait rien d'humain.

Puis la tension éclata comme une bulle de savon, Ezekiel marmonnant à son attention :

- D'accord, merci de me recevoir dans tous les cas.

Ce n'était pas une réponse, pas tout à fait, mais c'était un début. Gerhard n'aurait su que faire d'un patient mutique. Il en avait eu quelques-uns, souvent des enfants : intimidés par sa stature, par la présence d'un de leurs parents dans la pièce, ou bien tout simplement réticents à se trouver assis en face d'un inconnu. Certains, il était parvenu à les faire parler, à grand renfort d'encouragements, de questions posées sur un ton doux, qui leur suppliait entre deux mots à lui faire confiance. D'autres, il avait échoué. Ils étaient rares. Mais ils existaient.

Dieu merci, Ezekiel n'était pas de ceux-là - un premier patient récalcitrant pour l'accueillir dans ses nouvelles fonctions ? il aurait sûrement démissionné sur le champ - et il se lança avec un enthousiaste que Gerhard soupçonnait être un peu feint :


- Oh ! Plutôt bien. Probablement que je manque encore un peu de méthode. J'ai été engagé avant tout pour mon expérience de vie... Mais j'ai aussi donné quelques cours en remplacement par le passé.

Il évita de le couper pour poser la première question qui lui venait à l'esprit - jusqu'à quel point le "passé" était récent pour lui ? - et hocha la tête avec encouragement. Il n'avait pas loupé l'air calculateur qui avait dansé dans les yeux du Nébuleux, l'air de quelqu'un qui décidait quoi dire, et comment, pour qu'on le laisse tranquille. De petits signes que Gerhard avait appris à déceler durant ses quelques mois d'exercice à Berlin, et qu'il était rassurant de retrouver sur cette île bien éloignée de son pays natal. Certaines choses ne changeaient pas malgré l'espèce et la géographie ; et il était satisfaisant de se rendre compte que, malgré des semaines passées loin de son travail, il gardait quelque réflexe et bonnes habitudes.


- Cela fait un petit moment que j'avais envie de m'investir dans l'éducation. Lorsque j'ai eu ma… enfin… peu importe. Certains événements m'ont donné envie de… partager un certains savoir que je possède.

Le Nébuleux s'interrompit de lui-même. Gerhard leva un sourcil impérieux, qu'il s'efforça bien vite de redescendre avant que l'autre ne puisse s'en rendre compte. C'était là le premier signe clair qu'Ezekiel lui cachait quelque chose... Ce qui était, après tout, évident. Personne ne se confiait ainsi à la première rencontre, quand bien même c'était avec un professionnel de santé.

Une piste à creuser ? Ses doigts tapotaient doucement le bois de son bureau ; il cessa le mouvement dès qu'il s'en aperçut. Quand son cerveau était lancé à toute allure, son corps l'exprimait parfois sans qu'il ne s'en rende compte, comme c'était là le cas. Sa mère aurait dit qu'il avait la bougeotte.

Il ne voulait pas penser à sa mère maintenant. Le présent était juste devant ses yeux, et ne pipait pas un mot. Ezekiel s'était enfermé dans un mutisme contemplatif, et Gerhard ne doutait pas qu'il ressassait des milliers d'années dans sa tête, un fait qu'il tentait de ne pas considérer de trop près sous peine de subir sa propre crise existentielle. Celle qu'il avait eu avec Opale lui avait suffit.


Une piste à creuser, donc ? Sans doute. Il fallait qu'il la joue finement. Le but n'était pas d'arracher des informations à la manière d'un rustre sans foi ni loi, mais d'être certain que la personne qui était assise devant lui, image parfaite de l'innocence dans sa stature, était apte d'enseigner à des enfants. Les ordres qu'il avait reçu brillaient vivement dans sa tête, les mots inscrits au fer rouge au point où il pouvait les réciter par coeur. C'était, après tout, une seule phrase. Une seule phrase à laquelle il ne voulait pas contrevenir.

Comment tirer gentiment les vers du nez à Ezekiel ? Tâche compliquée. Pas impossible, non, mais qui requérait une finesse que Gerhard n'avait pas le temps de faire montrer. Il lui aurait fallu plusieurs séances, or il ne doutait pas un seul instant qu'Ezekiel ne remontrerait pas sa tête sans y être forcé.

Il supposait qu'il pouvait mettre les pieds dans le plat. Ce n'était guère professionnel ; et, songea-t-il, sûrement dangereux. Mortellement blesser un Nébuleux dans son ego résulterait certainement à sa mort, et il tenait à avoir la vie sauve, pour une raison ou une autre.


- Il y a seulement quelques jours que je suis arrivé, donc il est difficile d'avoir le recul nécessaire pour déterminer un véritable quotidien, mais cela se passe bien. Ils me taquinent beaucoup, évidemment, ils sont bien plus à la page que moi et ça les fait rire. Et puis, généralement, quand je leur dis que j'ai participé à la création d'un pays, traversé plusieurs épidémies, déterminé l'issue de quelques guerres, rencontré Léonard de Vinci ou Louis XIV, ça les calme un peu.


Gerhard se racla subtilement la gorge pour éviter d'ouvrir des yeux ronds qui rappelleraient certainement à Ezekiel les gamins à qui il enseignait. Quel pays ? Léonard de Vinci ? Des guerres ? Non, c'était bien trop pour son cerveau d'humain programmé pour vivre une centaine d'années au grand maximum avant d'expirer dans un soupir qui laisserait tout le monde indifférent.

Ce n'était pas pour autant qu'il n'était pas désemparé ; pire que tout, il se sentait stupide. Qu'est-ce qu'on pouvait bien dire à quelqu'un qui avait rencontré un roi dont le nom était écrit avec révérence dans les livres d'Histoire ? Trouverait-il une quelconque mention d'Ezekiel dans un manuel, si seulement il cherchait bien ?

Il résolut à ne jamais se rendre dans la bibliothèque d'Opale, si ce n'est pour éviter de lire quelque mention d'un Nébuleux qu'il pourrait croiser dans les rues de ce petit village perdu quelque part dans l'océan. Compartimentaliser. Il lui fallait compartimentaliser, et si pour cela il devait convaincre son cerveau que la personne en face de lui n'avait pas un millier d'années, alors c'était ce qu'il ferait.
Le déni était après tout une rivière dans laquelle il trempait tous les jours.





- Sinon, hum… que voulez-vous savoir d’autre ?.. Je n’ai franchement rien d’intéressant à raconter.

Il se racla la gorge une nouvelle fois, plus franchement, et posa ses mains sur le bureau. La sensation du bois sous ses paumes le rassurait et l'ancrait dans le présent. C'est un homme de vingt ans, lui assura une voix à laquelle il décida de faire confiance, c'est un homme de vingt ans, et tu vas lui faire cracher ce que tu as besoin de savoir, et tu vas rédiger ce rapport à cette Matriarche et tout ira bien. Il n'y avait pas de raison que tout aille mal, de toute façon.

Gerhard autorisa ses lèvres à s'arranger en un sourire qui, il l'espérait, ne dévoilait pas trop ses dents, et inclina légèrement la tête vers le Nébuleux. Il fallait qu'il joue bien ses cartes, et si la camaraderie lui venait difficilement - voire même pas du tout - il était prêt à la simuler juste pour cette heure-ci. Et puis il pourrait retourner chez Opale et grimacer à chaque toile d'araignée qu'il avait le malheur d'apercevoir dans les coins poussiéreux du manoir.

- Ne dites pas cela. Avec une existence aussi longue que la vôtre, je doute que vous n'ayez pas quelques anecdotes à partager.

Il balaya sa remarque d'un geste de la main qu'il voulut insouciant. Plus tard. Sans doute. Si pas dans son modeste - et le mot était poli - cabinet, alors peut-être un autre jour quand ils se croiseraient dans les rues pavées de Lucent.

Gerhard se saisit du dossier d'Ezekiel et l'ouvrit négligemment. Il n'y jeta pas un seul regard, préféra garder le jeune - tout était relatif - homme dans son colimateur. Tapant deux fois la notice qui avait été posée en évidence sur les feuilles qui retraçaient tout ce que l'on savait de la vie du Nébuleux, Gerhard reprit :

- Je vais jouer cartes sur table, monsieur Oldenbourg : je dois évaluer si vous pouvez enseigner à des enfants, ce qui est la manière polie pour dire que je dois m'assurer que vous n'allez pas en tuer un au moindre désagrément.

Il inspira profondément. Il se prenait sûrement un peu trop pour quelqu'un d'important, pour une personne qui venait de débarquer à Nitescence. Encore hier, il déambulait dans les rues sans savoir où il allait, avec Opale à son bras et des problèmes dans son ombre. Il y avait au moins quelque soulagement dans le fait qu'Ezekiel n'était pas là depuis guère plus longtemps que lui. Ils étaient, quelque part, dans le même bateau : dans un monde étrange, sans repère. 

Gerhard aurait voulu dire au Nébuleux qu'il était dans son meilleur intérêt d'être honnête. Qu'il pouvait compter sur lui. Mais ç'aurait été mentir : Gerhard n'était pas certain qu'il puisse compter sur lui-même actuellement, et Ezekiel l'aurait envoyé bouler, comme c'était dans son bon droit.


- Je ne m'attends pas à ce que vous me racontiez toute votre vie, dit-il avec insistance. Je pense d'ailleurs que nous y serions pour des années si c'était le cas. Mais j'ai besoin de savoir certaines choses... personnelles sur vous, afin de former la meilleure opinion possible, et mes questions ne seront donc pas forcément agréables. Désolé.

Il ouvrit un tiroir au pif et fut ravi de constater qu'on l'avait généreusement doté de moults feuilles blanches. S'en saisissant d'une sans trop de spectacle, il la monta habilement à la machine à écrire qui trônait sur son bureau. Ses doigts, là encore, appliquaient des gestes familiers : la chose fut pliée en l'affaire de quelques courtes secondes et, se tenant prêt à écrire, Gerhard entonna :


- Avez-vous eu par le passé des expériences personnelles avec des enfants, qui nuisent aujourd'hui d'une manière ou d'une autre à votre vie quotidienne ? Traumatisme dans votre jeunesse, ou plus tard... Tout ce qui vous passe par la tête.

Il repensa à cette interruption volontaire, à ce que Ezekiel avait failli laisser échapper. Il y avait quelque chose là-dessous, et il entendait bien avoir au moins quelques fragments de cette vérité que le Nébuleux tenait à cacher. Il n'avait pas besoin de tout : seulement quelques miettes, pour contenter celle qui ordonnait tout depuis les ombres.
Lun 26 Fév 2024 - 18:19
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Ezekiel Oldenbourg
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Ezekiel Oldenbourg
 

Le (meilleur) patient


La prudence se profilait comme une évidence, une nécessité indéniable. Les mots, véritables architectes de la réalité, devaient être pesés avec une délicatesse extrême. Une erreur avait déjà été commise lorsque, par inadvertance, il avait failli évoquer sa fille. Cependant, avec la maîtrise d'une pause bien placée, il avait stoppé net ses confidences, offrant à son interlocuteur une piste fragile, à creuser seulement si le cœur de ce dernier en désirait l'exploration. Enfin, dans ce cas précis, Il réservait un mensonge, un subterfuge, à une confrontation ultérieure.

 
Ezekiel avait conscience que le mutisme dans lequel il s'était plongé ne le conduirait qu'à l'impasse, le faisant apparaître soit suspect, soit instable, et dépourvu des compétences requises pour sa nouvelle profession. Ainsi, il optait pour une stratégie de parole mesurée, jonglant entre des parcelles de vérité et des nuances. Il percevait clairement que cet homme, n'était qu'un être dénué de tout pouvoir de manipulation ou de télépathie. Un simple humain…. Et tenter de contrôler un dragon pour en extraire des informations relevait probablement de la pire des idées, mais Ezekiel, par nécessité, avait appris à se montrer docile.
 
L'opinion de son interlocuteur demeurait une énigme jusqu'à présent. Sans l'interrompre, ce dernier prenait des notes méthodiques, esquissant quelques tics subtils et démontrant une expressivité parcimonieuse. Ignorant la direction que prenait la conversation, Ezekiel risquait quelques réponses prudentes, révélant peu de détails, si ce n'était qu’il était agé, déjà consigné dans son dossier, et qui, dans l'échelle temporelle des humains, atteignait des sommets significatifs.
 
Cependant, lorsque la déclaration s'échappa de ses lèvres, dévoilant son savoir quant à l'art d'inspirer un minimum de respect chez les générations plus jeunes, Ezekiel discerna un léger changement dans le regard de son interlocuteur. Ce frémissement, teinté de réalisation, suggérait que le psychologue prenait conscience de la disparité abyssale qui séparait certains nébuleux et plus certainement encore des humains. Il pouvait pressentir que cette révélation avait enclenché une profonde introspection, une méditation sur la nature éphémère de son existence, lui qui avait déjà parcouru le tiers de sa vie. Le dragon, anticipant donc qu’il serait le témoin de multiples générations de la descendance de cet homme, tandis que ces dernières n'auraient aucun souvenir de lui dès la seconde génération, ne put s'empêcher de percevoir la relativité même de l’existence.
 
Malgré cette vérité, Ezekiel, dénué de toute fausse modestie forgée par une existence qui lui semblait extraordinairement banale, se trouva rapidement en panne d'idées pour prolonger cette séance. Son regard animal, empreint d'une attente silencieuse, se braqua sur le psychologue, cherchant un guide dans cette mer d'incertitudes.
 
À nouveau, son interlocuteur se racla la gorge, un tic noté à plusieurs reprises. Serait-ce une manière de reprendre contenance, de saisir les rênes de cet entretien avant de succomber à l'ombre d'un monstre gigantesque qui, d'une simple expiration, aurait pu ravager son bureau ? Malgré sa posture rigide, la créature écoutait attentivement, ses oreilles anormalement pointues captant chaque nuance des événements qui se déroulaient.
 
Contre toute attente, un sourire s'esquissa sur les lèvres de l’humain, une manifestation qui semblait aussi rare que celle que l'on pouvait déceler chez Ezekiel lui-même. L'idée de sourire béatement à tout propos ne trouvait guère d'écho chez lui, considérant cela comme une futilité destinée à flatter dans le but ultime de parvenir à ses fins en endormant tout animosité. Une ironie qui n'échappait pas à Ezekiel, réalisation teintée d'une pointe d'hypocrisie alors que l’humain formulait une phrase qui sonnait étrangement similaire à la stratégie qu'il dénonçait.
 
Le psychologue, usant de tous les moyens pour se montrer avenant, cherchait probablement à instaurer la confiance et à laisser entendre qu’il ne doutait point qu’Ezekiel possédait un réservoir d'anecdotes prêtes à être partagées. Toutefois, cette démarche dissimulait un objectif plus sombre : évaluer si Ezekiel correspondait aux normes désirées par la matriarche, en vue d'une utilisation potentielle à des fins moins bienveillantes.
 
Si Ezekiel avait adopté une attitude déloyale, il aurait certainement saisi la perche tendue pour dérouler un tapis d'histoires captivantes, toutes plus passionnantes les unes que les autres, mais soigneusement dépourvues de toute information utile. En fin de compte, cette modeste heure partagée entre eux se serait achevée aussi rapidement qu'un délicieux repas dévoré à la hâte, sans que l'on ait pris la peine d'en savourer chaque bouchée.
 
Cependant, Ezekiel demeura stoïque, se contentant de hocher la tête dans un geste d'approbation évasif.
 
-Un jour, si vous le souhaitez. Lorsque vous aurez un peu de temps à perdre.
 
Beaucoup de temps. Une vie humaine ne serait guère suffisante, nécessitant une concision extrême pour condenser une existence millénaire en une heure, un exploit qui rivaliserait avec l'athlétisme le plus exigeant.
 
Finalement, le psychologue s'était astreint à garder à portée de main ce qui semblait être le dossier d’Ezekiel. L'ouvrant sans réel intérêt, il laissa la créature poser son regard avant de braquer ses yeux azur sur l'humain. Pour un nébuleux ayant côtoyé nombre d'hommes, Ezekiel demeurait une énigme à lui seul, une énigme que ses maîtres n'avaient jamais tout à fait résolue au fil du temps. Il représentait à la fois un allié de poids et une bête à laquelle il fallait se méfier. Fier et capricieux, Ezekiel savait également se montrer avide et sauvage. Enchaîné à ses principes et motivé par une quête de vengeance envers les créatures lui ayant infligé des torts, il avait accepté sa vie de servitude.

Finalement, après cette préambule, le psychologue dévoila d’avantage les motivation de sa venue, abordant avec une franchise plus prononcée la raison véritable de sa présence. Il offrit en guise de réponse à l’humain, une expression indéchiffrable tout en croisant ses jambes. Sa main droite effleura distraitement ses cheveux, ramenant une mèche noire derrière son oreille, tout en laissant son esprit errer dans la réflexion.
 
-        Voilà donc la raison de ma venue ici. L’éventualité que je puisse tuer une jeune créature.
 
Formulé de cette manière, l'énoncé résonnait fortement ironique. Si Ezekiel cherchait à frapper fort, même au risque de semer la discorde, il n'envisagerait jamais de s'en prendre en premier lieu à un enfant. Leur fragilité les rendait d'une influence minime. S'il devait faire un choix audacieux, il aurait sans doute préféré s'attaquer à Opale, dont l'influence apparente sur l'île était indéniable, en plus d'un pouvoir qu'il jugeait nécessaire de surveiller de près.
 
S'occuper des enfants, une simple façade derrière laquelle se cachait le désir brisé d'un père incapable de protéger sa fille. C'est pourquoi il ne nourrissait aucune intention de porter atteinte à ces âmes innocentes, même si cette voie aurait pu alléger sa tâche. Car, comme il le savait, les enfants grandissaient, se muant parfois en obstacles bien encombrants, mais cette réflexion, il la réservait pour des temps ultérieurs.
 
Ezekiel, silencieux et impénétrable, n'ajouta rien à la remarque du psychologue, qui persista dans son enquête méticuleuse. Il était conscient que chaque détail, même le plus minime, pouvait jouer en sa faveur-ou défaveur-. Malgré ses excuses pour la nature délicate de ses questions, il savait pertinemment que les réponses seraient conditionnées par la volonté du dragon. Mais qu'adviendrait-il ensuite ? Était-il un détective, condamné à tenter une quête dans le passé lointain d’ Ezekiel, bien au-delà des rivages de cette île ? Sans garantie de succès, il resterait dépourvu de tout élément prouvant la sincérité de la créature. Pire encore, s'aventurer sur le territoire sacré du dragon équivaudrait à une condamnation rapide et foudroyante. En cet instant, il bénéficiait de cette chance unique : ici, Ezekiel devait se soumettre aux règles édictées, du moins temporairement.
 
-        J'apprécie profondément le concept, vraiment. Introduire des créatures d'horizons variés sur une île commune et ne se soucier que par la suite de leur éventuelle dangerosité. C'est un peu comme introduire un chien au cœur d'un troupeau d'agneaux, sans avoir la moindre idée s'il s’agit d’un bon chien de berger... ou d’un chien de chasse.

C'était à se demander si le but était de créer un oasis ou une purge.
 
Sincèrement, à quoi s'attendait-il si jamais Ezekiel se révélait être réellement mal intentionné ou toute autre chose insoupçonnée ? C'était une piste à explorer, une série d'énigmes qui entouraient le dragon, des mystères qui avaient rendu certains prudents, mais c'était trop tard pour se soucier de cela maintenant. Le loup était déjà entré dans la bergerie. Naturellement, cela restait une réflexion non partagée, Ezekiel se contentant de fixer l'humain d'un regard imperrturbable.
 
Le psychologue poursuivit donc sur sa lancée, orientant ses questions avec une précision chirurgicale vers d'éventuels antécédents ou traumatisme.
 
Cela mettait en évidence les failles inhérentes à cette île, offrant ainsi des informations particulièrement intrigantes. Il n'avait donc aucune raison de craindre cette séance. Tout ce qu'il avait à faire était de jouer subtilement ses cartes, et surtout, s'il était soumis à l'interrogatoire, il ne se priverait pas d'en faire autant en retour. Il ferma les yeux un bref instant.
 
-        Vous savez, demander à une créature ancienne si elle a connu des traumatismes, c'est ouvrir la porte à d'interminables récits de guerres sans merci, de sang versé inutilement, de proches disparus bien avant soi, et d'introspections à me demander pourquoi la peste ne m'a pas emporté, comme la moitié de la population européenne de l'époque. Alors, ce qui me traverse l'esprit... la question me semble bien vague.
 
Il ne feignait pas l'ignorance. Le psychologue s'était lancé dans une tâche ardue, explorant le terrain si lointain de l'enfance, un sanctuaire de développement cognitif, psycho-affectif, et social. Cherchait-il à le guider vers une révélation de l'influence de l'environnement sur le futur, sur les traces indélébiles laissées par les expériences précoces ?
 
-        Les événements de ma vie ne sont qu'une succession de drames et de plaisirs, à une échelle temporelle bien plus vaste que celle des humains et de certains nébuleux. J'ai perdu mes parents, mais je ne les ai pas connus. Et puis, je n’ai pas connu la paternité.
 
C’était cela qui l’intéressait, non ?
 
Dans le cas où des soupçons germeraient seraient dans l’esprit de l’humain, Ezekiel préparait déjà une réponse logique pour éteindre tout doute.
 
-        Pas que je n'en désirais pas, mais... je n'ai jamais été attiré par les filles. Cependant, je pense que c'était mieux ainsi. J'aurais probablement terni l'image que l'on désirait que j'incarne si j'avais eu une quelconque descendance. Ainsi, l'enseignement était un moyen de... vous voyez, avoir l'impression de faire adhérer les jeunes à des valeurs importantes au fil du temps. Avoir pu observer les atrocités du monde, en étant au cœur même du chaos, m'a permis de prendre conscience des mécanismes qui entraînent l'humanité vers toujours plus de violence
 
Les paroles du dragon aurait dû raisonner avec une profondeur qui aurait dû être incontestable. Une sagesse incommensurable forgée par le temps, l'expérience et les mentors savants ou philosophiques rencontrés au fil des siècles. Ainsi, il ne pouvait que parler d’Einstein, figure marquante des années 1900, dont les leçons avaient résonné dans l'esprit d'Ezekiel. L'Allemand avait enrichi son esprit à l'école polytechnique de Zurich avant de se consacrer à l'enseignement universitaire des mathématiques et de la physique. Une odyssée académique l'ayant conduit des rivages suisses à la splendeur de Prague, avant de retourner finalement dans son pays natal. Cependant, la magnificence de ce parcours avait été ternie par le désaccord de ses maîtres, peu enclins à approuver ses messages érudits, le forçant ainsi à prendre le chemin du départ.
 
-        J'ai peu fréquenté l'école, par simple prudence, mais j'avais des cours à domicile. Un jour, l’un de mes professeurs, connaissant quelque peu mon histoire, m'a délivré ces quelques mots: 'Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. » C’est ainsi que j’ai compris l’impact que nous possédons tous.

Était-il en train d'entacher la mémoire d'Einstein en citant son enseignement, pourtant si vénérable, tandis qu'il devait accepter de faire l'exact inverse par pure vengeance ? 
 
KoalaVolant
Sam 2 Mar 2024 - 11:19
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
- Voilà donc la raison de ma venue ici. L’éventualité que je puisse tuer une jeune créature.




Gerhard n'afficha qu'un sourire poli en retour à cette réflexion. D'un interlocuteur passif, Ezekiel Oldenbourg se drapait soudainement d'un semblant d'indignité, à moins que ce ne soit une ironie mordante qui ne torde ses traits infiniment jeunes. Les deux pouvaient être liés ; il était même étonnant qu'ils ne le soient pas.


C'était bon signe, sans doute : que l'idée qu'il puisse causer le moindre tort à un enfant, qu'il soit Humain ou Nébuleux lui cause une telle réaction, témoignait d'une certaine honnêteté. Gerhard n'allait pas la prendre au pied de la lettre. C'aurait été stupide, d'autant plus qu'Ezekiel n'avait pas témoigné d'une grande coopération. Pour tout ce qu'il en savait, il jouait très bien la comédie. Gerhard aurait aimé le croire sur parole - ou sur action - mais le repli du Nébuleux sur lui-même, la lueur qui brillait dans ses yeux, méfiante, lui indiquait clairement que la surface de ses pensées était à peine grattée. Il lui fallait entamer cette couche plus profondément, ou bien c'était son cou sur l'échafaud ; et sans vouloir offenser Ezekiel, il y avait quelques sacrifices qu'il n'était pas prêt à commettre pour le moment.




- J'apprécie profondément le concept, vraiment. Introduire des créatures d'horizons variés sur une île commune et ne se soucier que par la suite de leur éventuelle dangerosité. C'est un peu comme introduire un chien au cœur d'un troupeau d'agneaux, sans avoir la moindre idée s'il s’agit d’un bon chien de berger... ou d’un chien de chasse.




L'image était quelque peu inquiétante. Gerhard fronça à peine les sourcils, tapa quelques mots à la machine à écrire : dans le silence contemplatif qui s'était installé à la suite de ces mots prononcés d'un ton plat, si ce n'est vaguement curieux, le bruit des caractères frappant la feuille dans une partition particulièrement déréglée, manquait de le faire grimacer. Il aurait voulu que son bureau soit exempté de ces bruits oppressants, dont la violence tendait parfois ses patients les plus sensibles. Hélas il ne disposait d'aucun stylo, pas d'encre en vue : encore une chose qu'il lui faudrait se procurer dans les plus brefs délais.


Il y avait quelque chose chez Ezekiel. Le - relativement - jeune homme faisait montre d'un pragmatisme qui frisait le pessimisme. Ce n'était pas que Gerhard ne pouvait pas compatir avec lui - tout l'inverse, à dire vrai - mais pour quelqu'un qui devait enseigner à de jeunes enfants impressionnables, qu'ils les perçoivent davantage comme du bétail à abattre que comme des individus était... inquiétant. Mettait-il de telles barrières pour éviter de s'attacher à des jeunes qui pouvaient disparaître du jour au lendemain, ou y avait-il un dessein plus sombre sous ces paroles sinistres ?




Non. Il devait cesser de se préparer ainsi au pire, de voir le pire, alors qu'il n'avait que des miettes sur lesquelles composer. Cette distance pouvait très bien être le résultat d'un traumatisme qui le poussait à se détacher des autres ; tout était possible, il ne pouvait se fermer à aucune possibilité. Toutes les considérer, faire le bon choix, c'était son travail.




- Vous savez, demander à une créature ancienne si elle a connu des traumatismes, c'est ouvrir la porte à d'interminables récits de guerres sans merci, de sang versé inutilement, de proches disparus bien avant soi, et d'introspections à me demander pourquoi la peste ne m'a pas emporté, comme la moitié de la population européenne de l'époque. Alors, ce qui me traverse l'esprit... la question me semble bien vague. Les événements de ma vie ne sont qu'une succession de drames et de plaisirs, à une échelle temporelle bien plus vaste que celle des humains et de certains nébuleux. J'ai perdu mes parents, mais je ne les ai pas connus. Et puis, je n’ai pas connu la paternité.





C'était son travail, et pourtant Gerhard dut se retenir de lâcher un sarcastique "Vous, vous ne devez pas être très fun en soirée". Parce que qu'est-ce qu'il s'y connaissait, en fun ? Il n'était pas très gai luron non plus. Rien qu'hier, sa tempête de mauvaises émotions avaient manqué de faire tourner de l'oeil à Opale. Ce n'était pas ce qu'on pouvait qualifier d'optimisme optimal.


Qu'est-ce qui lui arrivait ? Pourquoi était-il aussi vindicatif ? Sûrement parce qu'il ne savait absolument pas ce qu'il faisait. Dans quoi on l'avait embarqué sans lui demander son avis. Il était venu ici pour trouver son père, nom de Dieu - non pas qu'il ait partagé cette information avec les autorités de Nitescence, merci bien - pas pour établir des évaluations psychologiques sur des créatures millénaires qui se foutaient subtilement de sa tronche. La question me semble bien vague. Quitte à être pris pour un idiot, il aurait préféré que ce soit à Berlin.




Ezekiel n'avait pas tort, cependant : il avait lancé sa question comme un coup d'épée dans le brouillard, espérant qu'elle fasse mouche d'une manière ou d'une autre. Le Nébuleux se moquait de son jeu d'arme, de ses attaques peu assurées ; certainement sans réaliser, cependant, qu'elles avaient fait mouche, et que Gerhard avait désormais milles interrogations pour orienter ce joyeux entretien.




- Pas que je n'en désirais pas, mais... je n'ai jamais été attiré par les filles. Cependant, je pense que c'était mieux ainsi. J'aurais probablement terni l'image que l'on désirait que j'incarne si j'avais eu une quelconque descendance. Ainsi, l'enseignement était un moyen de... vous voyez, avoir l'impression de faire adhérer les jeunes à des valeurs importantes au fil du temps. Avoir pu observer les atrocités du monde, en étant au cœur même du chaos, m'a permis de prendre conscience des mécanismes qui entraînent l'humanité vers toujours plus de violence.





Gerhard se demanda soudainement si cette Matriarche avait quelque chose contre les unions homosexuelles ; puis jeta la question par-dessus bord en déterminant qu'elle n'avait aucun impact sur aucune de leur deux vies. Il ne comptait pas aller bécoter un parfait inconnu devant une parfaite inconnue. Cela l'étonnait un peu, qu'Ezekiel évoque cette part de lui-même aussi librement : un esprit aussi ancien, avec autant de traumatismes - c'étaient là les mots du Nébuleux, pas les siens - il l'aurait imaginé plus secret, plus...



Enfin, à se comporter comme il le faisait depuis le début de leur session. Mais enfin, ce n'était pas son problème. Ce n'était même pas celui de cette Matriarche. Une chose lancée comme ça, sans importance : il n'allait pas lui accorder une attention qu'elle ne méritait pas.




Ainsi donc, il voyait l'enseignement comme un moyen de transmettre du savoir. Gerhard aurait presque pu le croire, si seulement le Nébuleux n'avait pas eu toute une diatribe sur des agneaux, un loup, une bergerie, un massacre, bref tous les ingrédients nécessaires à un bon cocktail de n'importe quoi. Ce n'était pas qu'il n'agréait pas avec Ezekiel sur le papier : forcer à la cohabitation autant de microcosmes différents était une idée folle, qui nécessitait préparations, organisations, bon sens. Mais la pratique paraissait bien huilée, rodée par des décennies d'application.




- J'ai peu fréquenté l'école, par simple prudence, mais j'avais des cours à domicile. Un jour, l’un de mes professeurs, connaissant quelque peu mon histoire, m'a délivré ces quelques mots: "Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire." C’est ainsi que j’ai compris l’impact que nous possédons tous.




La phrase lui disait vaguement quelque chose, de la même manière que ses cours lui avaient dit quelque chose juste après un partiel particulièrement épuisant. Encore un défaut de sa mémoire humaine, à moins que cela ne vienne de lui ; dans tous les cas, Ezekiel faisait de nouveau montre de ses connaissances gargantuesques, et lui se sentait comme le dernier des abrutis.


Gerhard jeta un regard quasiment suppliant à sa feuille. Durant toutes ces paroles qu'Ezekiel lui avait jeté à la figure, il avait à peine détacher les yeux de sa machine à écrire, si ce n'est pour lancer de rapides coups d'oeil vers le Nébuleux. Ce dernier affichait, comme il devinait que c'était à son habitude, un masque de stoïcisme qui frôlait l'admiration. Gerhard aurait voulu arracher des renseignements à une porte de prison qu'il n'aurait pas pu choisir meilleur candidat.




Il savait que quelque chose ne tournait pas rond. Ces longues phrases alambiquées, prononcées dans un anglais parfait, le faisaient tourner en bourrique, le perdaient dans sa propre tête. A force de les tourner et retourner pour en trouver un sens et puis un autre, il en attrapait le tournis. Il s'imaginait tituber dans son bureau : la pensée était peu flatteuse.


Il ne doutait pas qu'Ezekiel lui disait ce qu'il voulait entendre. Il ne doutait pas, également, que quelque part le Nébuleux pensait ce qu'il disait ; il y avait simplement un mais, et c'était ce mais qui le retenait de remercier le professeur, de le guider jusqu'à la porte et de lui souhaiter bonne chance avec les morveux qui lui servaient d'élèves. Il y avait toujours un mais, et c'était à lui d'en évaluer la gravité.




- Super, dit-il stupidement quand sa feuille ne lui livra aucune information autre qu'un bonne chance, mon vieux. Il dirigea sa grimace vers le clavier : non pas qu'elle diffère de son visage de base, mais enfin c'était l'intention qui comptait.




Il se tourna vers Ezekiel. Le Nébuleux se tenait presque au bord de sa chaise. Elles étaient, il était vrai, franchement inconfortables ; mais Gerhard le soupçonnait plutôt d'attendre le premier signe qu'il pouvait se carapater pour le faire. Comme un petit enfant grondé par son professeur, et qui ne souhait qu'une chose : que la tempête ne passe, à espérer qu'il ne soit pas trop tard pour se réfugier hors de son passage.


Il n'était pas une tempête particulièrement impressionnante. Il n'était même pas, à dire vrai, un pet de vent qui soufflait entre les rues pavées de Lucent. Il n'était rien ; mais savoir que c'était lui qui avait les clés de cette pièce dans laquelle flottait un silence de plomb lui apportait un peu de réconfort. Dans cette triste enceinte, c'était encore lui qui dictait les règles, idiot ou non, perdu ou pas.




- Vous vous êtes fixé une mission admirable, Monsieur Oldenbourg, affirma-t-il prudemment, parce qu'il n'avait pas oublié, malgré tout, que ses os étaient très fragiles, et qu'Ezekiel était très vieux et sûrement très... puissant. Malgré vos traumatismes, que je ne doute pas que vous ayez. Comme vous l'avez dit, votre longévité a apporté son lot de mauvaises surprises avec elle. Je suis ravi que vous ayez réussi à les surpasser pour vous retrouver ici avec nous aujourd'hui.

Il n'aimait pas employer ce ton paternaliste, mais quand l'occasion le demandait, il n'avait d'autre choix que de céder aux circonstances. S'humectant les lèvres, Gerhard regretta de ne pas avoir demandé où diable il pouvait trouver un peu d'eau dans ce bâtiment. Une fois Ezekiel parti, ce serait la première chose qu'il irait chercher : ça, et un coussin dans lequel hurler sa frustration. Hors de question de la ramener avec lui au manoir, où Opale batifolait joyeusement, ou peu importe ce que faisait un médecin dans son temps libre.
- Si cela peut vous rassurer, vous vous en sortez très bien, et je ne vois pas pourquoi je ne vous laisserais pas vous en aller. Mais, ajouta-t-il avant que le Nébuleux ne puisse tirer sa révérence séance tenante, permettez-moi de vous tenir la jambe quelques minutes encore. Juste quelques questions, afin qu'on ne vous oblige pas à revenir dans mon cabinet plus tard à cause de ma négligence.

Sa prise de note ne l'aidait peut-être pas énormément ; mais elle l'aidait un peu, il y avait quelques fragments de pistes, des réflexions qu'il s'était faite, qu'il lui fallait reformuler prudemment avant de les délivrer à l'air libre, incapable de les reprendre.
- Deux choses. Vous avez évoqué tout à l'heure l'idée de... chien introduit dans une bergerie, sans que l'on ne sache s'il est une menace ou un protecteur. Dans tout cela, où vous placez-vous ? Il était difficile d'imaginer ce stoïque homme se sacrifier pour un quelconque moufton, malgré toutes ces diatribes passées à tenter de lui affirmer le contraire ; mais s'il renouvelait sa volonté, Gerhard n'aurait d'autre choix que de le laisser partir. Il y avait autant de fois qu'il pouvait insister avant que ses questions ne passent pour du déni. Aussi... Enseigner à Nitescence était-il votre idée, ou avez-vous été placé dans ce rôle sans... Il grimaça ; la formulation n'était pas la bonne. Contre votre plein gré ?
C'était la plus grande porte de sortie qu'il pourrait lui proposer : c'était une chose d'être professeur, une autre de l'être sans le vouloir. Si Ezekiel lui avouait à mi-mot qu'il ne souhaitait pas...
Mais c'était stupide. Il s'en rendait désormais compte. Cette Matriarche lui avait demandé d'évaluer ses capacités à enseigner, c'était bien parce que le Nébuleux l'avait souhaité. Ou bien cette dirigeante était plus abrutie qu'il ne l'aurait cru ; sitôt que cette pensée le traversa, un frisson lui dévala la colonne vertébrale, comme si les dieux eux-mêmes l'avaient entendus et tenaient à le mettre en garde. C'était trop tard, cependant : la chose était lancée, et il n'avait plus le pouvoir de l'arrêter. Seul Ezekiel l'avait entre ses mains, désormais ; celles de Gerhard n'étaient capables que de taper sur la machine des mots dénués de sens, dans un semblant de professionnalisme qu'il ne ressentait guère.
Lun 4 Mar 2024 - 1:57
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Ezekiel Oldenbourg
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Ezekiel Oldenbourg
 

Le (meilleur) patient


Cet homme consentirait à laisser le doux murmure du silence prévaloir, à condition que nul mot ne vienne troubler l'harmonie. Peu importe le sujet sur lequel Ezekiel devrait déployer son éloquence pour apaiser les craintes fondés de son interlocuteur, il se prêterait à cet exercice sans la moindre réserve, insufflant à ses paroles une délicatesse exempte de remords-ironie quand tu nous tiens-. Manifestement, l'homme en question ne semblait guère assuré de lui, ce dernier entamait la manière dont son vis-à-vis fouillait ses affaires avec une feinte discrétion.

Le dragon, avec sa propre détermination, aspirait à exploiter chaque faille infime, non pas par une intimidation brute, mais plutôt par une démonstration de sa propre grandeur, laissant planer l'évidence de l'insignifiance de son interlocuteur en sa présence. Bien qu'humain, ce dernier mériterait, à juste titre, une parcelle de respect. Toutefois, s'il se rangeait du côté des créatures, il devrait accepter la fatalité de devenir son ennemi.
 
Jusqu'à présent, Ezekiel choisissait de ne pas ternir ses mains immaculées et préférait narrer son histoire. Il distillait ici et là quelques piques soulignant l'absurdité de sa propre présence, ainsi que celle d'autres êtres mystiques, sur cette île soi-disant gardée secrète. Une île qui, malgré ses prétentions à la confidentialité, libérait des nébuleux parfois dangereuses, ne suscitant l'inquiétude générale que bien après leur « évasion », laissant les prédateurs festoyer en toute impunité dès qu'une petite fringale se ferait ressentir.
 
Cependant, point n'était besoin de s'acharner sur le psychologue, qui n’en menait probablement pas large... une victime innocente des tumultes qui agitaient une politique qui les dépassait tous. Ainsi, Ezekiel, dans sa magnanimité, opta pour une communication tout en finesse, déformant avec habileté la vérité pour insuffler dans les tympans du psychologue des paroles qu’il espérait être perçu comme philosophique et bienveillant, évinçant -il l’espérait-les sujets épineux. Sans tomber dans l'excès de l'art oratoire, il souhaitait ainsi rétablir la quiétude qui lui était due.
 
Malgré la tension palpable qui étreignait encore Ezekiel, il entreprit de faire preuve de confiance en ses propres capacités. Il élaborait des récits sans céder à la tentation des méandres narratifs qui pourraient excéder les limites de la patience humaine. Il était conscient que son interlocuteur ourdissait probablement des pièges, espérant ainsi gagner des faveurs auprès de la matriarche s'il parvenait à le faire flancher. Quelle ironie du destin. Ezekiel, avec ses mille ans d'expérience supplémentaire, se montrait prêt à tendre quelques branches au psychologue, qui ne lui restait plus qu'à s'y agripper avec une ténacité désespérée, telle une liane fragile dans une forêt spécialement dense.
 
Quand le doyen des deux émissaires acheva son monologue, laissant le jugement de l'expert peser sur l'éther silencieux qui les enveloppait, une seule injonction, émanant visiblement du cœur, fut lancée. Était-ce là la manifestation qu’il venait de remporter cette première bataille ? Les preuves, après tout, ne mentaient guère. Il semblait marteler sa machine, les yeux oscillant entre cette dernière et les feuilles, tâtonnant tel un aveugle - moins habile qu'Opale - évoluant au sein d'un environnement étranger. Il trébuchait, se redressait, écoutait, analysait….
 
Alors, Monsieur le psychologue, quel est votre diagnostic, hum ?
 
Cependant, en dépit des persiflages intérieurs qu'Ezekiel se permettait, il savait que l'issue de cette entrevue ne lui appartenait pas. Ainsi, il demeura assis, sagement, attendant le dénouement avec une quiétude feinte, espérant secrètement une conclusion aussi simple qu’un "merci, c'est parfait, bonne journée".
 
Le psychologue, tout en délicatesse, choisit d'offrir quelques éloges bien pesés au dragon, manœuvrant avec prudence comme s'il cherchait à amadouer cette créature en caressant son ego.
 
Néanmoins, les mots choisis ne parvinrent pas à apaiser l'âme d'Ezekiel. Ils semblaient plutôt dissimuler derrière une façade flatteuse l'annonce imminente d'une nouvelle peu propice. Avec un souffle léger, le dragon répliqua simplement :
 
-        Je vous remercie de votre sollicitude.
 
En cet instant, la conversation se drapait d'une fausseté presque palpable, comme si les deux protagonistes s'adonnaient à une certaine hypocrisie, guettant avec espoir le moment où l'un ou l'autre succomberait à la tentation de se dévoiler un peu plus que nécessaire.
 
Par précaution et soucieux, Ezekiel laissa le psychologue prendre la parole, éprouvant intérieurement un soulagement indicible lorsque l'assurance fut donnée quant à la poursuite de son exercice professionnel en ces lieux. Si ses émotions avaient eu le loisir de guider davantage ses réactions, il aurait sans doute cédé à une exhalation de soulagement en lui tombant dans les bras. Néanmoins, il demeura assis, en équilibre précaire sur le rebord de sa chaise, clignant des yeux, tout particulièrement attentif au "mais". Un "mais" de-probablement-mauvaise augure, toujours tapi dans l'ombre, prêt à déclencher un ascenseur émotionnel, semant des embûches sur son chemin.
 
Encore quelques minutes de suspense, donc... Le psychologue maniait l'art de la rhétorique avec une délicate précision, une maîtrise qui forçait l'admiration. Malgré toute la retenue dont il faisait preuve, Ezekiel consentit à lui offrir un peu plus de son temps. Il inclina légèrement la tête, plongeant son regard acéré dans celui de l'humain.
 
De manière surprenante, la métaphore du chien et des agneaux semblait avoir laissé une empreinte significative dans l'esprit de l'homme. Il exprimait maintenant le désir de comprendre la perception qu'Ezekiel avait de cette image. D'un regard calme où l’on percevait une pointe d'amusement, le dragon fit front.-c'était lui qui l'avait cherché, après tout-.
 
-        Je suis bien au-delà de la simple chaîne alimentaire, répliqua Ezekiel.
 
Malgré la compassion que pouvait susciter en lui cet homme, le dragon choisit d'offrir une vérité nuancée plutôt qu'un mensonge élaboré.
 
-        Ma préoccupation réside dans la préservation de l'équilibre élémentaire de ce monde. Si jamais sa stabilité venait à être menacée, j'ai le devoir d'intervenir.
 
Il s'abstint cependant de tisser une nouvelle métaphore, celle d'un garde-forestier prêt à quelques exécutions bien intentionnées au nom du bien commun de la nature. Il craignait que cette comparaison ne soit guère bien accueillie par des êtres humains et nébuleux, préférant présenter son rôle avec la solennité qui convenait à son statut de gardien des équilibres élémentaires.
 
-        Je n'ai nulle intention spécifique. Les chiens, dociles, suivent aveuglément des ordres, tandis que je suis le guide de ma propre doctrine de principes. Tant que l'écosystème qui prospère ici n'altère pas la nature, aucune raison ne se profile à l'horizon pour que je le contrarie.
 
La capacité d'Ezekiel à articuler des propos logiques tout en peinant à réellement les suivre était impressionnante, reflétant peut-être de manière opiniâtre les valeurs qu'il aspirait à embrasser, mais qu'il se voyait contraint de repousser, entravé par une haine viscérale alimentée par ses maîtres.
 
Il aurait dû incarner cet idéal, être cette entité défendant de tels principes, sans être ni l'allié ni l'ennemi de quiconque. Cependant, il se sentait enchaîné par les hommes, redevable envers eux, et les nébuleux représentaient une menace à l'équilibre fraîchement évoqué. Le gardien élémentaire se trouvait ainsi contraint de choisir un camp plutôt qu'un autre.
 
La dernière question du psychologue prit Ezekiel de court. La perspicacité de cet homme était un danger latent. Malgré les faux pas, les coups dans le vent, il s'approchait inexorablement de la vérité sans même en être conscient. Sans preuves tangibles, cependant Ezekiel n’avait plus qu’à laisser le psychologue s'enfoncer davantage dans un labyrinthe de réflexions, prenant soin de ne pas exposer les points vulnérables qui pourraient être exploités contre lui.
 
Et il ne serait probablement pas préparé à affronter le chemin de pensé d’un être comme Ezekiel, s'il n'en menait pas large jusque-là.
 
-        Bien sûr que j'y suis contraint. C'est le cœur même de mon devoir moral. Dans les situations où j'ai l'opportunité d'enseigner et de transmettre des connaissances aux plus jeunes, je le fais, même si cela va parfois à l'encontre de mes préférences personnelles. Connaissez-vous un peu ? L'impératif catégorique est un principe moral universel auquel tous les individus doivent se conformer, indépendamment de leurs préférences personnelles. Il formule le devoir moral comme une obligation inconditionnelle. L'idée que certains principes moraux sont intrinsèquement valables et universels, ainsi appelés impératifs catégoriques, détermine ce que Kant appelle nos "devoirs moraux".
 
Un léger silence s'installa, une pause délibérée permettant au psychologue de digérer les informations qui coulaient avec une fluidité tranquille de la part de l'aîné des deux
 
Il ignorait si les années universitaires de cet homme lui avaient accordé le privilège d'explorer les intrications de la pensée de Kant et d'autres grands philosophes.
 
Dans le meilleur des scénarios, Ezekiel venait de perdre son interlocuteur pour de bon, l'envoyant errer dans les débats de la pensée philosophique sans espoir de retour. Dans le pire, c'était un terrain fertile pour un débat d'idées, une dérive du sujet initial qui, pour le dragon, ressemblait à une douce mélodie. Après tout, n'avait-il pas dévoilé ce que le psychologue cherchait à savoir ? Il s'était avoué contraint, mais pas nécessairement par les motifs réels qui l'avaient amené sur cette île. Une fois de plus, la vérité s'éloignait, dérivant sur des eaux troubles, puisque les humains l'avaient ainsi "fortement incité" à entreprendre cette mission.
 
-             " Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle." En d'autres termes, avant d'agir, une personne doit se demander si elle serait prête à accepter que tout le monde adopte la même règle morale dans des situations similaires. On doit tous subir la contrainte pour la bonne cause et j’estime que cette règle morale doit être universelle. Cependant, je suis disposé à m'ancrer fermement à mes principes et à déployer tous les efforts nécessaires pour entreprendre et mener à bien ma tache. Est ce que ma réponse vous parait suffisamment clair ?..
 
KoalaVolant
Sam 9 Mar 2024 - 23:05
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Gerhard Speckmann
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Gerhard Speckmann
- Je vous remercie de votre sollicitude.



Oh, il n'aimait pas ça. Il n'aimait pas ça du tout. Ce petit sourire aux lèvres ne pouvait être qualifié que de mesquin ; Gerhard haïssait attribué de si basses qualités à ses patients aussi tôt, mais il avait cru reconnaître un éclat de malice passer dans les yeux azurs d'Ezekiel, et le ton doucereux de cette phrase soufflée avec une platitude qui aurait donné envie à n'importe quel platiste de l'époque de Galilée.

Il voulait des réponses, il allait être servi ; mais il savait déjà que ce ne seraient pas celles qu'il souhaitait ardemment. Ezekiel avait fomenté dans sa tête quelque plan qu'il allait savamment mettre en application, et Gerhard aurait pu admirer cette débrouillardise si seulement il n'était pas sur le point de devenir le dindon de cette farce particulièrement désagréable. Avec humeur, il se rendit compte que ce qu'il redoutait était arrivé, qu'il s'était laissé déborder comme un bleu, et qu'il n'en ressortirait pas avec son honneur sauf. Mais comment rivaliser face à des créatures qui avaient des millénaires d'avance sur lui ?

Sa propre humanité, pas pour la première fois depuis le début de leur entretien, se rappela vivement à lui, et il tapota doucement les touches de sa machine pour expulser un peu de cette frustration qui montait petit à petit.





- Je suis bien au-delà de la simple chaîne alimentaire, annonça Ezekiel avec pragmatisme, de cette façon qui témoignait bien que ce n'était pas de la simple arrogance qui guidait ses mots, mais bien la vérité.



Gerhard se redressa quelque peu dans sa chaise. Il était devenu acteur de cette pièce de théâtre qu'Ezekiel dirigeait désormais d'une main de maître, assis fier comme un paon, faisant fi de la paille qui devait percer ses vêtements et lui rentrer dans la peau. 



- Ma préoccupation réside dans la préservation de l'équilibre élémentaire de ce monde. Si jamais sa stabilité venait à être menacée, j'ai le devoir d'intervenir.



Il jeta un coup d'oeil rapide à sa feuille. Il n'allait pas écrire ça. La Matriarche penserait qu'il se foutrait d'elle. Elle ne l'impressionnait pas, loin de là, mais Gerhard avait appris quelques petites choses de ses vingt-sept ans passés dans le monde des humains : l'une des plus importantes demeurant sans doute qu'il ne fallait pas vexer son patron alors que vous veniez d'arriver, et qu'on pouvait vous noyer en un claquement de doigts.

Le gramophone, en tout cas, était lancé. Gerhard noua ses mains ensemble sur son bureau et se détacha de sa machine à écrire, prenant bien garde à garder sur les traits de son visage une expression de neutralité extrême. Surtout, ne rien laisser transparaître. Ca, il savait y faire. Il avait passé des années sur les bancs d'une université dont les cours les plus importants - et les plus barbants - étaient dispensés les vendredis en toute fin de journée, et dont les profs avaient le chic pour repérer les élèves rêvassants dans les bancs de l'amphithéâtre. 

Gerhard n'avait jamais été un rêveur mais il avait été un insomniaque invertéré, et il avait réussi à faire de son regard vitreux, un qui confondait les meilleurs rapaces qui lui servaient de maîtres. Nébuleux millénaire ou pas, il vaincrait. Sur ce terrain là, au moins.



- Je n'ai nulle intention spécifique. Les chiens, dociles, suivent aveuglément des ordres, tandis que je suis le guide de ma propre doctrine de principes. Tant que l'écosystème qui prospère ici n'altère pas la nature, aucune raison ne se profile à l'horizon pour que je le contrarie.



En Union Fédérale Centrale, sa catégorie de métier avait une certaine obligation vis-à-vis des autorités en vigueur ; notamment celle de rapporter tous les faits qui laissaient sous-entendre que son patient était en, ou un, danger, que ce soit pour lui-même ou pour les autres.

Il ne fallait pas lui faire dire ce qu'il n'avait pas dit : il n'allait pas se lever et courir Dieu seul savait où pour aller dénoncer Ezekiel aux autorités compétentes - certainement cette Matriarche, planquée dans une maison qu'Opale avait ommis de lui désigner lorsqu'ils avaient visité Lucent. C'aurait été idiot. Gerhard l'était parfois, mais pas tout le temps.

En revanche, il aurait aimé pouvoir dire à Ezekiel que, si certes il allait avoir cette foutue accréditation, il fallait néanmoins qu'il arrête de le prendre pour un jambon. Gerhard remarqua que sa jambe battait une cadence infernale sous son bureau, et la stoppa à grand renfort d'une volonté de fer qu'il avait forgé en négociant son salaire dans ce cabinet de Berlin qui avait été le sien.

C'était l'agacement. L'agacement d'avoir été doublé, et considéré comme un moins que rien. Gerhard avait bien conscience d'être, aux yeux des Nébuleux, un avorton doublé d'un gêneur. Il débarquait sur leur île, on lui ordonnait de guérir leurs maux. Quelle blague ! Ezekiel avait raison sur un point, toute sa vie ne suffirait pas à écouter celle infinie de ces créatures qu'il se devait de côtoyer.
C'était l'agacement, donc. Face à un autre patient, un humain lui souffla son cerveau, il aurait interprété directement ces paroles pour ce qu'elles étaient : de l'évitement, un détournement de sujet, il avait mis le doigt sur quelque chose qui dérangeait, quelque chose qu'il devait creuser. Mais c'était un Nébuleux qui se tenait devant lui, et les dés étaient pipés. Il n'arrivait pas à confondre cette irritation qui prenait possession de ces pensées ces derniers jours. D'abord en visite avec Opale, maintenant ici ; et il en était l'esclave, tout comme il l'était de cette conversation dont le cours déraillait pour se perdre dans les méandres d'une philosophie que Gerhard avait abandonné au lycée.


- Bien sûr que j'y suis contraint. C'est le cœur même de mon devoir moral. Dans les situations où j'ai l'opportunité d'enseigner et de transmettre des connaissances aux plus jeunes, je le fais, même si cela va parfois à l'encontre de mes préférences personnelles. Connaissez-vous un peu ? L'impératif catégorique est un principe moral universel auquel tous les individus doivent se conformer, indépendamment de leurs préférences personnelles. Il formule le devoir moral comme une obligation inconditionnelle. L'idée que certains principes moraux sont intrinsèquement valables et universels, ainsi appelés impératifs catégoriques, détermine ce que Kant appelle nos "devoirs moraux".



La pause était délibérée, il le savait, et si elle avait pris forme il ne doutait pas qu'elle aurait l'air désolé d'un professeur qui savait que son élève n'était pas particulièrement brillant. Gerhard fit rouler ses mâchoires sous ses joues, et il savait que si son visage ne trahissait rien, ses yeux, eux, fusillaient Ezekiel du regard.

Il ne se serait pas permis un tel geste face à n'importe qui d'autre ; mais, assez stupidement, il prenait ce monologue personnellement. Pas une déclaration de guerre - Ezekiel n'en avait que faire, un adulte ne se battait pas avec un nouveau-né après tout - mais une façon ostentatoire de lui montrer qu'il avait perdu, et qu'Ezekiel le savait. Il l'avait su, après tout, dès le moment où il avait posé un pied dans cette pièce aux murs décrépis.

D'accord, tu m'as semé, pensa Gerhard non sans une rage qui l'étonna à moitié ; au moment où il en avait besoin, il avait retrouvé sa fierté, et c'était pour immédiatement devoir la ranger dans sa poche. Si seulement il pouvait faire face à Opale de la même manière qu'il toisait Ezekiel, vaincu mais orgueilleux jusqu'au bout ! Mais non, c'était quand on lui faisait goûter la terre qu'il se rappelait soudainement qu'elle n'avait pas bon goût. Tu m'as semé, pour l'instant, et attends que je te cueille au tournant.



- "Agis de telle sorte que la maxime de ton action puisse être érigée par ta volonté en une loi universelle." En d'autres termes, avant d'agir, une personne doit se demander si elle serait prête à accepter que tout le monde adopte la même règle morale dans des situations similaires. On doit tous subir la contrainte pour la bonne cause et j’estime que cette règle morale doit être universelle. Cependant, je suis disposé à m'ancrer fermement à mes principes et à déployer tous les efforts nécessaires pour entreprendre et mener à bien ma tache. Est ce que ma réponse vous parait suffisamment clair ?..



Gerhard dut étouffer le C'est ça, pavane toi tant que tu peux qui menaça de franchir ses lèvres. Non. Professionnalisme. Il fallait qu'il reste—

Oh, qui tentait-il de confondre ? Le professionnalisme avait volé par la fenêtre au moment même où il s'était laissé mener en bateau par Ezekiel. Dès les premières minutes, à dire vrai, quand le Nébuleux avait profité de son hésitation pour tisser sa toile. Le piège se resserait désormais. Il était eut. De patient, Ezekiel était devenu le maître ; Gerhard aurait pu apprécier la leçon gratuite si seulement elle avait été délivrée autre part, à un autre moment.



Le silence s'étira, douloureusement pour lui, avec le doux goût de la victoire pour le Nébuleux, à n'en point douter. Ce n'était plus une consultation, c'était une bataille qu'il avait remporté franchement, avec un panache arrogant qui témoignait de son habitude à naviguer sur des terrains minés.

Gerhard renifla. "Terrain miné" ? Non, rien ne servait de flatter son égo : il avait à peine été une petite plaine sur lequel le Nébuleux s'était tranquillement baladé. Juste une petite promenade de santé.

Qu'à cela ne tienne. Il avait perdu la bataille, mais pas la guerre : dans toutes ses divagations, Ezekiel avait laissé entrevoir des façettes cachées de lui-même. Volontairement ou pas, cela lui importait peu : Gerhard se raccrochait à ce qu'il pouvait, et ce que le Nébuleux lui avait offert était bien assez pour le forcer à revenir se rasseoir sur cette chaise inconfortable. Gerhard se jetterait à l'assaut de cette forteresse jusqu'à ce que les pierres ne ploient contre ses coups ; et cela, Ezekiel n'aurait rien à y redire. L'ordre viendrait de plus haut.



Gerhard se leva. Les pieds de sa chaise raclèrent sur le parquet abîmé de son bureau. Il était bon de se rappeler que, malgré tout, il surplombait le monde : certes pas grâce à sa puissance - quasiment nulle - mais par ce simple miracle de la génétique qui lui octrôyait une vingtaine de centimètres en plus par rapport à Ezekiel. Le voir se tordre le cou pour le suivre du regard était satisfaisant, si seulement la satisfaction avait un goût amer.

- Claire, je ne sais pas, dit-il en esquissant un sourire terrible qu'il laissa, cette fois-ci, tordre tous les traits de son étroit visage. Mais intéressante ? Oh, énormément.

Il instilla autant de sarcasme qu'il était possible d'instiller dans cet unique mot qui sortait de sa bouche dans un anglais à l'accent prononcé.
Gerhard se redressa plus encore. A l'apothéose de sa taille, il était géant, et quand bien même il avait invité Ezekiel à se lever d'un geste de la main, il savait que le Nébuleux peinerait à le regarder dans les yeux ; pas par manque de volonté, mais parce qu'il en était incapable. Pour la grande majorité du monde, Gerhard ne daignait pas se baisser ; Ezekiel, loup dans la bergerie ou non, gardien de la préservation de l'équilibre élémentaire - quoique ça veuille dire - ou pas, se fonderait dans cette masse informe que Gerhard affrontait sans une once d'attention pour elle.

- J'ai rassemblé toutes les informations qu'il me fallait, et les ferai parvenir à la Matriarche bien assez tôt. Impossible pour vous d'échapper aux joies de l'enseignement, malheureusement ! ironisa-t-il.

Il arracha la feuille à moitié remplie de sa machine à écrire, la rangea précautionneusement dans le dossier d'Ezekiel ; elle rejoint un tas d'autres, sûrement pour ne plus être dérangée pour bien des années au moins. Avec un dernier coup d'oeil, Gerhard ajouta mine de rien :

- J'aime avoir plusieurs séances avec un patient. Rien de personnel, une simple habitude du milieu qui a souvent porté des résultats probants. Achevant son rangement, il fit claquer ses talons entre eux. Tiré à quatre épingles, Gerhard se sentit l'air d'un soldat qui apportait son rapport à son général. Une impression sûrement pas absurde, quoiqu'il lui restât à dénicher ce-dit général. Il refusait en tout cas de donner le titre à Ezekiel. Il y avait des limites à l'humiliation, il la posait là. Attendez-vous sûrement à une nouvelle convocation d'ici quelques... oh, jours, semaines, qu'en sais-je ? Il sourit. C'était sans amitié aucune. Après tout, ce n'est pas nous qui dictons les règles ici. N'est-ce-pas ?

D'un large geste de la main, Gerhard désigna la porte. Il avait envie de s'appuyer sur son bureau, à la manière d'un professeur excédé, mais ç'aurait été perdre l'avantage tactique que lui conférait sa taille. Le repos attendrait.

- Je ne vous raccompagne pas, mais vous souhaite une bonne journée, monsieur Oldenbourg. 

Et puissions-nous nous revoir prochainement... mais pas trop tout de même. Le sentiment devait être clair sur son visage qui avait depuis longtemps perdu les rondeurs de sa jeunesse.
Oh, ce n'était que partie remise, de cela il en était sûr. Ezekiel Oldenbourg pouvait bien courir, mais il ne pourrait pas se cacher éternellement. Un conseil que Gerhard appliquerait bien vite à lui-même pour leur prochaine rencontre. Quand il le reverrait, il serait prêt.
Mar 12 Mar 2024 - 0:11
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Ezekiel Oldenbourg
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Le (meilleur) patient


La mascarade touchait à sa fin, dans les dédales de ce territoire qui n'était pas le sien. Les angoisses quant à son arrivée n'avaient plus lieu d'être. Si ses pas le menaient aux portes de l'adversité, il n'avait qu'à conquérir l'espace qui s'offrait à lui. Telle était la leçon transmise par ses maitres, inscrite dans leurs durs enseignements. La matriarche lui déclarait implicitement la guerre, cela ne faisait aucun doute. Peut-être redoutait-elle son passé, cherchait-elle à évaluer sa force, ou bien souhaitait-elle simplement garder un œil vigilant sur le dragon en l'invitant avec tant de courtoisie. Il était impossible de savoir ce qu’elle manigançait.

 
Quelle que fût sa motivation, il ne se laisserait pas intimider par son pion humain ! Peu importe qu'il soit aussi long que la tour Eiffel, qu'il lance des regards aussi froids que le sommet du Cervin, ou qu'il tente même d'apaiser le cœur du dragon... Ezekiel n'était pas dupe. Il jouerait le jeu de l'humain, mais il en serait le maître. Dès à présent, il ne lui laisserait aucune chance de diriger cette rencontre.
 
Ce ne serait guère confortable pour son interlocuteur de se retrouver ainsi déchu lors d'une entrevue peut-être cruciale, mais il ne pouvait rivaliser avec une créature aussi ancienne, ni sur le plan physique, ni sur le plan mental. Et faute de pouvoir en faire son en-cas, Ezekiel opta pour une méthode plus subtile, quoique rarement agréable.
 
Dans l'éther de la conversation, Ezekiel refusait de déroger à la courtoisie.  Il convoquait les échos des penseurs anciens, tissant des arabesques philosophiques et s’éloignant avec minutie du sujet principal.
 
Dans un dernier souffle, tel un orage apaisé, Ezekiel ponctua sa déclaration par un impertinent "J'espère que ma réponse était suffisamment claire ?", une question dont la réponse était évidente. Le psychologue, dans une tentative désespérée de dissimuler ses tourments, ses amertumes, ses fureurs, n'était qu'un livre ouvert aux yeux acérés du dragon. Et dans cet instant de révélation, le nébuleux déposa ses mains délicatement sur la table, leur poids aussi léger que son esprit actuellement. Il avait triomphé. Il avait semé la confusion.
 
Dans le silence pesant qui s'ensuivit, Ezekiel savoura la victoire avec une satisfaction paisible. Tel un marathonien qui, connaissant son avance, se permet un sourire indulgent envers l'enfant qui peinait à le suivre. Mais dans ce jeu éternel entre le prédateur et sa proie, il savait que la lutte ne faisait que commencer. Car dans les méandres de l'âme humaine-et nébuleuse, chaque victoire était suivie d'un défi plus grand.
 
Il avait donc jeté ses cartes sur la table du jeu, et le psychologue, dont les émotions étaient trahies par chaque infime mouvement, se retrouvait tel un joueur ayant misé son tout sur une main pour se retrouver face à un adversaire qui lui avait asséné les quatre as en pleine figure.
 
 L'échec était palpable. Il était probablement novice en ces lieux, peu habitué à affronter des êtres dont l'âge s'étirait sur des siècles. Il lui faudrait affiner ses compétences s'il espérait ne serait-ce qu'être un en-cas pour le dragon. Mais Ezekiel ne se plaignait pas ; tout ce qu'il désirait, c'était ce maudit papier attestant... de sa capacité de travail.
 
Ezekiel adopta alors une posture humble, laissant le silence règner inlassablement tandis que son interlocuteur devait surement digérer sa défaite. Ses yeux suivirent le mouvement de l'humain alors qu'il se relevait, son corps imposant le dominant d'au moins une tête.
 
Toujours assis, Ezekiel laissa un sourire discret fleurir sur ses lèvres à la remarque de l'homme. Ce sourire, teinté d'une satisfaction contenue, résonnait dans la pièce telle une mélodie victorieuse. Bien qu'il aurait pu presque ricaner à l'intonation exagérée du mot "énormément", il refréna cette tentation. Après tout, il se voulait fair-play... Se réjouir de sa victoire aurait été rabaisser son adversaire, qui avait supporté ses assauts sans pouvoir riposter.
 
Le psychologue l'invita alors à se lever, geste que Ezekiel exécuta docilement, relevant la tête pour croiser le regard de l'humain. Ce dernier dominait de sa hauteur, une hauteur que le dragon ne pourrait jamais atteindre dans cette forme. Mais au lieu de nourrir une frustration profonde, le dragon trouva consolation dans sa véritable forme, une créature imposante dont la mâchoire aurait pu engloutir un homme tout entier.
 
Il laissa donc l'humain conclure leur séance avant d'annoncer qu'il pourrait enseigner. Pour sceller cette victoire, le dragon feignit un soulagement tandis qu'il soufflait avec détachement :
 
-        Je vous suis infiniment reconnaissant, déclara Ezekiel.

Mais alors qu'il se préparait à prendre congé de cette rencontre, l'homme, tel un renard rusé, dévoila subtilement ses intentions futures. Un frisson fugace traversa l'échine du dragon, un frisson teinté d'une reconnaissance amère pour ce pouvoir que détenait l'humain sur lui. Un pouvoir qui lui échappait, une contrainte à laquelle il devait se plier.
 
Pourtant, dans un élan de grâce feinte, Ezekiel accueillit ces paroles avec une posture polie, dissimulant soigneusement son désarroi sous une façade d'acceptation.

-        Cela me réjouit d'avance, répondit-il J'ai tellement hâte que vous me prêtiez à nouveau l'oreille. Même si certains propos doivent sûrement échapper à un humain, je m'en excuse d'avance et je tâcherai de m'adapter davantage à vous.
 
Dans un geste à la fois subtil et provocateur, Ezekiel délivra ses paroles tel un poète maniant les mots les plus acérés. Sur un ton mielleux, avec une moue soucieuse adroitement camouflée, il lança sa remarque, sachant pertinemment qu'elle serait perçue comme une attaque personnelle, une lame affûtée visant à approfondir l'abîme entre eux.
 
 Il pressentait que cette nouvelle convocation ne serait pas sans surprises, que le psychologue se préparerait avec une vigilance nouvelle, prêt à contrer les stratégies de son adversaire.
 
Alors qu'il se préparait à partir-pour de bon- l'humain délivra ses mots, une invitation voilée qui aurait pu être perçue comme une provocation supplémentaire. Mais dans l'œil calme et impérial du dragon, il y avait une étincelle de défi, une promesse de révéler la véritable essence de la liberté. Avec une aisance apparente, Ezekiel accepta sagement, mais dans le murmure chargé de sous-entendus, il laissa échapper une réplique ciselée avec finesse.
 
-        Peut-être que les règles ne sont que des suggestions déguisées pour ceux qui osent défier les limites de l'ordinaire. La véritable liberté réside dans la créativité et le courage de transcender les conventions vous ne croyez pas ?. Mais je vous éclairerai davantage sur ce concept lors de notre prochaine rencontre, avec des mots plus simple pour que vous me suiviez.
 
« Dans votre face ! » comme dirait probablement la jeunesse actuelle.
 
La porte indiquée, Ezekiel n'avait besoin d'aucune escorte. Il s'avança dans la direction indiquée.
 
-        Ne vous tracassez pas, murmura-t-il avec douceur, je connais le chemin... dans les deux sens.
 
Les mots semblaient couler de ses lèvre, mais sous leur surface lisse, se cachait une puissante résonance. Une suggestion à peine voilée, une promesse implicite que l'humain devait comprendre. Car même si Ezekiel s'était engagé à ne pas faire des humains sa proie, la menace latente planait dans l'air, comme l'ombre d'un prédateur qui veille dans l'obscurité.
 
Puis, tel un félin habile et discret, Ezekiel se détourna et disparut dans l'embrasure de la porte. Un dernier regard qui laissait une sensation probablement étrange derrière lui.
 
Bon courage, humain. Car défier un dragon n'est pas une entreprise à prendre à la légère. Et avec cela, il laissa derrière lui un silence chargé d'échos, comme le prélude à une symphonie de conflits futurs, dans les ruelles obscures de l'esprit humain.

 
KoalaVolant
Dim 17 Mar 2024 - 18:02
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